J’ai décidé de ne pas disparaître, j’ai lu le compte rendu post- opératoire, j’avais frôlé l’effacement, je ne le savais pas. Incroyable tout ce staff qui s’affairait pour vous sauver alors qu’ils ne me connaissent même pas. Virginie me secouait, Andrea était tendre, et puis celle de 5 h qui prenait ma tension, je ne sais pas qui m’a opéré.
Le dimanche, Andrew le médecin roumain m’annonce que je vais sortir. J’éclate en sanglots. Mais il me prévient : allez vite voir votre oncologue, vos chiffres du cancer sont très mauvais. Ma joie a donc duré trente secondes, j’étais libre mais déjà j’enchainais sur la prostate.
Je décidais d’entamer les carnets d’un pré -décédé. 2025 je ne connaîtrai jamais 2025, j’étais condamné.
Quand j’étais dans la force de la vie, j’adorais narguer Madame la Mort, avec des poèmes, des sketchs, des plaisanteries. A chaque anniversaire je récitais : je voudrais pas crever de Boris Vian, et même dans la nuit Unique, à 4H 30 du matin il y avait le chapitre : s’il vous restait une heure à vivre vous feriez quoi ? Il y avait des gueuletons, des quart d’heure amoureux, des injures à tous vos ennemis, moi je m’allumais un excellent Monte Cristo et je fumais directement dans le cercueil encore ouvert.
La vérité je la connais maintenant, quand arrive votre dernière heure, tous les circuits de plaisir sont déconnectés, votre cerveau est comme un pneu crevé, vous n’avez aucune pensée, vous êtes dans la douleur, incapable de la moindre émotion. Même une main amie, un visage qui se penche sur le votre, non rien, on ne ressent plus rien. On a envie de basculer dans le vide et ne plus souffrir.
Donc je l’ai vécue cette dernière heure. Je me souviens du charriot dans les couloirs en route vers le bloc opératoire habillé tout en bleu. Quand je me réveille, la terrible douleur avait disparu, mon uretère était trop étroite, le chirurgien m’a rajouté un tuyau plastique de 26 cm dans la vessie, ce qu’ils appellent une sonde J.
Quinze jours en Lozère, je refais connaissance avec la vie. Les fonctions naturelles se rétablissent, mais je me sais condamné à brève échéance.
Je m’apitoie sur moi-même. Que va devenir Edith et Titania la petite chienne. Du fond de mon coeur des larmes me viennent.
Kolia et Gaïa mes petits enfants qui ont déjà 25 ans sont un soutien précieux.
Comment penser l’avenir : remercier toutes celles et ceux qui m’ont aidé dans la vie. Je pense à Ariane, son théâtre éclairant, à Bernard Dort ce professeur qui m’avait fait brechtien, et puis ma complice Hervée, je lui fais faux bond, et mes enfants et mes souvenirs.
Mes amis anciens, faut que je les avertisse, jean Pol, Michel.
Je deviens indifférent à la vie théâtrale, je me détache. Je suis obnubilé par mon corps, je ne veux pas me regarder sous la douche, je me sens comme ces vieilles pommes qui pourrissent dans un panier.
Pourtant mes forces reviennent, je marche deux kilomètres, on va pique niquer avec les brebis en estive dans un grandiose paysage.
C’est l’heure du retour. Je fais halte à Bourg en Bresse chez Marc Guyon, camarade de lycée, une pointure, il a publié six livres chez Gallimard, il me donne des nouvelles de Lydie Dattas, mon premier amour devenue la femme de Christian Bobin, Lydie l’imprévisible avec qui j’avais fugué quand je me prenais pour Rimbaud. Lydie l’amie de Jean Genet.
Marc il sait tout. Lui aussi a un mauvais taux PSA, ce taux qui informe sur le cancer de la prostate.
Et Marc m’explique qu’à notre âge, ce n’est même pas un cancer, c’est un vieillissement naturel, le taux ne veut rien dire lui a dit son médecin. Jette tout ça à la poubelle : respire marche pars va t’en.
Et je renais, je retrouve les couleurs de la vie, je vais aller jouer le Transsibérien de Blaise Cendrars dans le bus d’Hélène, avec Marie Leila. J’oublie ce cancer asymptomatique aux chiffres astronomiques qui ne veulent rien dire. Aux oubliettes, mon cancer !
Mon coeur palpite de nouveau, et comme dit Cendrars : mon chagrin ricane.
Et puis surtout j’ai des amis qui ‘entourent comme des garde fous, ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus.
Je regorge de citations anciennes ce cher Tchekhov :
adieu la vie ancienne, bonjour la vie nouvelle !
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