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Billet du 1er octobre 2024. Voyeur, voyant, voyou.


Brigitte, une habitante du village.



Je suis passionné par tous les romans de vie. Je suis passionné par l’intime. Plus on entre dans l’intime plus on devient universel, j’ai même la conviction que tous les déchirements de la planète ne sont que des histoires de famille reproduites au niveau des Etats.

Une de mes grandes obsessions c’est de chercher la famille idéale.

Je l’avais presque trouvée, un oncle magnifique, brillant ingénieur, sa femme merveilleuse qui chantait du Schubert après diner. Quatre enfants tous prix d’excellence, et puis dans cette famille on dinait à 19H pétantes. La tante Yvonne servait du soufflé au fromage, on débarrassait, et à 20 H on installait déjà la table pour le petit déjeuner.

Et un 16 novembre 1964, l’Oncle Michel se tire une balle dans la tête dans son bureau de l’EDF.  Ma famille idéale éclate en morceaux. Il avait 47 ans, il laisse une longue lettre et s’excuse auprès de tous. Longtemps j’ai gardé copie de cette lettre dans mon porte -feuille.

Ma famille idéale, cassée, brisée.  A trop chercher l’équilibre et la perfection, on finit par étouffer.  Ma vie ne serait désormais que désordre et rugosité.


J’avais une connaissance en Lozère, Marie Louise comme moi née en 1943. Elle vivait au rythme de ses vaches, n’avait jamais vu la mer, ni un autre pays, ni la Tour Eiffel. Je lui racontais mes tournées en Chine aux USA, en Russie, elle me racontait la traite, la complication des pâtures, la naissance des veaux. Son père était âgé, je discutais avec lui, il m’expliquait que la terre était plate sinon les hommes de l’autre côté devraient vivre la tête en bas. Quant aux américains sur la lune en 1969, ça c’était de la connerie, cela ne se pouvait pas. On n’abordait jamais le sujet de l’amour avec Marie Louise, elle était toute dévouée à ses parents, oui elle faisait partie de ces quatre millions de françaises et français qui meurent vierges.

Ma vie était elle plus intéressante que la sienne ?  Elle avait ses passions.  Ah son accent rocailleux ses jambes poilues. Elle a quitté la vie à l’âge de 65 ans.


Brigitte vient du Pas de Calais,  son mari Denis avait trouvé du travail chez Peugeot.  Or à l’âge de 40 ans, il est mis au rebut. Ses jambes lâchent. Ici au pays de Montbéliard, la souffrance au travail est un tabou. Personne ne veut l’avouer surtout pas les médecins du pays. Il est donc classé handicapé. Un jour il reste au lit, ça énerve sa femme, qui doit s’occuper de 3 chiens et 9 chats. Il respire mal, on l’emmène à l’hôpital, il devait revenir un samedi, Brigitte toque à ma porte, il est parti ce matin me dit-elle. Elle ne pleure pas. il avait 56 ans, il savait  tout faire.

Chez Brigitte pas de livres, pas de musique, la télé et les mots fléchés. Tous les matins on promène quatre chiens avec Brigitte. On n’est pas du même monde, elle fait des ménages, ne se plaint pas, et j’écoute toutes les histoires de ses deux filles et de son fils et des voisins. Quand je ne peux pas voter je lui donne ma  procuration, la plupart du temps elle ne sait même pas qu’il y a des élections.  Et si je me risquais à lui demander le nom du premier Ministre, elle m’enverrait paitre.  Mais elle se souvient de son père mineur, et communiste, et de son mari syndicaliste, alors elle ne vote pas Marine même si elle la trouve sympathique.

Et ne voilà-t-il pas que les kapouchniks la passionnent, c’est sa grande sortie, elle  entraine des habitants du village. Elle ne dit jamais un mot de ce qu’elle a vu. Mais je sais que c’est son oxygène.  Elle n’en raterait pas un.


Et puis sur l’échelle de celles et ceux qui ne trouvent pas le bonheur, je suis cerné par nos comédiennes et comédiens aux amours passagers et volages. Des ruptures, des coups de foudre, des chagrins, des rencontres tinder, des ratages, des espoirs qui ne se confirment pas, des convulsions. Des histoires compliquées. Le monde est aussi agité que la vie sentimentale de mes comédien.nes.

Souvent dans le mini-bus des tournées Unité,  on reste huit heures ensemble alors les histoires plus profondes affleurent  :  des abus, des incestes, des viols.

Je me nourris de toute cette violence et j’essaye de la transformer en théâtre.  Oui je le revendique : je suis un voyeur voyant voyou.












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