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Billet du 25 juin 2023, je suis invulnérable

Elle s’appelle Lolli , elle prépare une thèse pour le professeurs Guy Freixhe sur les théâtres démontables, elle a besoin de nous poser quelques questions.

J’adore.

On est au coeur de la transmission, 55 ans nous séparent.

C’est quoi le théâtre populaire pour vous ?

Je suis gêné, je suis las. Je suis exténué. Je n‘en peux plus.

Toute ma vie j’ai cherché le non-public, le public empêché, le public qui ne va pas au théâtre, le public qui n’a pas accès à la culture, les gens non diplômés, l’homme modeste, l’homme de la rue, les oubliés de la culture.

Fils de bourgeois j’ai toujours culpabilisé de savoir que la culture n’était réservé qu’à une partie de la population.

S’il y avait une hiérarchie de la culture je serai rangé au plus bas de l’échelle, carrément au sous-sol, j’étais toujours été considéré comme marginal, comme inexistant, comme vil amuseur de bas étage.

Avoir voulu jouer toute ma vie soit gratuitement, soit avec des prix de place négligeable, avoir voulu se rendre accessible aux pauvres, on finit par n’être payé qu’en mépris.

Cinquante ans que j’entends tous les ministres de la culture ne parler que de démocratisation, d’élargissement des publics etc.

Cinquante ans d’indifférence.

J’aurais bien voulu montrer à la bourgeoise intellectuelle nos classiques, notre théâtre de rue, nos Kapouchniks, nos mises en scène de l’espace social, notre nuit Unique.

Impossible. Accès cadenassé.

Le théâtre est classé en divisions comme le football, nous avons toujours été en quatrième ou cinquième division.

Les frontières sont imperméables.

Saltimbanques : c’est choisir d’être au ban de la société.

J’aurais pu en être fier.

Mais je suis à bout.

j’ai fréquenté en tant que spectateur les théâtres nationaux, les CDN etc

J’ai constaté objectivement que je n’avais pas à être jaloux de leurs réalisations, toujours budgétivores, et ne méritant aucune admiration.

J’aurais bien voulu être programmé une seule fois au festival d’Automne à Paris, montrer à tous ces intellectuels arrogants la Nuit Unique.

Bien-sûr, lettres et dossiers que j’envoie sont classés poubellisables.

Juste réciprocité : je ne les aime pas, ils ne m’aiment pas.

Fait-on du théâtre pour soi ou pour plaire au public ?

Pour une saison en enfer, j’ai changé mes paradigmes.

je ne pense qu’à moi, au plaisir de dire un texte fort.

Tant mieux, le peu de public sera largué, ce n’est plus mon problème. Qui va venir ? Des érudits, des professeurs, des malades mentaux, je m’en fiche.

Je ne m’intéresserai pas aux remarques d’après spectacle : t’as aimé , t’as pas aimé? Cela ne m’intéresse plus. Les commissaires artistiques ne vont pas me choisir dans leur plaquette, je dis tant mieux, je ne suis pas dans le marché libéral des artistes collectionneurs de dates. Personne n’en parlera. Et alors ? Rimbaud avait publié ce texte à compte d’auteur, il a distribué cinq exemplaires, abandonné le reste à son éditeur belge et est parti vivre une autre vie que celle de plumitif littérateur.

C’est mon humeur d’aujourd’hui.

Certains vont me trouver aigri, mais comme dit si bien Georges Steiner : celui ou celle qui connait un texte par coeur est invulnérable.

Donc je suis invulnérable.








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