Je crois me souvenir que le bureau du professeur T. se trouve Bâtiment B au septième étage de l’hôpital Amboise Paré à Boulogne Billancourt.
J’accompagne Edith qui a 79 ans et des problèmes de mémoire.
Voulez -vous savoir si vous avez la maladie ? Le médecin vous dit : Pioche, Vache, Etoile, retenez bien, et si dans deux heures vous avez oublié, vous rejoindrez le bataillon du million d’ Alzheimer de notre pays. Un petit IRM confirmera le diagnostic. Faites le test.
Et donc je suis devenu un spécialiste de la maladie, puisque je la côtoie nuit et jour. Comme il n’y a aucun remède je peux prendre la place du professeur.
Il y a sept niveaux, le septième niveau est incompatible avec la vie en société, c’est le cas de notre ami Jean Digne, devenu fugueur et agressif, ne reconnaissant pas ses proches et ne pouvant plus s’exprimer. Jean était une sommité de la culture en France. Parfois je vais lui porter du chocolat.
Edith n’en est qu’au troisième niveau. Elle fait de la persévération, et pose dix fois la même question. Donc je disperse des post it dans toute la maison. Oui, on prend le train aujourd’hui à 18 H 22 !
Elle développe aussi une désorientation spatio- temporelle.
Elle est perdue dans le temps et l’espace. Elle peut se croire en été le 10 décembre, et au bord de la Méditerranée s’exclame : c’est beau la Bretagne. Mieux encore lors d’un voyage en avion à l’enregistrement des bagages elle me demande : on part ou bien on revient ? J’apprécie beaucoup ce sens poétique, on n’a pas besoin de partir, puisque déjà on est revenu.
Cette maladie a quelques avantages et prépare une fin de vie assez douce.
La disparition de ses meilleures amies la laisse assez insensible.
Dix minutes après avoir assisté à un film, elle a déjà oublié qu’elle était allée au cinema.
On a l’impression qu’il y a un phénomène de marée comme si la mer balayait en permanence les événements de la vie.
Pourtant la mémoire ancienne est intacte, elle se souvient avoir été directrice du théâtre 71 à Malakoff, puis conseillère théâtre de la Drac Nord Pas de Calais et Ile de France. Elle souvient du blog qu’elle tenait à l’époque où elle voyait 250 pièces de théâtre par an.
Elle est parfaitement consciente d’avoir une mémoire déficiente. Ça, elle ne l’oublie pas.
C’est le final de la vie que nous jouons ensemble, sa hantise : si je disparaissais avant elle.
Le seul remède souverain contre cette maladie : mourrez avant 60 ans.
Comments