-D’où te vient ton amour de la poésie ?
-Mais non je n’aime pas la poésie, j’aime quelques textes que je connais par coeur et qui dictent ma vie…
-Mais comment la poésie est -elle entrée dans ta vie ?
Je dois répondre, c’est pour une émission de radio, alors je réponds : J’avais 17 ans, un 45 tours, je ne sais pas pourquoi, Michel Bouquet récite Henri Michaux, et comme tous les adolescents du monde je l’écoutais en boucle. Et je montais sur la table à Meudon, où je vivais avec mon père. Il y avait un grand miroir en face, je me regardais et je proférais : je vous construirai une ville avec des loques le poème d’Henri Michaux, jusqu’à le savoir par coeur. J’imitais Michel Bouquet.
Celle qui m’interroge s’appelle Sylvie Gasteau, elle est assez mystérieuse, car elle sait tout de moi et de l’Unité, et me rappelle des souvenirs perdus.
Elle me connait mieux que moi- même. Elle était encore adolescente à Saint Quentin en Yvelines quand nous commencions à miner le territoire de nos actions sulfureuses.
A chaque nouvelle question, je m’interroge, mais comment sait -elle autant de choses ? Je comprends au détour d’une conversation qu’elle avait accès aux archives de l’INA PRO.
Je suis empêtré dans mes contradictions, je ne suis pas d’accord avec moi-même, je voudrais être un peu plus reconnu mais dès que quelqu’un s’intéresse à moi et à l’Unité, je voudrais savoir ce qu’il peut y avoir d’intéressant à parler de nous.
Elle m’interroge et moi je l’interroge aussi, mais comment sait -elle tout ? Elle clôt l’émission par une citation de Bobin qu’il m’aurait écrite, rien que pour moi. Et moi Je n’en ai pas de de souvenir.
Sylvie s’est plongée dans mes archives, il est vrai, j’écris chaque semaine des petites humeurs, qui sont en ligne sur le site de l’Unité.
Je viens de vérifier, plus de 800 billets, 800 pensées du jour, 800 commentaires sur ce que je fais ou je ne fais pas sur les espoirs et désespoirs. Jacques, tes blessures profondes ? Tu dis toujours, pour faire du théâtre, il faut avoir été blessé.
Attention, là c’est un enregistrement de 5 séquences de 30 minutes. J’en rêvais car je ne supportais plus d’entendre sans arrêt parler à la radio d’un théâtre qui n’est pas le nôtre, je suis persuadé qu’un nouveau vent souffle sur le théâtre depuis cinquante ans, et je sais que nous en sommes un des principaux initiateurs.
Alors il était temps qu’on en parle. L’émission s’appelle A VOIX NUE, c’est France Culture, qui annonce 2,2 millions d’auditeurs ! Elle sera diffusée fin 2025.
Mais l’Unité ce n’est pas une simple liste de 80 créations, c’est un écheveau, un labyrinthe, une forêt amazonienne, des grandes fêtes, le théâtre pour les chiens, les brigades, le parlement de rue, c’est invente ou je te dévore, c’est toujours autre chose, c’est la conquête d’une ville, c’est l’amour d’un certain public.
il faut parler de tout mais on n’y arrivera pas, tout s’imbrique, c’est le mikado, tu touches à Dom Juan, oui mais il y a deux autres Molières qui sortent, tu veux parler du boulevard de la rue, ah Avignon 1982, l’article de Libé une page complète, la 2CV théâtre, et tous mes aphorismes, et mes croyances, et les notes de Sylvie s’éparpillent sur la table.
On est resté longtemps sur le théâtre pour chiens, c’était énorme
Anne Fleury réalise l’émission chronomètre en main et Johann trentenaire prend le son, que pense t’elle de ce vétéran qui raconte sa vie, ses blessures, ses utopies ?
A un moment je deviens ivre et je dis : j’aimerais bien faire la connaissance de cet homme qui a tant fait dans le théâtre, qui a parcouru le monde, oh mais c’est moi, pas possible !
Hervée de Lafond à l’autre bout de la France s’exaspère : dis très fort que le théâtre de l’Unité ce n’est pas toi et ton vilain ego, j’en suis la responsable pour plus de 50 %. Oui Hervée, Je le sais bien. Et n’oublie pas non plus Claude Acquart, et les centaines de comédien.nes qui nous ont accompagné.
Ah le plus bel âge de la vie, c’était épique dans le dépôt de locomotives de Trappes, avec 80 loubards, t’ inquiètes pas j’ai dit que c’était toi.
Cinquante cinq ans de théâtre à raconter en 3 H 30.
Comment relier tout ça, l’amour d’un territoire avec des séances de chambres d’amour. Passer du théâtre à 2 places aux fêtes de 40 000 personnes.
Il faut conclure, je parle de Rimbaud à Harar en Ethiopie, c’était il y a un an, nous refaisions le chemin de Rimbaud cent cinquante ans après qu’il eût écrit une Saison en enfer.
Oui j’ai aimé aller “là où il y a du désert” loin des salles dédiées au théâtre, et là j’ai senti que je n’irai pas plus loin.
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