
Mon père avec ses deux fils, Jacques à gauche, Alain à droite
Au moins en France, la coutume c’est la coutume. On a l’habitude de mettre les photos de nos morts sur les murs de nos maisons ou sur les commodes, histoire de ne pas les oublier et aussi de les honorer.
Moi je fais des calculs, je constate que cela fait 42 ans déjà que je vis sans mon père, et il est toujours là, j’aime me raconter sa naissance à Odessa, ça agrandit mon monde, venir de si loin et puis je me mets à calculer pour mes enfants. Combien de temps vont-ils vivre sans moi ? Au moins une trentaine d’années, je peux espérer qu’il vont mettre ma photo sur les murs de leur maison. Mais quelle photo vont-ils choisir et comment vont-ils parler de moi ? Quel souvenir garderont-ils de moi ?
C’est bizarre, je me souviens des empoignades avec mon père, je ne lui pardonne toujours pas son racisme virulent vis à vis des des arabes. Lui qui avait perdu sa mère et sa sœur dans les camps, je n’arrivais pas à le comprendre. Je lui reprochais. Je lui disais qu’il n’avait pas le droit. Je l’attaquais sans arrêt : comment toi qui a perdu ta mère et ta soeur à Sobibor dans le convoi 52 du 23 mars 1943 tu peux accepter qu’en Israël on humilie les arabes. Les juifs ayant vécu ce qu’ils ont vécu n’ont pas le droit d’être racistes et d'humilier le moindre peuple.
Cela m’obsède énormément cette idiote confusion qui existe et fait l’amalgame entre le rejet de la politique d’Israël et l’antisémitisme. C’est absurde. Cela fait de moi un juif antisémite.
Pourtant je comprends que les jeunes générations israéliennes pensent que les vieux juifs d’Europe se sont quasiment laissés faire. Exemple : mon père, juif apatride, quand les lois anti juives ont été dictés par Pétain, et que les juifs devaient se déclarer. Par loyauté envers la France, mon père est allé s’inscrire au commissariat de police de la rue Chardon Lagache du 16e arrondissement. Et puis logiquement après, il a été raflé chez lui par la police française, enfermé à Drancy et tout ce qui s’ensuit, sauf qu’il réussit à s’évader grâce à la complicité d’une tante médecin qui oeuvrait auprès des détenus, c’est la tante Jacqueline, d’où mon prénom de Jacques, car si mes calculs sont exacts, je nais 9 mois après son évasion en janvier 1943.
Je comprends donc aussi que maintenant le jeune israélien, si quiconque lui touche un seul de ses cheveux, sort son flingue et tire.
D’ailleurs les jeunes franco-maghrébins dans les quartiers n’acceptent pas que leurs pères aient courbé le dos en disant la France nous accueille, la France elle est gentille, il ne faut pas faire d’histoire, mais leurs enfants dès qu’on les traite un peu mal deviennent extrêmement violents.
Donc je me demande cette nuit quel souvenir je vais laisser. Comment les enfants parleront de moi. J’ai évoqué mon père je ne sais pas pourquoi je parle plus souvent de mon père que de ma mère Justement, parce que les relations avec mon père étaient toujours tendues politiquement. Avec ma mère c’était plus facile même si j’avais fait le procès de son divorce un jour que j’avais découvert toute une correspondance avec un amant qu’elle épouserait plus tard.
Que la nuit est bizarre, la nuit, il faut dire aussi que je suis en train de lire Edouard Louis un roman qui s’appelle Effondrement sur la mort de son frère. Juste avant je lisais Jerome Garcin sur la mort de sa mère et de son petit frère jumeau et puis Duras aussi des récits de mort.
Allez un petit apophtègme pour alléger ma diatribe : La mort j’aimerais pas être là quand elle arrivera. (Woody Allen )
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