top of page

Billet du 12 août 2023 : Yannick


Photo de Michel Wiart. Regarde bien, je suis allongé sur un rocher, c'est une saison en enfer à Chalon dans la rue en juillet 2023



"Yannick" est un film de Quentin Dupieux. Que tous connaissent. Pas moi.

J’y vais parce que nous sommes sur la sellette, nous gens de théâtre.

Retiens le nom de l’acteur qui monte : Raphaël Quenard.

Histoire d’une représentation “le cocu” interrompue par un spectateur mécontent comme Hervée en plein Avignon qui avait interpellé Pascal Rambert : “On vous a fait quoi pour que vous nous fassiez autant souffrir?”

Ça avait fait beaucoup de bruit.

Oui le théâtre ennuie souvent, c’est toujours la première critique qui vient : c’était un peu longuet. Parfois c’est même une torture.

Le film, c’est l’histoire du fossé qui nous sépare du public. Vilar avait pris pour symbole d’Avignon des clés. Oui, il faut des clés pour apprécier le théâtre.

Celle ou celui qui ne connait pas les règles du football s’ennuie. Le rugby c’est pire encore.

Le Yannick vient de Melun à Paris pour se distraire, pour rire, le compte n’y est pas, alors il devient fou.

On n’en finira jamais de disserter sur la composition sociale du public de théâtre, les CSP + y sont toujours en large majorité.

Vilar disait : poser la question pourquoi fait-on du théatre, c’est poser la question : pour qui fait -on du théâtre ?

Dès le début nous avions compris que dans les salles on aurait toujours le même public, les TLM, toujours les mêmes, Maif Camif Télérama, c’est pourquoi nous avons déserté les salles et leurs billetteries pour jouer gratuitement dans la rue.

Evidemment on y a perdu en complexité. Accessibles, nous l’étions.Boulez écrivait : les spectacles accessibles sont des spectacles mineurs.

Dans le film, Pio Marmaï fait une colère magnifique, et Yannick a les larmes aux yeux, la colère est vraie, réelle, on y croit.

J’avais pris ça comme règle essentielle, une phrase d’Ariane Mnouchkine lors de ses ateliers : je te crois pas, dégage.

Et puis voilà, arrivé au bout de mon chemin théâtral après cinquante cinq ans de carrière, je me suis dit, j’ai envie de me faire plaisir à moi -même, Rimbaud m’avait ouvert les yeux à dix sept ans et c’est lui qui me les fermera.

Et je me mets à apprendre par coeur le texte le plus hermétique, le plus opaque, le plus ésotérique qui soit. “Une saison en enfer.” Qu’il y ait du public ou non, qu’il trouve ça incompréhensible et long, que je joue bien ou mal je m’en fiche, je suis sur le toit du monde, je suis dans la stratosphère, je ne redescendrai plus .

Et Yannick, je m’en bats les couilles, qu’il aille voir les humoristes, les vanneurs, les solos comiques. Il passera un bon moment, il oubliera son destin de gardien de parking.

Moi je mets un point final à mon oeuvre théâtrale. Avec la dernière phrase de la Saison : “il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.”


Cela ne veut pas dire que je renie tout ce qu'on a fait avant. Et puis, depuis 20 ans nous jouons les Kapouchniks et ça rime bien avec Yannick et il apprécierait, parce que c'est drôle et intelligent en même temps.


Comments


bottom of page