Je voudrais dire des choses importantes, presque définitives, mais les grandes émotions ne se racontent pas.
Muguette était une espèce de sainte laïque, c’était la Jeanne de Brassens, c’était une bonne âme, une “juste", tour à tour couturière, vendeuse, bibliothécaire mais surtout militante acharnée, ne laissant passer aucune injustice, toujours là où il fallait être.
Et nous l’Unité en 1991, nous avions décidé de jeter nos forces artistiques non plus sur le monde entier, mais sur un petit lopin de terre de l’Est de la France avec la ferme conviction que si le théâtre avait changé le cours de notre existence, il était capable de transformer le destin des habitants d’une petite ville.
Résolument nous avions décidé de nous adresser aux Dédés, aux Mimis, aux Momos, et à Muguette.
Adieu Paris, le succès, la notoriété, les Molières, adieu les lieux culturels légitimants, les grands théâtres nationaux, les centres dramatiques, adieu l’entre-soi, adieu la carrière, notre cible c’était le Pays de Montbéliard.
Nous étions tels des moines conquérants animés d’une foi profonde, persuadés que l’Art pouvait sauver le monde, persuadés que nous étions une petite roue dentée du grand mécanisme de la Révolution.
Ainsi en 2000 nous avions écrit une pièce pour Muguette, elle nous réclamait du Brecht et un théâtre de vérité.
En tournée, nous emmenions même Muguette dans nos bagages.
En pénétrant dans ce crématorium le 17 janvier 2024, m’est apparue la justesse lumineuse et “transcendantale” de notre démarche.
Oui Muguette était un symbole, oui la force spirituelle du théâtre avait transfiguré la ville tout entière. "Les armes de l'esprit" aimais -je dire
Dans un océan de larmes remontaient à la surface toutes sortes d’actions insensées, le Réveillon des Boulons de l’an 2000 avec 40 000 personnes, le 2500 à l’heure destiné à Camille, le Dom Juan, pour Françoise et ses élèves du lycée Cuvier, les chambres d’amour, Terezin, les Ruches, la Nuit Unique, les Kapouchniks et les magnifiques diners concoctés par la Muguette et encore des centaines d’actes poétiques, d’événements furtifs, d’irruptions artistiques instantanées.
J’ai pris Hervée dans mes bras et j’ai essayé de lui glisser une phrase définitive que je n’ai toujours pas trouvée, cela devait être du style : “nous avons assez lutté, on a fait ce qu’on a pu, on n’a pas été des lâches. “
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