
Un panneau du musée Rimbaud de Charleville
Mes premiers souvenirs, tant pis, je sais, la jeune génération est gavée des souvenirs des anciens, mais pour se construire, il a bien fallu que l’on se renseigne sur ce qui était arrivé avant.
Si je me sens obligé d’écrire, c’est qu’il se passe de graves transformations dans ma tête et dans mes conduites.
1960. J’ai dix sept ans : Je descends les marches du TNP de l’époque, au milieu d’une nuée de lycéens.
Je revois le panneau dans l’entrée du lycée Claude Bernard : TNP places à 2 francs, samedi après -midi, matinée étudiante.
1965. J’ai fini par avoir mon bac je suis inscrit à l’Institut d’études théâtrales à Censier.
Le professeur principal c’est Bernard Dort. Je suis sous emprise comme on dit aujourd’hui.
Dans nos biberons, Brecht et Vilar. On lit la revue théâtre populaire.
Nos dieux s’appellent à cette époque, Meyerhold, Piscator, Craig etc.
Nous ne jurions que par théâtre épique, et théâtre populaire.
2024, presque soixante ans plus tard je fais le point.
J’ai essayé d’inventer un nouveau théâtre dans la rue, j’ai essayé de m’adresser à la ville toute entière, j’ai crée avec l’Unité de grandes fêtes fédératrices , je voulais que mon théâtre s’adresse à la fois aux femmes de ménage et aux professeurs de faculté.
Pendant plus de quarante ans avec Hervée de Lafond et Claude Acquart nous nous sommes évertués à inventer un théâtre accessible à celles et ceux qui n’y connaissent rien.
Puis peu à peu, le vocable populaire est devenu un gros mot, le théâtre populaire est devenu au théâtre ce que le gros rouge est au vin.
Nous ne faisions pas partie de l’excellence théâtrale, on nous rangeait avec mépris dans la case “trublion”.
Nous avons entamé notre carrière descentionnelle. De Paris nous nous sommes exilés en grande banlieue : St Quentin en Yvelines - Trappes etc puis en Province (étymologie romaine Pays vaincu) sous -préfecture de Montbéliard puis petite ville ouvrière de 14 000 -habitants Audincourt.
Là nous avons inventé une forme nouvelle le Kapouchnik , je l’avais appelé le point G d’Audincourt.
Et puis brusque changement de paradigme, en 2023, crise, marre de tout faire pour le public.
J’ai déclaré : j’ai commencé ma vie avec Rimbaud, je veux la terminer avec Rimbaud.
Je ne suis plus intéressé que par des actes poétiques radicaux. Nous sommes partis jouer à Harar en Ethiopie pour les pierres et les mendiants. Je n’irai pas plus loin. Je me suis fait plaisir à moi -même sans aucun souci du public. C’est fou, c’est un virage brutal.
Moi qui disais, le peuple peut se passer de théâtre mais le théâtre ne peut pas se passer du peuple, et bien j’enfouis sous terre mes grands principes.
Le théâtre populaire, c’est terminé, c’est remplacé par les droits culturels.
Parler de démocratisation est ringard.
Chacun a sa culture, pour Josette ce sont les Bodins, Daniela les chippendalles, Brigitte la rigolade et Hugues Auffray.
L’accès aux chefs d’oeuvre de l’humanité que souhaitait Malraux, c’est terminé.
Ce n’est pas très grave, 99 % des français sont indifférents à Stig Dagerman ou Jon Fosse, 99 % n’ont jamais entendu parler d’Edouard Bond ou d’Olivier Py.
Il n’y a plus la Culture avec un grand C mais des milliers de Cultures, il y a cent cinquante formes de théâtre, comme les fromages, des crémeux, des laits crus, ou avec de la moisissure, toutes sont respectables.
Aujourd’hui, on ne jure plus que par Michalik, 7 pièces sont jouées à Paris, il ramasse tous les Molières, représente le théâtre nouveau sur les plateaux de Télé, chez Yann Barthes, chez Léa Salamé et partout. Je suis indifférent à tous ces succès, indifférent aux Moilères.
Comme un idiot j’essaye d’énoncer des nouveaux principes, et me voilà en porte-à-faux en contradiction avec moi -même, ce que je résume par la formule lapidaire : Je ne suis jamais de mon avis.
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