, Dimanche 3 janvier. 2016 Villars les Blamont. 5°C
La nouvelle année commence par un énorme débat sur la déchéance de nationalité, cela se déchire de partout , la droite applaudit Hollande, la gauche le conspue et moi je m’en fous. Je m’en fous car je suis né apatride. Mes parents ont mis 17 ans avant d’avoir un passeport français. Quand ils eurent émigré de Russie, ils furent déchus leur identité russe, alors la société des Nations , dans la grande générosité d’un certain Nansen leur a attribué un document leur permettant de circuler, le passeport Nansen. J’aime bien cette idée de passeport mondial, sans nationalité. Ma langue maternelle c’est le français, alors évidemment je le suis, mais avoir deux parents dont la langue première était le russe, je suis pas mal russe aussi; mais après 24 ans de franche -comté, un peu franc -comtois quand même, mais aussi après 45 ans de vacances en Lozère, et né en Haute Loire, un peu du massif central, et puis ne pas oublier Paris, le 92, entre Boulogne, Issy les Moulineaux, Meudon, Malakoff.
Et juif là dedans ? Ah oui, c’est une drôle d’appartenance totalement indescriptible, ni une religion, ni une terre , ni un peuple. Le “hors- case” ça énerve les braves gens.
Dimanche 10 janvier 2016 , Villars les Blamont. Pluie, vent, 4°C
Moi qui adore parler de tout et surtout dire ce qu’il ne faut pas dire, je suis encerclé par les interdictions en tous genres, c’est une véritable toile d’araignée qui se déploie autour de moi. Les tabous en tous genres foisonnent. Le grand champion c’est celui du terrorisme, et de la théorie de l’excuse. On n’a pas le droit de chercher les causes de tous les attentats. On n’a pas le droit non plus de critiquer l’institution théâtrale. On n’ose plus parler du voile ou de la kippa. On doit éviter le sujet d’Israël. etc. Ensuite, il y a les tabous familiaux, les secrets de famille. Les jeunes de ma famille décident de passer outre et de filmer des interviews dites à scandales des grands parents, des oncles et des tantes. Je suis sur la sellette. “Pratiques tu l’amour à 72 ans” C’est quand ta dernière fois ? Combien de femmes as -tu connu dans ta vie ? As tu trompé ta femme ? Quelles sont tes relations avec Hervée ? Je ne fuis pas, j’assume tout. Ketty, ma soeur, trouve tout de même que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire….
Dimanche 17 janvier 2016 . Villars les Blamont . Neige -1°C
L’inconnu. Je suis curieux de savoir si lors d’une première rencontre amoureuse, les deux amants savent d”avance comment cela va se passer. Les représentations de théâtre ont cet attrait là aussi, on ne sait jamais comment cela va se passer, car il y a toujours des paramètres que l’on ne maîtrise pas. Et surtout la Mort, on ne sait pas exactement quand et comment cela va se passer. Et prendre un chemin dans la forêt que l’on ne connait pas, on ne sait pas où l’on va arriver. Eh bien ce matin, je dis oui à l’inconnu sous toutes ses formes. J’ai un besoin vital d’inconnu.
Samedi 23 janvier 2016 Malakoff. 73 ans déjà
J’ai envie de crier à tous les juifs à Kippas. Quelle est donc cette envie morbide d’afficher votre juivité dans un pays dit laïque, où la religion est une affaire intime et privée ? J’ai envie de leur dire : ressortez les étoiles jaunes dont le collaborateur vous avait affublées. J’en ai encore une chez moi, celle que devait porter ma soeur, moi j’étais trop petit, je vous la prêterai avec plaisir. Faut bien se mettre parfois dans la peau de l’antisémite pour tenter de comprendre sa perversité. Ma mère disait toujours : les juifs , moins on en parle, mieux ça vaut. Pardon Maman.
Samedi 30 janvier 2016 . Malakoff 10°C
Je me réveille avec le verbe “palpiter” dans la bouche.
Parce que je regardais les gens sur la ligne 13 du métro.
Silence total. Tous les yeux braqués sur les écrans de portable. Pas une conversation.
Pas un bruit.
Je ne vais pas dire “c’était mieux avant” quand on fumait dans le métro et que ça discutait très fort. Mais enfin, je me demande où se trouve la vraie vie dans nos pays occidentaux. Qui palpite encore ? Au théâtre de la Colline, les gens se lèvent pendant le salut, pressés de sortir. Ils ne sont pas venus voir une pièce de théâtre, ils sont venus se voir les uns les autres et faire une sortie -standing. A la sortie, on ne parle pas de la pièce. Voilà, on a tout ce qu’il faut, mais une fois tous nos désirs assouvis, comment palpiter pour quoi que ce soit ?
Samedi 6 février, Sète . 12°C
Je suis invité à Sète, la ville de Brassens, de Vilar et de Paul Valéry, à évoquer l’expérience des méga -événements que nous avons créés tout le long de notre vie. Pour l’exilé franc- comtois que je suis, voir la mer est déjà une récompense, la mer et ses gréements et les huitres des halles. Je parle 3 heures et et prends conscience du gigantisme de ce que nous avons inventé en dehors des spectacles, du Carnaval des Ténèbres aux Boulons, en passant par les Rues Extraordinaires, la Caravane passe en A, les 80 ans de ma mère etc. C’est la première fois que je prends conscience à quel point nous avons cette fibre passionnée de vouloir parler à la ville toute-entière. Et puis il y a Valérie de St Do qui raconte notre parcours, @Val_Do horslesmurs.fr/?p=13759 @SACDPARIS @livchine et pourtant je déteste les souvenirs toujours trop embellissants et trop lisses.
Dimanche 14 février 2016. Villars 3°C
Hollande et Valls resteront dans l’Histoire, comme, des personnages frappés d’indignité, tels Pétain et Laval. Ils resteront comme des nains n’ayant rien senti des pulsations et des transformations du monde. La déchéance de nationalité, c’est évidemment à eux qu’elle devrait s’appliquer, car ils éclaboussent la France de leur égoïsme, et de leur manque de vision d’avenir.
Ça y est , la France du bas bouge enfin , des milliers de personnes se portent au secours des migrants, la France est en train de se couper en 2, non pas droite /gauche, mais entre humains et collabos.
Dimanche 21 février 2016
J’ai un sujet de préoccupation qui est totalement obsédant, parfaitement désuet et qui ne se partage pas. C’est une vieille rengaine, celle qui consiste à dire qu’on est plus touché par la mort de son chien que par celle de 10 000 personnes à l’autre bout du monde. Révoltante banalité. Mais voilà, Elanka c’est son nom ne sait pas que ses jours sont comptés, que le diagnostic est fatal, on ne guérit pas d’une histiocytose. 7 ans c’est jeune, Je ne pense qu’à cela, je lui parle, je lui dis : tu vis tes derniers moments, tu ne le sais pas et pourtant, tes yeux expriment une immense tristesse. “La mort, gendarme féroce est inflexible dans ses arrêts” écrit Shakespeare. Dans quelques jours je te conduirai vers l’horrible piqure.Le petit tapis que tu aimais restera désespérément vide et nos belles promenades en forêts ne seront que souvenirs.
Samedi 27 février 2016, Genève 8°C
Notre orchestre de famille vit sa première crise de croissance. Pourtant c’était beau le début, Odessa , la mer noire, le son des violons qui s’échappe par les fenêtres, nostalgie, et le souvenir du Yddisch, laï laï laï, mais peu à peu nous nous immergions dans la musique traditionnelle de l’Europe de l’Est. Gaïa, Lou, Lila, Léna, les adolescentes ont sonné le tocsin. Qui est juif parmi nous ? personne ! Vous mangez tous du porc, personne n’est circoncis, vous vous emparez d’un patrimoine qui n’est pas le vôtre. Charles répond que le judaïsme, c’est une philosophie pas une religion. On s’engueule, les jeunes entament un rap stup et flip . Voilà où nous nous en sommes, nous nous sommes mis d’accord sur le point suivant : pas de repli sur ses origines, vive l’ouverture et le mélange des musiques et des peuples, c’est la prochaine étape.
Samedi 5 mars 2016. Malakoff. 5°C
Il y a un article salutaire de Brigitte Salino dans le Monde qui parle du théâtre allemand et de l’ancien bras droit de Frank Castorf de la Volksbuhne de Berlin, il s’appelle Mathias Lilienthal il dirige le Kammerspiele de Munich, une institution vénérable et le voilà qui dit : « Il faut absolument sortir du théâtre. Il faut que la Maximilianstrasse soit Alep”.C’est énorme. Je trouve enfin un allié, qui pense un peu comme moi, car en France, je suis qualifié de populiste aigri et grincheux. Je rêve d’organiser des parlements de rue partout. Je rêve de grandes secousses pour le théâtre. Je ressemble décidément trop au Docteur Astrov de Tchekhov qui ne cesse de se plaindre “ la vie est triste, sale, sotte, on s’enlise, partout on est cerné par la bêtise, je ne veux rien, je n’ai envie de rien, je n’aime personne”. Toutes mes demandes restent sans réponse. Je suis désespéré, j’attends la lettre, la fameuse lettre dont parle Meyerhold et qui sauve de l’abîme quand tout espoir a disparu.
Lundi 14 mars 2016. TGV vers Chalon sur Saône
Il y a des jours comme cela. personne ne répond aux lettres, personne ne répond au téléphone.
Vous appelez, vous agitez les bras. Mais non rien. Alors vous devenez paranoïaque. Vous ne vous expliquez pas cette indifférence. Comment dissoudre ce brouillard de voracité ? Et quand cela dure vous vous mettez presque à comprendre le jeune des quartiers qui vivant depuis des années un abject rejet , une mise à l’index, un avenir compromis, commence à rêver d’un ailleurs où il sera enfin reconnu.
Samedi 19 mars 2016. Villars les Blamont . 4°C le matin, 14° l’après midi
On nous pose la question dans un débat après 2500 à l’heure. Pourquoi ne pas ré -actualiser la liste de tous les spectacles qui vous ont marqué depuis 1965 ? Bonne question. Je réponds que le théâtre ne bouge quasiment plus depuis 20 ans, les nouveaux metteurs en scène Françon, Braunschweig, Py, Nordey, Rambert sont peu inventifs et ne font que poursuivre la voie de leurs ainés. Ostermaier ou Dodine ne sont pas non plus dans la rupture. Rodrigo Garcia ? Non, pour nous ce n’est pas une grande figure. Pommerat le n° 1 d’aujourd’hui est relativement classique. La créativité du spectacle vivant a touché le théâtre de rue, le cirque, la danse. Le théâtre quant à lui est dans une période en creux. Nous aurions pu rajouter Platel, éventuellement. Comment expliquer cela ? Pas évident. Les directeurs de théâtre sont soumis au pouvoir politique et refusent les projets hors -cadre ou qui dérangeraient les abonnés. Avignon ne joue pas le rôle de découvreur qu’a joué Nancy dans les années 70. Pour quand la nouvelle vague du théâtre? J’aurais bien parié Vincent Macaigne, mais il s’adonne au cinéma et n’a pas non plus une pensée très puissante. Alors, attendons, et scrutons l’avenir.
Samedi 26 mars, Malakoff . 10 °C
Mon cerveau du samedi est parcouru par des pensées galopantes, tels les loirs dans un grenier, que je n’arrive pas à maîtriser.
Je suis gavé de toutes ces compassions à la guimauve et autels fleuris aux victimes innocentes etc. Nous sommes tous coupables de ce qui arrive, Ces gosses déjantés, nous les avons engendrés, ils n’ont pas eu besoin d’immams pour cramer les poubelles et les autos dans les quartiers. Nous les avons toujours rejetés, nous les avons rassemblés dans des quartiers- ghettos . Alors comme au moyen âge et comme dans les pays pauvres, ils se sont tournés vers la seule espérance avec le loto, le bon dieu. Et comme chez les cathos, l’amour comme plaisir leur a été interdit, et bien ça les a rendu aussi dingues que nos prêtres pédophiles. Une minorité éclabousse toute une communauté.
Je sais bien que tout n’est pas mécanique, mais arrêtons d’être obsédés. Ils sont mille fois moins dangereux que ceux qui régentent le monde, les capitalistes, et qui s’arrangent pour se faire passer pour bienfaiteurs, alors qu’ils sont la source de tous les crimes.
Samedi 2 avril 2016. Entre Morges et Genève
Nous avons fait une intervention Tramway à Strasbourg avec des étudiants des arts décoratifs . Je les imaginais intrépides, débordants d’énergie, ils étaient minimalistes, frileux, timides et très sages. A part Guillaume qui a simulé un vol de portable en hurlant le monologue d’Harpagon, les autres avaient honte de déranger. Ce qui nous paraît facile, et naturel ne l’était pas pour eux, il est vrai que c’étaient des étudiants en scénographie et que l’exhibitionnisme n’est pas leur fort. Le plus grave c’est qu’Hervée et moi, nous aimons faire les fous dans un tramway. On n’est pas sérieux quand on on a 73 ans.
Dimanche 3 avril 2016.
L’artiste doit être un “voyeur voyant voyou,” c’est ma définition de l’artiste inspiré par Rimbaud. «Voyant» certes, c’est un peu prétentieux, n’empêche que lorsque il y a dix ans , nous montons Oncle Vania, nous faisons précéder la pièce d’un préambule qui dit : «Nous sommes assis sur une poudrière, nous sommes assis sur 3 milliards de pauvres, cela ne peut que péter”. Cela commence à se fissurer assez sérieusement, j’ai rêvé qu’Hollande et Valls étaient obligés de s’enfuir dans un petit zodiac de l’autre côté de la Méditerranée.
Samedi 9 avril 2016. Pluie et froid
Je déteste les solos au théâtre, je déteste tous ces épanchements exhibitionnistes supposés faire rire. Et pourtant, j’aide Latifa, une comédienne franco-tunisienne-suisse à accoucher de son solo.
Je suis son sage-homme. Pourquoi cette exception ? Parce que Latifa est arabe et que je suis juif. Nous nous ressemblons tous les deux. Nous sommes “trop”. A partir de son cas spécifique, j’essaye de me comprendre.
Pourquoi sommes-nous irritants ? Pourquoi cette stigmatisation des arabes et des juifs ? D’où vient ce désir de la différence, cette volonté de ne jamais se couler dans le moule ? Pourquoi cette obsession de la singularité ? Pourquoi cette incessante dévalorisation ? Pourquoi vouloir toujours souffrir ? J’essaye de comprendre pourquoi Latifa a envie de prendre la nationalité suisse ? Je voudrais surtout prouver que les juifs et les arabes sont naturellement faits pour s’entendre.
Samedi 16 avril Genève. Pluie 14°C
Ça y est, enfin , ça bouge un peu. Les Nuit Debout. Les citoyens se réveillent enfin, le besoin de démocratie se ressent vivement. Le sentiment de défiance vis à vis de la classe politique est énorme. Le hic, c’est que pour l’instant c’est une petite frange éclairée qui bavarde, ils sont jeunes. C’est un atout. Bien sûr il y a un besoin de sixième république, on en a marre d’un président -monarque, d’une assemblée nationale qui ne représente pas le peuple. Comme je suis en Suisse, je constate qu’ici il y a 7 présidents qui sont nommés pour une seule année, une fonction strictement symbolique, et il y a surtout de vraies votations populaires. Et puis le chômage à 3,5%, et puis de la mixité sociale un peu partout. Bien sûr , ce n’est pas un pays idéal, pas de retraite, pas de sécurité sociale. Quelle société voulons nous ? On ré-essaye le communisme ? L’Unité participe à sa manière, avec le parlement de rue, le 1er mai, et des spectacles d’agitation en préparation à la manière du groupe Octobre de Jacques Prévert.
24 avril 2016, Villars les Blamont 3 °C le matin
On a préparé une intervention théâtrale pour Nuit Debout à Montbéliard, Nous sommes 35, ils sont 60. On crée des affrontements “pour ou contre”, les minarets, les milliardaires, le réchauffement climatique, les migrants.Je remarque que les positions sont irréconciliables, donc on en arrive à cette sublime pensée qu’une révolution c’est toujours raté, cela se termine invariablement par une dictature pour éliminer les adversaires les plus rudes, mais quand même pensons-nous, faut essayer tout de même, cela engendre toujours des innovations sociales. En fait une Révolution, c’est toujours du “rater Mieux” comme notre théâtre.
Lordon s’exclame “ il faut changer le cadre” , sauf qu’il n’avance aucune idée pour un plan B. Nuit Debout ? Je préfère notre parlement de rue, parce que nous ne sommes pas dans une posture de critiqueur permanent mais de vraies propositions et d’inventions suivies de vrais votes , le tout proposé au premier Ministre.
2 mai 2016. TGV
Annie est morte dans un accident de la route, c’était ma grande soeur. Je pars à l’enterrement, 22 personnes vont dire quelques mots et l’orchestre de famille jouera les airs qu’elle aimait. La mort nous unit tous, la musique sublime les mots et la mort.
Dans ces moments graves, l’Art vient à la rescousse, il devient indispensable, il n’est plus divertissement, il est nécessaire, il exprime les non-dits. Et si je fais du théâtre aujourd’hui, c’est parce qu’un jour une pièce de Brecht montée par Roger Planchon a bouleversé ma vie.
7 mai 2016 Villars les Blamont ciel très bleu
Si en 1981 nous n’avions pas répondu au défi des québécois de nous affronter dans un match d’improvisation à Aubervilliers,
si en 1984 nous n’avions pas monté un tournoi d’improvisation dans les collèges de Trappes avec les professeurs d’EP, Jean Jourdan et Daniel Motta,
Si en 1985 , Papy Degois n’avait pas continué avec Déclic théâtre ces matches d’impro,
s’il n’y avait pas eu le petit Djamel Debouzze dans ces matches d’impro puis à Radio Nova puis Canal, puis une destinée nationale,
si Djamel n’avait pas invité Hollande à un de ces matches d’impro à Trappes,
si Hollande n’avait pas vu l’intérêt de cette discipline pour donner un peu de dignité à nos quartiers,
si un CDN celui de Limoges n’avait pas programmé un match,
si Télérama ne consacrait pas deux pages entières à ce phénomène
eh bien la discipline match d’impro ne serait toujours pas reconnue.
Telle la lumière des étoiles , c’est un parcours de 35 ans qu’il a fallu aux matches d’impro pour finir par vaincre tous les conservatismes, ,corporatisme, mépris du populaire.
14 mai 2016 . Pluie et froid à Villars les Blamont
J’ai besoin de montagnes à escalader, j’ai besoin de grands projets pour vivre.
Cette “nuit unique “ dont je rêve reste désespérément dans les cartons, j’écris des lettres bien tournées, je cherche des partenaires, c’est le néant total. “Ouvrez moi cette porte où je frappe en pleurant”. Peut -être pensent -ils que nous sommes des pré- décédés. Alors après avoir passé quatre soirées ratées de suite, une énorme vibration s’empare de moi, j’écris en moins d’une heure, un méga -projet pour la ville sur deux ou trois ans. Si les portes continuent de rester closes, cela voudra dire que le monde est décidément agonisant.
21 mai 2016 Villars les Blamont. Pleine lune
J’aime aller du compliqué au simple . Alors ce sont des grands savants, américains bien- sûr, d’Harvard of course, qui travaillent depuis plus de 75 ans sur le bonheur en observant 754 spécimen humains de la leur naissance à leur mort, avec examen mental, médicaux etc. Alors le résultat ? L’argent ? La célébrité ? Un beau jardin ? Mais non. Fallait -il dépenser des millions de dollars pour apprendre que le bonheur n’existe que dans une bonne relation à l’autre ? En fait on nous serine avec le dérèglement climatique, mais plus grave encore c’est la détérioration des relations humaines provoquée par le dessèchement mercantile qui nous fait croire que les hypermarchés Auchan, Super U, Géant Casino, Darty et Fnac sont les seuls temples du bonheur.
Samedi 28 mai 2016. Malakoff 21°C
En matière de marketing théâtral, oui, (excuses, mais pour le commerce l’anglais s’impose), je sais exactement ce qu’il faut faire. Passer par la case Avignon, ou la case Rond –Point, ou au moins un festival connu par an. Téléphoner tous les jours à 10 festivals ou établissements culturels . « Vous avez reçu notre documentation, a t-elle retenu votre attention ? nous sommes disposés à réduire notre cachet au cas où. Ah vous voulez voir le spectacle ? eh bien prenez- le, c’est le seul moyen. Pour les dates, méfiez –vous, nous sommes pas mal demandés».( c’est bien sûr faux ). Nous connaissons toutes les règles, mais nous sommes incapables de nous les appliquer, alors nos marchandises s’écoulent mal, les déficits montent, nos comédiens n’ont plus assez d’heures etc. Va falloir se réveiller et monter une opération « épervier ».
5 juin 2016 Malakoff .Inondations en France
Fête au quartier des champs montants à Audincourt. Les 90 nationalités du quartier se mélangent.
Les mères de famille toutes voilées ont préparé à manger pour 600 personnes. Les jeunes à casquette éprouvent leur force sur un jeu de foire, ils tapent des heures entières comme des brutes pour atteindre le score le plus élevé. Pendant ce temps notre Brigade d’intervention poétique susurre du Rimbaud, du Baudelaire, de l’Apollinaire, à toutes ces personnes. Emotion inouïe, larmes. La poésie ainsi distillée est un joyau. Soif de beauté et de tendresse. Comme dit Béto, notre nigérien, la disette de la tête est aussi grave que celle du ventre.
Dimanche 12 juin 2016. Belle humidité.
C’est pathétique, mais je l’avoue, j’aime le foot. C’’est pourri, je le sais, ils trichent tous, ce sont des voyous, des bandits, des ignares qui paradent dans des voitures de sport qui font rêver les gamins
Mais qu’y puis-je ? Il résonne encore dans ma tête le long cri continu des supporters quand je pénètre dans le Maracana à Rio.
Mes joies d’enfant : resquiller pour voir Reims Réal de Madrid au Parc des Princes. Di Stefano et Kopa sont gravés dans ma tête aux côtés de Brecht et de Rimbaud.
Seul Brecht a osé dire que si le public de théâtre était aussi populaire que celui du sport et s’il connaissait aussi bien les acteurs et les règles et si on en parlait autant que le sport, le théâtre serait bien moins mortifère qu’il ne l’est. Nous à l’Unité , avec nos Kapouchniks à Audincourt , on a réalisé notre rêve, un public populaire qui nous connait , et nous porte.
Lundi 20 juin 2016 . Villars 9°C . On attend l’été
Quand Thérèse me dit “j’aime pas les bougnoules, j’y peux rien, c’est comme ça”.
Je suis un peu interloqué, je ‘en doutais, mais c’est la première fois qu’elle sort cette phrase aussi clairement et avec autant d’aplomb.
Les Thérèse il n’y en a pas qu’en France, il y en a dans toute l’Europe et les Thérèses vont faire basculer toute l’Europe à l’extrême -droite. Mes arguments, Thérèse ne les entend pas puisqu’elle m’assène : c’est viscéral, c’est instinctif. Peut- être plus de culture pourrait faire vaciller Thérèse ? Même pas, puisque Thérèse voit tous nos spectacles.
Latifa ? Ah elle la trouve sympathique, parce que Latifa lui a confié un jour : les arabes me font peur.
Samedi 25 juin 2016 TGV . Température extérieure 33°C
On a failli faire des billets d’une minute chaque matin sur une radio de service public. J’aurais appelé ça “je suis remonté”. Car tous les matins, nous sommes remontés, Ce matin, je suis remonté contre l’Europe de la Culture. On pouvait déposer des projets européens, mais c’était des dossiers tellement complexes à remplir, qu’il était conseillé de prendre une rédactrice spécialisée payée 5000 €. Mais si on n’entrait pas parfaitement dans les cases proposées, on n’était pas recevables, donc on a perdu nos 5000 €. L’Europe est la championne mondiale de la bureaucratie, alors les britanniques ont choisi le Brexit, et les Suisses ont bien fait de n’y être jamais entrés. Mais pas d’inquiétude, les capitalistes de ces pays sont malins, ils signent avec l’Europe une infinité d’accords commerciaux rentables. Ils y sont pour les avantages, pas pour les inconvénients. Quant à la Radio, ils ont pris peur avant même qu’on ne commence. On n’a pas été étonnés.
Dimanche 3 juillet 2016. Desenzano. 30°C
J’adore l’Art qui s’émancipe et s’échappe des lieux qui lui sont dédiés ; on annonce discrètement une oeuvre de Christo, un ponton sur un lac, quinze jours seulement.
Je traverse aussitôt les Alpes et je me dirige vers un lac italien celui d’Iséo. La ville est en état de siège, tous les accès sont fermés, il y des parkings à 10 Kms mais pas de navette, puisque il y a déjà plus de 200 000 personnes en attente. Des campements d’attente improvisés s’organisent. Les marchands d’eau fraiche font leur beurre. Des véhicules de la Crossa Russa rouge ramassent les visiteurs qui s’écroulent abattus pas le soleil. 2 H de marche, 2 H d’attente, cette tension fait monter le désir.
Alors ? Alors c’est comment ? Phénoménale, l’attraction qu’exerce ce ponton sur les foules. Je ne comprends pas l’immense exaltation qui règne ici. Un ponton sur l’eau, de couleur orange, élastique, on gagne une petite ile qui devient carrément le Mont st Michel, et l’inconscient collectif fait le travail, on a marché sur l’eau. Est -ce un ponton ou de l’Art ? C’est le mystère Christo qui est fascinant, 81 ans, un homme né bousculeur.
Dimanche 10 juillet 2016. Nevers. Finale de l’Euro de foot. C’est le plein été
C’est le 3 janvier 1991 que nous débarquions à Montbéliard. Nous étions 3, Hervée de Lafond, Claude Acquart et moi-même. Nous avions décidé après vingt ans de tournées ininterrompues de changer de vie, de mettre notre Art au service d’une ville, comme nous l’avions fait à St Quentin en Yvelines de 1978 à 1985. A Montbéliard , nous sommes tombés sur un homme politique incroyable, que je me dois de citer car il y est pour quelque chose : Alain Chaneaux. On peut dire que nous avons montré comment le théâtre était capable de mettre toute une ville sans dessus- dessous. Mais ce à quoi nous ne nous attendions pas c’est que la victoire de la gauche aux municipales de 2008 allait signer notre arrêt de mort. La première décision culturelle de la gauche avec Moscovici à sa tête fut de supprimer les grandes fêtes réveillonnesques de Montbéliard ce qui a provoqué l’inexorable disparition de l’atelier de Claude Acquart, les mythiques Bains douches qui viennent de disparaître sans aucune cérémonie, laissant des dizaines de jeunes désemparés.
Lundi 18 juillet 2016 Villars les Blamont 25 °C
Je revendique l’attentat de Nice. J’avoue que c’est de ma faute. Pourquoi ? Parce que je laisse faire et j’accepte de vivre dans l’ambiance xénophobe et anti -arabe qui est le quotidien d’ici. Nous sommes devenus une usine à fabriquer des fanatiques . Le chef d’état parle de guerre, oui, mais c’est une guerre des mentalités qu’il faut mener, une guerre à grande échelle, ce n’est pas en rajoutant des morts aux morts que l’on gagnera. Les politiques ont besoin d’un bouc émissaire pour unir le pays. Les Arabes sont la cible idéale, et tous ceux qui veulent un tant soit peu oeuvrer dans les quartiers savent très bien que tout est fait pour que rien n’y soit fait. Un chauffeur livreur malade psychiatriquement est l’occasion de prendre des mesures liberticides dans tous les festivals de théâtre de rue.
Dimanche 24 juillet Villars les Blamont 22 °C
J’échange deux ou trois mots avec Olivier Comte des Souffleurs. (entreprise poétique). Je luis dis : nous entrons dans un nouveau mode artistique, terminé la fureur et la -violence, ce sera poésie et tendresse. En vrai , il est difficile d’affirmer que l’époque et plus malade que du temps de Franco, Salazar, Pinochet, tortures en Algérie, Napalm au Viet- nam. Ce qu’il y a de nouveau peut être, c’est l’ennemi invisible, le capitalisme meurtrier n’est pas incarné par une figure humaine , ni même l’Etat Islamique, nous sommes immergés dans le brouhaha de spécialistes et assourdi par des pantins assoiffés de palais présidentiels . Alors oui, nos valeurs- refuges seront “poésie et tendresse”,
Samedi 30 juillet Villars. beau temps. 27°
Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est passé comme un éclair, On allait à Chalon et je me suis dit, tiens il y’a un changement de directeur, ce serait drôle de se présenter. Je dis cela en plaisantant , mais cela se met à bouillonner très fort dans ma tête, j’ai tellement d’idées qui me viennent , c’est un peu du domaine du rêve. Tant de rancoeurs accumulés….Ah, ils ne voudront pas de moi, je suis trop vieux…Tant pis, je me présenterai en bénévole. Mais je ne garde pas le secret, j’envoie un mot à tout le monde. Si tu prenais Chalon, tu ferais quoi toi ? Et ça répond de tous côtés.
Faut que je me calme, je ne pense plus qu’à ça….
Dimanche 7 août 2016 Villars 23 °C
Cet état de guerre me ravit. . On leur a fait 4 millions de morts, il y a des jeunes un peu déjantés et déséquilibrés qui veulent les venger. Alors Il faut les enfermer avant qu’il commettent leurs actes sanglants. Mais comment le savoir ? Nous sommes en guerre, et l’ennemi se cache derrière tous les faciès pas de chez nous. Je note qu’Hollande remonte dans les sondages quand il déclare la guerre. Les jeunes partent en Syrie comme jadis on allait sauver l’Espagne.On annule les grandes fêtes, j’attends la mobilisation générale contre l’ennemi invisible mais heureusement toutes les caméras de surveillance reconstituent leur parcours. Quand ils sont morts on ne rend pas leurs corps à leur famille. Tous ces gamins ont le goût de la mort dans la bouche. L’époque est morbide. J’adore.
Samedi 13 août 2016. 27 °C Villars les Blamont
Tous les matins je prends appui sur mes deux jambes et je les sens ces deux jambes et je suis obligé de me dire que l'on n'a jamais vu le Doubs changer de sens, et que le mieux ne prendra plus jamais l'avantage sur le moins bien. On y va inexorablement sans aucun espoir de rémission. Que l'on fume ou non, que l'on soit végétarien et bio, que l'on soit obèse ou non, la même fin nous attend tous. La seule inconnue : la date et l'heure . Effrayante banalité qui occupe tous les jours une partie de mes pensées...
22 août 2016. Vareilles . 15° C le matin
Je vis avec l’objectif 83. Il est gravé dans ma tête. Je n’ai pas le droit de toucher au pain, pas le droit de goûter au Brie, pas le droit aux gâteaux, pas le droit à l’alcool. C’est presque une religion l’objectif 83 qui deviendra bientôt 82 je l’espère.
Je suis à Vareilles en Lozère, ma soeur adorait ce village qui est devenu notre lieu de rassemblement familial depuis 45 ans. Je prépare une petite cérémonie. Je prends conscience que la Lozère est pour nous tous une seconde patrie. C’est comme si je préparais une mise en scène. C’est même plus complexe, car nous allons nous adresser à des paysans. Sont -ils différents de nous devant la disparition ? Croient-ils vraiment à la vie après la mort ?
28 août 2016 Vareilles (Lozère) 26°C
J’ai sans arrêt dans ma tête le thème de la famille idéale, une famille où tout se passerait bien.
Quand on voit notre orchestre le Rappoporchestra, 18 musiciens, parents, neveux nièces, cousines cousins , petits enfants, allant de 7 ans à 73 ans, on pourrait se dire, nous y voilà… En musique, il est nécessaire de s’accorder, et cet orchestre pourrait bien être un objet d’études pour des sociologues de la famille, ce n’est pas le vivre ensemble qui compte c’est le jouer ensemble qui nous lie de manière assez profonde. Nous étions une semaine en Lozère tous ensemble pour célébrer ma soeur Annie, avec envol des cendres dans le ciel, ample moment poétique inégalé. Si tous les chefs d’Etat acceptaient de faire partie du même orchestre, le monde se porterait bien mieux.
3 SEPTEMBRE 2016 VILLARS . NUAGEUX 25°C
Tout ce à quoi les hommes aspirent, dit -on c’est le bonheur. L’ai-je rencontré ? j J’ai tout sauf ce qui me manque. Je me suis arrangé pour avoir tous les mois un salaire quasiment invariable et indépendant de l’activité. J’ai la maison, le jardin, le chien, la femme, les enfants, les appareils ménagers, la voiture à 5 places. Je me paie l’ordinateur avec les droits d’auteur. Je fume un Havane par semaine, j’ai le grand écran, les petits écrans, les connexions, une clef USB, et pourtant et pourtant, je ne suis pas heureux, je voudrais tout savoir, tout connaître, retenir des milliers de vers, parler cinq langues, être ami avec Edgar Morin, déjeuner chez Onfray, savoir installer des rideaux, et surtout trouver un budget pour la nuit d’amour et de tendresse dont je rêve.
12 septembre 2016. Malakoff. On attend 31°C
Il y a des gens ravagés par des refrains de musique qui ne sortent pas de leur tête, moi ce sont des vers et hier c’était « j’ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre dans une cabine du Nord express entre Wirballen et Pskow ».
Ces paroles de Valery Larbaud ne me quittaient pas, j’étais dans une conjonction incroyable de superpositions de petits bonheurs. Fin d’après midi, festival de Cergy, on avait tout donné, les gens nous revigoraient par leur formidable désir de refaire le monde. On était installés à une grande table et on avait des cruches de vin, c’était l’équipe du parlement et des parents et des réalisateurs, et Fantazio et son copain d’il y a trente ans. 3 heures nous sommes restés plus de 3 heures comme ça. Nathalie la jeune directrice nous susurrait « je vous veux chaque année ». Et une autre directrice est venue me dire de réserver le 3 juin. Depuis si longtemps ce n’était pas arrivé, alors j’ai encore rempli mon verre et je me vautrais dans ces moments exquis où la vie semble aussi légère que de l’hélium.
18 septembre 2016. Villars les Blamont. Pluie continue
Monsieur le Président de la région Rhône Alpes Auvergne, Monsieur Laurent Wauquiez
Je voudrais vous rappeler que le village du Chambon sur Lignon est le seul à avoir sa plaque de village des justes au mémorial Yad Vashem de Jerusalem. Je dois ma vie à ce village qui a accepté d’accueillir mes parents pourchassés par le nazisme et le pétainisme. Et vous, dont la mère Eliane est maire de ce village vous refusez d’accueillir dans votre immense région, 1784 réfugiés ! A lui tout seul, le Chambon a accueilli 5000 réfugiés. J ’avoue que je suis à ce point navré que le mot pour qualifier votre attitude est à inventer tant elle est empreinte d’inhumanité, d’égoïsme et de calcul électoral. Si la déchéance de nationalité existait, c’est à vous que je l’appliquerais.
Samedi 24 septembre 2016. Villars. Ciel bleu.
Très honnêtement, que la philippique sur Wauquiez fasse un buzz m’a pris de vitesse et surpris.
Ça commence par 320 partages du billet facebook puis 600, puis 2000, puis je vois que le billet est parti sur Twitter, il est répercuté par une trentaine de comptes qui ont chacun 2000 suiveurs, Et je reçois quantité de retours : bravo, je suis fier de toi, bien envoyé, mais voilà que des journaux m’appellent, je passe tout le mercredi à répondre à des journalistes, ça passe dans l’oBs , sur Inter, à France info; Arte. Moi Je me mets à rêver d’un face à face avec Wauquiez, parce que ces personnalités bien nées, produit d’excellence de nos grandes écoles - ce à quoi mes parents me destinaient- sont immensément dangereuses, Leur arrivisme est dément, j’ai connu Moscovici dans la même catégorie, et Jacques Attali. Je me sens capable de discuter calmement et de déstabiliser un tant soit peu leur morgue.
Dimanche 2 octobre 2016. L’automne
Le chemin est caillouteux, je ballote, je ballote. Je suis tiraillé à hue et à dia. J’entends Freud qui dit : fondamentalement l’homme est méchant. C’est pour cela que la religion ou l’Art essayent de réguler ses pulsions de mort pour que la co -existence des hommes entre eux soit possible.
Question théâtre, je suis nerveux, insatisfait. J’ai l’appréhension “ronron”, j’ai la sensation que les spectacles finissent par se ressembler tous et que la cérémonie théâtrale sent la naphtaline.
Ah mais Pommerat ? C’est un peu froid pour moi. Mais le jeune prodige Gosselin ? Faut que je revois son 2666 qui dure de midi à minuit, je suis peut-être trop ébahi par la technologie. Les 26000, couverts ? Ah là oui je m’y retrouve, L’excellence de la médiocrité, ils frôlent la nullité et c’est ça qui est génial, ils cassent le théâtre en petits morceaux, ils sont inimitables et c’est comme un souffle de vie sur nos coeurs endoloris.
Dimanche 9 octobre. Calais. Soleil. 14°C
Il s’appelle Jacques -Hervé Louys, il a été pasteur dans le pays de Montbéliard, il l’est peut être encore. Il craque, il sent que la France devient un pays de fachos, il veut s’exiler. Si les chrétiens se désespèrent avec leur foi chevillée au corps, où va t-on ? Tous ces gens que tu appelles fachos, Jacques -Hervé, ne le sont pas profondément. Ils sont juste manipulés et trompés et roulés dans la farine par tous ces candidats dont l’argument majeur est de nous faire peur. On nous inculque insidieusement la haine de l’Arabe. Hier on faisait notre parlement de rue à Calais. Amir, un jeune afghan, qui a perdu toute sa famille, demandait que l’on réduise le temps des vacances, scolaires car lui a besoin d’apprendre le français le plus vite possible. Et là, une jeune fille de son âge, Pauline lui propose de venir parler français avec lui quand il n’ a pas école. Emotion énorme dans l’assistance. Ne désespère pas Jacques-Hervé, il y a des millions de justes en France. “le printemps renaît , il n’en pas fini, un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe et la chaleur aura raison de tous les égoïstes, leur sens atrophiés n’y résisteront pas”. Ce n’est pas la Bible qui nous sauvera, c’est Eluard,
Dimanche 16 octobre 2016 Sur la route de Paris
Une femme m’interpelle sur la ligne 13 non loin de la porte de St Denis. “Monsieur est ce que vous trouvez normal que nous ne soyons que deux visages pâles dans toute le wagon” ? -Madame, dis-je n’oubliez pas que nous les avons fait venir et qu’ils ont fait la richesse de notre pays en fabriquant nos voitures en travaillant dans nos mines etc. La dame réplique : “n’empêche qu’ils nous colonisent.”
-Je réplique :”nous les avons colonisés et nous continuons de piller leurs richesses”. Le débat continue et j’entends des applaudissements. Décidément j’adore la ligne 13 autant que les Franc -Comtois adorent leurs sapins.
Dimanche 23 octobre . Pernand Vergelesse. 2°C au petit matin
Il est curieux de voir que la mort ne s’exprime que par métaphore.
Celle du naufrage est la plus utilisée.
Le bateau Unité est pris en étau, les dépenses sont supérieures aux recettes, branle -bas de combat sur le pont.
Continuons dans les métaphores, nous sommes cette jeune fille au bal assise sur sa chaise que personne n’invite à danser. Suis -je à ce point pestiférée se demande -t’elle ? Suis -je trop laide ?
Et voilà, notre compagnie de théâtre est rentrée dans un désert de contrat,
Faudrait qu’une personne n’ait pas peur d’être sincère avec nous et nous dise en face :
Vous êtes un produit frelaté du siècle dernier, vous sentez le soufre, vous êtes trop de gauche, trop populiste…
Ou le monde a t-il changé à ce point que jouer quelque part exige que l’on fasse le siège du contrat de co- réalisation convoitée.
T’as compris ? c’est la panade.
écris- nous : info@theatredelunite.com
on veut savoir.
Samedi 29 octobre. Malakoff 14 °C
Je n’arrive plus à me couler dans le circuit habituel. La démarche :
a) J’écris un projet A4 , avec mes intentions et le CV de mes collaborateurs.
je prends 14 RV pour finaliser le budget avec 14-co producteurs,
deux ans plus tard je joue mon projet enfin réalisé chez les co -producteurs.
Ce système tue toute spontanéité et créativité.
Par exemple là, j’ai une idée pour tout de suite, j’ai envie de faire un réveillon sauvage le 31 décembre dédié aux 30 migrants récemment arrivés dans le pays de Montbéliard. Un réveillon auto- organisé, auto -géré, sans circulation d’argent, un réveillon où chacun est son propre chef.
Je suis obligé de le faire clandestinement, parce que d’avance je sais que je n’obtiendrai aucune autorisation, puisque les forces de l’ordre seront affectées aux incendies de véhicules dans les quartiers et que le sous- préfet va dire : c’est interdit, je ne suis pas capable d’assurer la sécurité et l’ordre public. Alors pourquoi tu le dis jacques ? Je suis curieux de savoir si les Renseignements Généraux lisent mes billets.
Samedi 6 novembre 2016 Villars les Blamont . 10°C
Dois je le dire ? Oserais-je le dire ? Je suis un bien piètre amateur d’art plastique , ou du moins ai-je des goûts qui s’éloignent totalement de ce qui semble être consacré.
Je ne mettrai pas dix euros sur un Picasso ou un Soulages, peut- être un peu plus sur Basquiat, je n’irai pas dérober la Joconde au Louvre. J’ai cependant un Ben chez moi, on se comprend avec Ben, Spoerri aussi, Rebecca Horn, oui je mettrai bien 700 €. L’artiste que j’aime c’est Sophie Calle. Et pourtant je fréquente la foire de Bâle, la Fiac, je suis allé au Guggenheim de Bilbao ou à la fondation Vuitton.
Or Je viens de subir un choc esthétique, au Palais de Tokyo. L’oeuvre que j’attendais depuis 50 ans. Carrément. J’aime la radicalité en Art et là l’individu inconnu de moi, du nom de Tino Seghal m’a cloué au mur. Tout le palais de Tokyo pour lui tout seul, eh bien, pas une oeuvre au mur pas une sculpture pas une inscription pas de catalogue, je te dis bien rien, mais en fait tout. Je n’en dirais pas plus. Si t’es intrigué, t’y vas jusqu’au 18 décembre.
Dimanche 13 novembre . TGV vers Paris
J’aurais tellement voulu savoir faire du théâtre, mais je ne sais pas jouer, je sais être moi -même, c’est tout. Je ne sais pas déguiser ma voix, je ne sais pas me mettre dans la peau d’un personnage, je ne sais pas imiter, je vois les comédiens qui se transforment qui se travestissent qui existent autrement, et moi je suis invariablement moi -même, cela m’énerve, c’est pour cela que je vais vers la poésie car là on n’a pas besoin de jouer, on doit juste incarner les mots que l’on dit … “Excusez -moi de ne plus connaitre le jeu des vers” comme dit Guillaume Apollinaire.
Dimanche 20 novembre. Malakoff. Tempête.
Je me lève au salut, j’applaudis frénétiquement. Edith s’est levée aussi. Nous sommes tous les deux seuls à faire une standing ovation au théâtre du Soleil. J’ai une force infernale dans mes mains. je pense que toute la salle va suivre. Mais non. Alors quoi ? Certes Ils applaudissent fort et longtemps, mais une douzaine à peine décide de se lever aussi. Je n’arrive pas à comprendre que mon émotion gigantesque ne soit pas partagée par tous. Ariane Mnouchkine et sa troupe répondent à l’interrogation qui me taraude. Comment résister à la vague d’autoritarisme identitaire qui se répand dans le monde entier ?
Lundi 28 novembre 2016 . Malakoff/ 13 °C
Moi qui ai la haine de la consanguinité, me voilà dans mon orchestre de famille, un paradoxe de plus à gérer. Trois générations tous issus des mêmes parents. Nous jouons ensemble, nous nous accordons, nous nous écoutons et nous nous entendons. C’est quelque part le rêve de la famille idéale…Alors il n’y pas d’anniversaire, d’enterrement, de mariage, sans le Rappoporchestra.
Nous sommes 18 à jouer. Ma mère, dite Baboussia avant de mourir nous avait laissé comme seule consigne après sa mort un petit mot griffonné : restez unis. Elle serait contente C’est une expérience forte, jouer ensemble. L’axe général c’est de retrouver nos racines d’Odessa à travers la musique, La génération née au 21 ème siècle, est totalement insensible à la première génération qui lui inflige ses origines russes et juives. Eux ne se sentent que français et bien français.
Samedi 3 décembre 2016. Malakoff. Anticyclone 8 °C
Evénement historique nous dit-on. Le renoncement du monarque, telle une abdication, on se croit dans Shakespeare, les troisièmes couteaux sont à l’affût. Je me régale. Je trouve cette course au pouvoir absurde et onéreuse, inutile, je déteste ce système présidentiel avec sa fonction incarnée, président de droit divin, qui a tout décidé sans le parlement, les cadeaux aux entreprises, la loi travail etc, mais O paradoxe absurde cela me passionne. Surtout quand j’apprends que ce sont ses enfants qui l’ont conseillé. “Papa, tu va te faire laminer aux primaires, je te jure,ils vont t’humilier”. Nos Présidents sont tellement déconnectés de la réalité sociale que ce sont leurs enfants leurs meilleurs conseillers.
Dimanche 11 décembre 2016. Villars les Blamont 3°C
A ceux qui disent , ce sont tous les mêmes, cela ne sert à rien de voter, je réponds solennellement : non, ce ne sont pas tous les mêmes, et même si Claire déclare que la victoire possible de Fillon ne diminuera en rien ses orgasmes, je crois moi, que le choix d’un Président est capital pour notre vie. Avoir sa subvention augmentée de 400 % , cela a changé fondamentalement toute la vie de notre compagnie.
Avoir enfin obtenu un salaire conséquent, ce n’est pas négligeable.
Cela ne s’est pas passé sous Chirac ni sous Sarkozy mais sous Mitterrand.
Il faut arrêter de mettre tout le monde dans le même sac.
Non Valls n’est pas Fillon, Macron n’est pas Le Pen.
Oui, je me souviendrai que Hollande a augmenté le budget de la Culture qui pour la première fois a dépassé 1% du budget de la France. Je m’en souviendrai.
Samedi 17 décembre 2016 Villars les Blamont - 3°C
Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
le fond de notre coeur dans nos discours se montre,
que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
ne se masquent jamais sous de vains compliments. (le Misanthrope )
Hier soir je me suis aventuré au TNS voir Ribes. Les intentions sont splendides, Ribes illumine les pages du programme de propos édifiants, sur le besoin d’insolence et de fantaisie et tout ça. Mais le spectacle est une horreur. Je crie au secours. C’est tellement mal écrit, mal foutu avec une mise en scène qui se voudrait clinquante mais qui sonne faux tout le long. Pauvre public, pauvres élèves, Nordey les gruge, la presse les gruge, on leur fait croire que ça c’est bien, alors tel un automate bien réglé le public applaudit bêtement et regagne au plus vite le dernier tram.
Samedi 24 décembre 2016. Villars les Blamont 4°C pas de neige
Je me demandais ce qu’il devenait Manu. Manu c’est l’époque Issy les Moulineaux, ll y a 50 ans, on ne s’était jamais perdu de vue avec Manu, et puis Manu n’appelait plus, son numéro n’était plus attribué, et voilà je vais à Issy les Moulineaux dans le magasin de son frère, et j’apprends que cela fait un an et demi que Manu est décédé. Manu t’aurais pu prévenir. Je pense à ce problème qui ne va pas tarder, comment prévenir les 14 femmes que j’ai connues dans ma vie ? Alors j’ai écrit ma propre annonce nécrologique
“Un jour les souffrances finiront” Tchekhov
J’ai enfin été délivré de la vie,
je suis tombé dans les bras de l’absolu
je ne perdrai plus mes affaires,
je ne me ferai plus de souci pour Israël Palestine
le Liban la Syrie, le Niger, Haïti, les abattoirs, les inégalités, les injustices, les horreurs, les appareils cassés, la non- reconnaissance.
Je me sens enfin mieux
Jacques Rappoport dit Livchine
metteur en songes
1943-
2017
1er janvier 2017 Villars les Blamont - 5°C
Ah, le débat sur le communautarisme, je ne le comprends pas. La france est un puzzle de millions de petites communautés, ça part de la famille, aux cercles religieux, aux gens de théâtre, aux sportifs aux chasseurs, aux ethnies, ceux qui parlent la même langue. Or ce qui importe c’est leur offrir à tous par delà les différences un objectif en commun, c’est là que la fête entre en jeu pour débloquer toutes les mini frontières.
Le 31 autour du Rappopochestra on s’est réunis, juifs, russes, arabes, réfugiés du Soudan, enfants d’immigrés polonais, descendants d’italiens, sénégalais, Fernande et ses 92 ans,etc. Ensemble. Pour moi c’est ça la Culture, je le sens viscéralement. Ne pas faire de théâtre à l ‘intérieur de notre petite communauté d’intellos de gauche. Ouvrir le cercle.
Si les élus comprenaient. Si seulement ils comprenaient.
8 janvier 2017 . Malakoff - 1°C
Décidément, la liste de ce qui m’ennuie est gigantesque. Exemple, les professeurs spécialistes du Moyen -Orient me sont insupportables, ils m’ennuient, les expos- photos accrochées sur des grilles caddies, le must de toutes les MJC, je ne regarde même pas, les paysages vus par la fenêtre du TGV, cela m’ennuie. 99% de la production théâtrale me terrorise d’avance, hier j’ai encore essayé, le théâtre de la Commune, bof, j’avais envie de théâtre politique, mais là, Benoit Lambert et Begaudeau nous font le traitement le plus banal qui soit avec de la télé réalité sirupeuse, je regarde ma montre toute la seconde heure attendant la fin du supplice. Et même le Rappopochestra m’ennuie, car tous nos jeunes virtuoses jouent sans aucune Doucha (Doucha c’est l’âme en russe ). Or il n’y a pas de recette mécanique pour la “Doucha”.
Lundi 16 janvier 2017 , 4 H Malakoff 2 °C
Moi qui me plains sans arrêt de la pauvreté des commentaires des gens après nos spectacles, les merci-c’était super ; ce dimanche à Corbigny, me voilà comblé, un grand gaillard, saute sur moi et me raconte son bouleversement. Je pense qu’il n’est pas sincère et que c’est un acteur qui cherche du boulot. Mais non il n’est pas du monde du spectacle. Ses remarques sont fines et motivées, il me complimente sur la poésie, me demande de lui répéter précisément la phrase : c’était l’amour sans amitié. Non lui dis -je, elle n’est pas de moi c’est une phrase extraite des choses de la vie de Claude Sautet, il ne connait pas, il ne connait pas non plus Michaux, ni Rimbaud , ni Aragon, il est comme on dirait “brut de décoffrage . Moi qui veux rendre ce que le théâtre m’a donné, je suis au zénith de ma forme ce dimanche matin après une nuit blanche, celle de la nuit Unique et d’un jeune homme bouleversé .
Dimanche 22 janvier 2017. Villars les Blamont. - 9°C
Je suis allé donner le nom de mon favori pour les primaires, il est arrivé en tête. Triste victoire. Tous ces hommes politiques qui ne parlent que de gagner seront-ils capables d’un éclair de lucidité, de ranger leurs égos, et nous donner au moins l’espoir de ne pas laisser la place à un triste avenir pour notre pays. Le peuple se réveillera t-il pour leur demander de négocier un programme de gauche porté par un seul candidat ?
28 janvier 2017. Malakoff. 2°C
Le communautarisme. On ne parle que de celui des quartiers, mais de celui des riches jamais. Eux ils ont leurs quartiers gardiennés, ne se voient qu’entre eux, jamais je ne pourrai espérer déjeuner avec Bernard Arnaud, nous sommes dans des systèmes de castes.
A la Rochelle, c’était la communauté de la rue qui se rencontrait pour la septième Université Buissonnière. Je m’étais battu pour ouvrir le cercle, sortir de notre communautarisme à nous, inviter des gens en désaccord avec nous pour qu’il y ait débat. Je n’ai pas été suivi, alors c’était une rencontre de potes autour de formidables pots avec huitres et pineau. On a aussi parlé des droits culturels avec Meyer -Bish, le spécialiste.
Personne ne comprend vraiment de quoi il s’agit. De la co-construction avec les habitants, on pratique cela depuis 20 ans, mais maintenant, hourrah, il y a une loi qui peut contraindre une collectivité à le faire.
Samedi 4 février 2017 Villars les Blamont 8 °C
Tout me sépare de la Josette. Dans la cuisine je mets Inter ou France Culture, à peine je sors quelques minute, quand je reviens c’est Skyrocks ou Nostalgie. Josette n’a aucune raison d’aller au théatre elle n’y va pas, parfois je lui dis : je te jure ce sera bien, rien à faire. Josette nous côtoie depuis une quinzaine d’années, elle trouve Marine bien sympa. Les arabes, pas de commentaire . Mais alors est ce que tout me sépare de Josette ? Non, Avec Josette on peut parler d’amour, je lui demande sans arrêt, alors Josette t’as trouvé quelqu’un ? On parle de propreté de la cuisine et du bicarbonate mélangé avec du vinaigre blanc pour nettoyer le sol. Les Primaires, elle ne sait pas ce que c’est et s’en fout. Elle aime Mariole et Mariole l’aime, les bêtes ça sert à ça. Des Josette, elles sont des millions en France, et nous, lieux de culture nous devons une fois par an réussir à capter leur attention. Josette allait au réveillon des boulons et serait aller voir le Dragon du Channel.
Dimanche 12 février 2017. Malakoff. 4°C
Bizarre, j’ai un blocage, il y a quelque chose en moi qui m’empêche de parler d’Israël. Cela me fait trop mal . C’est tellement grave, tellement énorme. D’ailleurs c’est un sujet que la presse relègue en sixième page, c’est un sujet non vendeur à l’inverse de Pénélope. Or j’ai l’ image persistante de la manifestante qui brandit une pancarte “Kill them all” lors du procès du tout jeune soldat franco -israélien, Elor Azria, qui a achevé un palestinien à terre. L’arrivée de Trump au pouvoir galvanise l’extrême droite israélienne, Netanyahu en tête. Légalisation des colonies sauvages, annexion de toutes les terres palestiniennes. Fin de tout processus de paix. Je discute avec Osama Algabri, comédien palestinien. Il me dit : tant pis, un seul Etat, mais avec les MEMES DROITS.
Samedi soir, j’incarnais Netanyahu sur scène, les digues de toute bienveillance et de bienséance s’écroulaint.
L’antisémitisme a de beaux jours devant lui.
Samedi 18 février 2017 Malakoff 3°C
Toute la nuit, j’ai comme une stridence qui me perce le crâne. Et cela revient sans arrêt, je recalcule : oui 14 +12,5 cela fait 26, 5, oui 26,5 c’est plus grand que 26 . Mais les puristes de la gauche sont coriaces : tu ne mélanges pas une voix toxique style celle d’Hamon avec un réel désir de gauche. Pourtant c’est une opportunité à saisir aux cheveux, On ne peut pas accepter que Marine le Pen soit la seule protectrice des classes populaires. Moi je prétends que la pire des gauches est encore meilleure que la meilleure des droites, et que les présidentielles ne sont pas un concours de miss.
Samedi 25 février Malakoff 8°C soleil
Personne ne se scandalise que la personne la plus riche de France, Liliane Bettencourt ne paie pas d’impôt, que l’évasion fiscale c’est mille milliards par an en Europe, que la BNP Paribas a 350 filiales dans les paradis fiscaux, que les banques dans la crise des supprimes ont reçu 14 trilliards de dollars pour combler leurs trous, que le patron de Sanofi est payé 49 000 € par jour. Dans une société malhonnête, le voleur est honnête, alors pourquoi Fillon et les autres se gêneraient-ils ? Ils sont d’honnêtes serviteurs du système qui nous gouverne.
Samedi 4 mars. Villars. 10°C pluie
Un joli samedi pluvieux en franche -Comté. Une envie de sortir au théâtre après une journée au coin du feu en position détente.
Alors , les programmes ? On a tout sur théatre contemporain .net, tu leur demandes la Région Bourgogne Franche Comté , le 4 mars , catégorie théâtre. Résultat : RIEN
4 scènes nationales : Mulhouse, Belfort, Montbéliard, Besançon, trois CDN : Dijon Besançon, Colmar, rien. Ah Basel, enfin, un Dom Giovanni, 70 € la place, il m’a l’air insipide.
Un bon point pour le TNS , des roses et du jasmin, pièce palestinienne, ça joue mais j’y suis allé cette semaine. Donc RIEN.
Heureusement en Suisse, le 5 mars il y aura cette fête surréaliste et géante, les chariots de feu à Liestal.
12 mars 2017 . Villars printanier
Franchement qu’un présidentiable comme Fillon cite Jeanne d’Arc qui demandait à ses juges “passez outre, je vous prie” m’enchante. C’est un véritable appel à la désobéissance civile . Il y a tant de lois idiotes qui méritent de de ne pas être respectées que je veux bien en faire mon slogan. Oui, quand il le faudra, je passerai outre.
Samedi 18 mars 2017. Malakoff. Gris
Retour de Marseille, quatre jours où j’assiste aux travaux des apprentis d’une formation de théatre de rue, transformée maintenant en art en espace public.
Je suis parti avec un mauvais goût et une amertume dans la bouche. J'ai peur d'être aussi médiocre que ce que j'ai vu.
Le théâtre de rue n'a qu'un intérêt c'est d'aller vers les vrais gens, or il a abandonné cette direction, c'est pareil que l'autre théâtre mais en moins bien. Maintenant c'est la course aux dates dans un entre -soi étouffant. La force du theatre c'est de pouvoir parler à des illettrés et là nous ne jouons et ne voulons séduire que nos pairs pour jouer dans leurs festivités. Je n'en peux plus, car je suis un couard, je n’ose pas trop m’exprimer car c’est ce monde -là qui me nourrit. Delaroziere le concepteur des machines de Nantes et ex compagnon de Royal de Luxe pense que la ville nous ouvre ses bras et que nous devrions être des transformateurs de vie urbaine. Je comprends ce qu’il dit.
Dimanche 26 mars 2017. TGV Paris Belfort Montbéliard. Printanier
Me voilà invité sur un plateau de télé comme témoin de la campagne présidentielle pour parler de culture. Je suis un vrai provincial, étonné par le prompteur, et surtout par l’absence de caméraman, cinq caméras automatiques sont télécommandées d’une cabine que je ne vois pas. Impressionnant. Face à moi, le Maire de Versailles, et Frédéric Mitterand, à coté de moi un humoriste Yassine Bellatar. Tous habitués à l’exercice, moi le vrai “bleu”. Le journaliste Ahmed Tazir originaire du pays de Montbéliard ne manque jamais d’être reconnaissant à l’Unité de l’avoir arraché à un destin “Peugeot” tracé d’avance. Le neveu de Mitterrand est infatué et d’une suffisance extrême. Il est le représentant de la seule culture qui vaille, la Culture haute. Il cite Boulez et tente de m’enfermer comme un vil représentant du bas-art populaire.J’ai réussi quelques saillies, mais encore trop timides. Il faudrait absolument que nous puissions faire intrusion dans ce milieu des médias qui n’est qu’à leur service exclusif.
PRESIDENTIELLE 2017 : ET LA CULTURE ALORS ?
Dimanche 2 avril 2017. Malakoff. les fleurs affleurent
La France est fiévreuse, il n’y a plus de repas qui ne se terminent pas par : “ alors tu as fait ton choix pour le 23 avril” ? Mon cousin c’est Fillon, ma soeur, c’est Macron, ma fille c’est Mélenchon, et pour tous les autres l’abstention, et moi et moi ? je n’ai pas encore décidé. Du jamais vu, l’incertitude totale, Passera passera pas? Et dernier phénomène en date, il y a une espèce d’animal politique qui plus tu le frappes, plus il devient fort, plus tu le renforces. Il n’est pas né celui qui mettra KO cette teigne de Philippot, et le Fillon est une espèce d’insecte indestructible, même les pesticides n’en viennent pas à bout. Alors ma prédiction, sachant que je me trompe toujours à moitié. Un attentat terriblement meurtrier va frapper la France le 14 avril… Toutes les cartes seront bouleversées, et on fera l’Union Nationale. On annulera les élections et on mettra un collectif de 11 présidents en place pour sauver la France.
Dimanche 9 avril 2017. Villars les Blamont. Anti-cyclone
Hélène a la fibre quartier. Elle offre et fait du partage de culture à ceux qui sont naturellement écartés de ce monde-là. Elle s’est achetée un bus qu’elle a aménagé en lieu de vie original et agréable. Helène est sans arrêt sur le pont, ateliers masques, ateliers théatre, ateliers cuisine etc. Elle écrit aux pouvoirs publics, n’a pas de réponse ou se fait refouler. Ils ne comprennent pas qu’Hélène est d’une utilité sociale incomparable et que c’est une chance de l’avoir sur notre territoire.
Samedi 15 avril. Villars Maussade
Je me sens bien ce matin. Bizarre. En fait j’ai vu hier soir Bovary de Tiago Rodriguez, et j’ai fait une petite réaction cathartique.
Le théatre quand cela fonctionne est plus fort que tout, c’est un peu un remède -miracle, qui vous aide à mieux comprendre la vie et donc vous allège.
Après avoir vu la pièce, je me sens plus intelligent, Flaubert est démonté, on en voit toute la complexité. Comment et pourquoi tant de personnes tout en aimant leur conjoint sont prises d’un désir furieux d’aller voir ailleurs ? Ce n’est pas vraiment de la tromperie, ou du cocufiage, mais un débordement d’amour, puisque souvent cela peut renforcer l’amour central.
Bref, tous les problèmes de désirs me passionnent, et quand parfois je n’ai plus envie de rien, ni d’art, ni de nature, ni de nourriture, ni d’héroïsme, il n’y a guère que des lèvres fraiches et des yeux amicaux qui peuvent me sortir du pétrin.
Lundi 24 avril. Ciel bien bleu. Malakoff
Soirée électorale : huit mois que le suspense est mis en scène, et que les métaphores abondent, sportives, le plus souvent. J’adore écouter les déclarations, les commentaires les plus divers. Et ce qui me frappe, c’est la tempête de médiocrité et de banalités qui s’abat sur le pays. Catastrophe écologique du langage, lieux communs. Je suis saoulé. Mais au milieu du déluge de mots et de théories, le seul langage que l’on comprenne aisément, c’est celui de celle qui répète inlassablement et sans complexe la formule qui lui permet d’accéder au second tour en toute tranquillité : Dehors les étrangers !
Samedi 29 avril 2017 Malakoff . temps frais . ensoleillé
Je n’ai pas trop envie d’insulter les millions d’électeurs de Marine Le Pen, et en même temps je pourrais leur dire qu’ils votent pour le désastre. mais pour eux, le désastre il est déjà là.
Je vais être obligé de faire un point Godwin. (Toujours tout ramener au nazisme). Oui, les juifs autrichiens n’avaient pas peur d’Hitler, ils lui faisaient confiance. Ils ne s’affolaient pas. Il est vrai nous ne pouvons pas imaginer une politique d’épuration ethnique en France , l’internement des opposants et autres mesures discriminatoires, et pourtant cela arrive pas très loin de chez nous.
Lundi 8 mai 2017 Villars les Blamont. La pluie
Je regrette mon vote, je me suis fait avoir par toutes les sirènes hurlantes. Dès son premier discours, j’ai bien compris le message, “Je remercie ceux qui n’ont pas voté selon leurs convictions, mais en même temps, je me dois de rester fidèle à ceux qui m’ont élu pour mon programme”. Alors nous l’avons bêtement fait passer à 66 % mais si l’on calcule avec les abstentions et les nuls et les blancs, on a 81% de la population qui n’est pas pour ce produit marketing et de son sacre quasiment religieux . “Du haut de cette pyramide, 39 ans vous contemplent”! Mais oui, l’âge de Bonaparte. Et 11 millions de voix pour le FN, 55% dans mon propre village. Non, ce n’est pas la fête.
Samedi 13 mai 2017. Villars les Blamont. Nuages 18°C
Je suis paniqué à l’idée qu’un jour je n’aurai plus de désir, je parle de désir en général.
Les pannes ça existe : “je ne veux rien, je n’ai envie de rien, je n’aime personne” , c’est le docteur dans l’oncle Vania qui dit cela. Ou l’ envie de rien, Kafka, la dépression quoi...l’antichambre de la mort, mais je ne sais pas s’il y a des textes sur trop de désir…
Ce matin, mes vêtements craquent de partout, je veux tout embrasser d’un seul coup, je veux courir dans les prés, je veux user mes lèvres contre les tiennes, je veux faire de la musique, je veux dire le transsibérien, déclamer le bateau ivre à la montagne, et je te veux toi, oui toi, oui je veux tout, tout de suite,
C’est trop bizarre, le corps accumule des traces d’ancienneté , mais le désir, lui, il ne connait pas le vieillissement, il veut tout, tout de suite.
Lundi 22 mai 2017. Marseille
Je devrais aller trop bien, alors pourquoi je vais trop mal ?
Pendant une semaine à Marseille, j’ai vécu hors du monde avec comme unique souci la recherche d’une poétique absolue, d’une nuit spirituelle fluide immatérielle, mais en même temps, à cause des budgets trop serrés et du déficit menaçant comme une hydre, alors que je croyais toujours en avoir fini avec les courses dans les Casino, Promo cash, Aldi, Grand Littoral, il en fallait toujours plus pour les acteurs affamés, assoiffés, en demande d’alcool, de sucre, de vitamine C, et je cherchais en vain dans les rayons un tube de lait concentré tout en révisant dans ma tête le passage de Proust qui m’était alloué, parce que non seulement il y avait les repas, mais les goûters , les petits déjeuners et les abricots pour les dormeurs, et j’avais l’impression d’une tâche infinie et au petit matin, une fois bien sorti de l’ivresse ludique, il fallait se poser la question métaphysique de fond : et si ces boudins gonflables censés rendre le sommeil confortable étaient en fait une fausse bonne idée ?
Dimanche 28 mai 2017. Malakoff 31°c prévus
J’écris un billet sur Facebook, 200 partages, cela veut dire que cela a de l’écho. On me dit : envoie ça à la nouvelle ministre. je suis fatigué par avance à l’idée que rien ne changera . Je dis quoi ?
Je dis juste que pour les favorisés et les diplômés tout va bien, ils ont de quoi s’alimenter. D’ailleurs j’ai décidé d’arrêter de critiquer sans arrêt le public chic. A la MC 93 de Bobigny, c’est si clair, dès le métro tu remarques les 4 personnes qui font tâche et qui vont tout droit voir le spectacle de Platel.
Il faut accepter l’idée que la communauté des intellectuels a droit à un Art qui lui soit réservé. Je dis juste que la Ministre, elle a une autoroute pour s’imposer, ce serait de s’occuper de la culture interstitielle, celle de l’ombre, celle des territoires, celle de la proximité, car ces 90 % de français eux aussi et même en priorité ont des droits culturels.
Malakoff, 3 juin. 2017 18°c
J’ai des valeurs qui m’ont été greffées dans le fond de ma cervelle encore enfant, et je ne peux pas m’en défaire.
On m’a inculqué de la hiérarchie.
Bien- sûr que lorsque quelqu’un se présente à moi comme énarque, polytechnicien, et ambassadeur de France, je suis plus impressionné que par celui-là qui est accompagnateur d’handicapés dans un quartier dit difficile en province.
Et pourtant je sais bien que toutes les personnes qui ont de la valeur, et qui sont utiles à la société sont toutes situées au bas de l’échelle sociale, c’est là qu’on y rencontre des gens absolument formidables, et qui n’auront jamais aucune distinction, et qui même plus, auront droit à toutes les primes de mépris possible de la caste auto-proclamée supérieure.
Chalons en Champagne. 11 juin 2017. 28 °C. Elections législatives
C’est vraiment un exercice périlleux. Je dois envoyer un mot de remerciement à Christian Bobin qui m’a envoyé son dernier recueil. Je suis bien obligé de le complimenter, mais vu qu’il sculpte ses mots avec brio, je ne peux pas lui envoyer un banal “merci c’est sympa”. Au festival Furies de Chalon, j’assiste à des premières, je connais l’angoisse des premières et de ne pas percevoir les pensées du public. Alors je ne me dérobe pas. Malgré la gêne je monte au créneau. Certains artistes sont maladroits : “alors t’as trouvé ça bien” ? Ils me rappellent les amoureux qui demandent à leur partenaire. “ça va, tu m’as trouvé performant “ ?
Samedi 17 juin 2017; Malakoff . 28 °C
Les résultats des législatives sont annoncés avant même que l’on soit allé voter. Cela ne donne pas très envie. L’Assemblée Nationale une fois de plus ne représentera pas le pays, puisque ce scrutin majoritaire à deux tours est tout sauf démocratique, et que le nouveau président n’aura quasiment aucun contre-pouvoir, aucune opposition pour le contrer. Et moi, je n’arrive pas à donner ma voix à un candidat Macron qui ne dit pas le moindre mot sur les drames humanitaires qui ont lieu aux portes de Paris ou à Calais avec cette interdiction insensée : il est interdit de donner à manger aux migrants.
Dimanche 25 juin 2017. 25°C TGV entre Lyon et Paris
On se sent repu le dimanche matin quand on a joué deux fois la veille. C’est Jean Louis Barrault qui pratiquait la métaphore du théâtre et de l’amour. Une espèce de satiété envahit le corps, on se sent rempli d’endorphines , notre sang se purifie. Le théâtre est nécessaire à mon équilibre psychique personnel. Et puis la lettre à Charlotte va être enfin publiée en novembre 2017 à l’Harmattan, cela me fait plaisir ; depuis 4 ans je rassemble des petites théories sur le théâtre dans un livre qui fera 160 pages. Je n’y peux rien, il y a des matins où l’on se sent bien.
Samedi 1er juillet 2017 Villars les B. 13 °C
je m’ennuie je m ‘ennuie
tout est ainsi tout est comme ça,
le monde ne change pas, le nouveau , le neuf où se nichent t’ils ?
Dans les Arts rien ne bouge, tout est pareil, tout se formate, tout se ressemble
tous les livres tombent de mes mains
je cherche la vraie vie, je voudrais bien trouver un maître spirituel
Dites-moi, où se trouve l’exaltant ?
il me reste à crier mes poèmes dans les chemins de boue
pour les chevreuils et les sangliers.
9 juillet 2017. Brioux sur Boutonne (près de Niort) . 30 °C
C'est le commencement qui est le pire, puis le milieu, puis la fin. A la fin, c'est la fin qui est le pire. - Beckett
J’adore cette phrase. Parce que trop souvent je vis la littérature et le théâtre comme de véritables pensums. J’ai la sensation que la classe dominante nous a greffé des valeurs hiérarchisantes avec tout en bas le théâtre populaire, méprisable, et tout en haut l’ésotérisme, le grand Art.
Et puis voilà que je regarde les images incroyables de Royal de Luxe au Havre et Jean Luc Courcoult qui ose dire que le “populaire” a la mémoire des grands rassemblements du théâtre au Moyen âge. Il me décomplexe, pendant que toute la presse bourgeoise encense Avignon et nous assène ses valeurs toxiques qu’elle réussit à faire passer pour l’unique Vérité.
15 juillet 2017 Villars les Blamont. 20 °C
Polémique à propos d’une petite phrase de Régine Hatchondo directrice du théâtre au Ministère de la culture aux CDN : “vous ne me faîtes pas rêver”. Et tous les directeurs de crier au scandale alors que dans un entretien au Monde, Pommerat déclare que les institutions ne sont plus en phase avec les jeunes créateurs et ne souhaite pas diriger le moindre théâtre.
Pourquoi Vilar et Planchon m’ont ils fait rêver ? Pourquoi le Berliner ensemble et la Taganka de Moscou m’ont - ils fait rêver ? Pourquoi le théâtre du peuple m’a fait rêver ? et le théâtre du Soleil ?
Pourquoi j’aime le Channel de Calais ? Alors que j’ai une fâcheuse tendance à rejeter les institutions d’aujourd’hui tout en leur demandant d’y jouer car ce sont les seules capables d’accueillir des distributions de 18 personnes, Et encore là, j’exagère puisque le festival de Brioux sur Boutonne vient d’accueillir deux séances magnifiques d’Oncle Vania à la campagne. Il faut vraiment s’interroger sur le rituel d’une représentation. Vilar disait que dans un théâtre tout doit être Art, depuis les courriers, les programmes , l’accueil, le bar, la troisième mi-temps. Les théâtres doivent être des maisons. On doit s’y sentir chez soi.
Lundi 24 juillet 2017 Villars la pluie et la fatigue
Après ces 3 nuits Uniques, j’ai la sensation d’avoir traversé la Méditerranée sur un petit rafiot, et j’arrive et je suis perdu désemparé, je repasse dans ma tête sans arrêt le film de ce que j’ai vécu. Je voudrais bien revenir au monde d’aujourd’hui, je plane. On a fait sept heures de spectacle mais aucun d’entre nous n’a fait le spectateur couché qui dort ou qui veille . Donc on ne sait pas ce que cela donne. J’ai perdu ma voix, sous le coup de l’émotion, car c’était un moment que j’attendais depuis trop longtemps. Depuis plus de 50 ans j’emmagasine des poésies et je les gardais pour moi, et d’un seul coup je les profère et je mêle ma voix aux univers des acteurs qui font la nuit avec moi et c’est énorme et c’est trop beau, sauf que l’on ne sort pas indemne d’avoir été trop loin, et on a plutôt envie de mourir que de retomber dans la vie triste, grise, misérable, banale et ennuyeuse.
Samedi 29 juillet Malakoff 27°C
Ils nous avaient promis une fois élus de ne pas nous oublier, de nous écouter, de revenir à la vraie démocratie, le pouvoir du peuple. Pfuitt ! Nous sommes déjà oubliés, abandonnés, méprisés. Demandes de rendez- vous sans résultats, lettres sans réponses. Ils s’emparent du pouvoir et le gardent pour eux. La Ministre si bien accueillie, la Nyssen, est déjà enfermée dans son cabinet pour élaborer une banale politique culturelle, toujours la même, qui ne sera jamais appliquée. Zéro concertation. J’agite les bras en vain, je m’appelle Livchine, j’ai écumé toutes les Scènes Nationales, je connais tout le passé du théâtre public depuis un demi-siècle, je voudrais vous parler, vous expliquer, vous faire des propositions concrètes, mais je parle dans le vide. On n’arrête jamais d’enterrer l’espoir.
Samedi 5 août . Odessa Ukraine. 36°c
J’ai besoin de moments forts pour m’arracher au quotidien banal de la vie de tous les jours.
Je me rends donc en Ukraine à Ismael car la famille Livchine est issue de cette bourgade sur la frontière roumaine , j’ai quelques photos de mon arrière grand père maître de postes, c’est tout.
Le cimetière juif est caché derrière une vieille porte de ferraille pour éviter les profanations. Je suis avec ma soeur, Ketty, ma fille Dana, et ma petite fille Gaia, et d’autres encore. Et là, miracle, il y a plus de mille tombes et d’un coup d’un seul, en moins de trois minutes je retrouve mon nom en cyrillique sur une pierre tombale. Alors avec Gaïa, nous décidons de jouer de la musique pour le Livchine qui est en dessous, car j’adore réveiller les morts
13 août 2017. Nevers . 18°C
Ils nous avaient bien dit que l’exercice de la démocratie était leur passion, que le citoyen allait enfin être au centre, que jamais une fois élus ils ne nous oublieraient. On a viré les socialistes pour ça, on a fait du dégagisme. J’ai écrit à la Ministre de la Culture, la perle de notre nouveau gouvernement. Or tout recommence comme avant, pas de réponses. Trompé une fois de plus. Concertation zéro. Et là je suis en colère, ils vont distribuer 100 € par jeune sous forme de bons d’accès à la culture, soit une dépense de 1 milliard en 3 ans, à qui cela va servir ? Bien sûr à ceux qui fréquentent les lieux culturels, les enfants des familles aisés. Quand j’arrivais à Montbéliard, Peugeot distribuait à 50 ouvriers tirés au sort des places gratuites à chaque spectacle. Les 50 places achetées, donc réservées sont toujours restées vides . Donc ce pass culturel va être l’objet d’un trafic monumental comme cela l’a été en, Italie.
je veux parler à la Ministre, lui dire que l’accès aux lieux culturels est ma passion depuis 50 ans et que j’en connais tous les méandres.
20 août 2017. Nantes. 23 °C
La caisse ouvre à 14 H. Dès 7 du matin la queue commence. C’est pour Royal de Luxe à Nantes. Les 800 places partent en un clin d’oeil. Royal de Luxe garde toujours l’éthique de la gratuité.
J’aime cette ferveur du public, c’est comme cela que j’aime le théatre lorsqu’il provoque passion et engouement. Le spectacle s’appelle “miniatures” et il est grand, et pourtant on n’est pas dans le gigantisme, mais il s’agit tout simplement de parler du monde d’aujourd’hui avec poésie et onirisme. Royal de Luxe n’est jamais passé dans le Pays de Montbéliard, d’habitude les budgets sont trop importants, là c’est accessible. Il faudrait absolument que le pays de Montbéliard invite ce spectacle. Ai-je la moindre influence sur les prescripteurs de spectacles ?
26 août 2017. Aurillac le Vignal. 30°C
Aurillac. Vous avez trouvé de quoi vous loger ? Oui dans mon camion. Et pour les sanitaires, on a creusé un trou, cela fait une toilette sèche. Mais le reste de l’année pour de nombreux jeunes artistes de théâtre, c’est la même chose. ils n’ont pas de quoi se payer un loyer. Je suis un peu abasourdi par cette paupérisation. Et malgré tout, la joie d’être ensemble dans les rues d’Aurillac est absolument ravageuse. Cela rit ,chante, danse, absolument partout. Les marchands de bière sont pris d’assaut. 600 compagnies de théatre de rue, du spectacle partout, mais ici le théâtre n’est qu’un prétexte, c’est l’atmosphère spéciale que l’on recherche. Certains repèrent des snipers sur les toits, les sacs sont fouillés à l’entrée, pourtant l’état d’urgence ou la précarité sont vite oubliées. Ici le mot d’ordre est clair : on se fout de tout , on s’enivre, on est ensemble.
3 septembre 2017 . Villars les Blamont. 20°C
J’ai récemment serré la main du metteur en scène Adel Akim à Strasbourg après avoir vu des Roses et du jasmin , un spectacle important sur la Palestine avec des palestiniens jouant des juifs, ce qui est tout à fait rare comme démarche. Adel était déjà privé de la parole, atteint d’une maladie inguérissable, et donc il avait commandé son suicide assisté à Zürich pour le 30 août. Le coût d’un tel acte, interdit en France, est de neuf-mille € , crémation comprise. Les billets de train étaient réservés pour Adel et les amis qui devaient l’accompagner. Le 15 août il écrit sa lettre d’adieu “adieu chers vivants”. il remercie l’ association Dignitas, qui abrégera ses souffrances, et là manque de chance, dirais-je avec cynisme, il décède juste avant le départ pour la Suisse. Notre cerveau gravement endommagé par le monde marchand nous susurre en silence : Sera t-il remboursé au moins ?
10 septembre 2017. Malakoff. 16°C
J’ai envoyé des dizaines de mels et de lettres pour attirer l’attention des établissements de culture subventionnée sur notre dernière expérience fabuleuse : la Nuit Unique, et je n’ai même pas obtenu le moindre mot, le moindre refus, le moindre je- n’ai -pas -le -temps, non rien tout simplement rien . Mépris, ignorance.
Jamais on ne se demande ce qui peut pousser un homme à devenir si violent, que non seulement il se tue lui -même mais il aime en entrainer des dizaines d’autres. Je vous l’avoue, ce sentiment de haine à l’égard du monde, et l’envie de faire tout sauter, je le possède en moi.
18 septembre 2017. Audincourt. 7°C
On va fêter les 17 ans de l’Unité à Audincourt et les 17 ans qui nous restent de vie en étant très optimistes. La cérémonie va se transformer en éloges funéraires avec ce qu’il faut d’hypocrisie. Je compte casser la cérémonie ronron et convenue avec un langage de vérité. Leur dire que la Gauche dès son arrivée en 2008 aux affaires du pays de Montbéliard avec l’inculte Moscovici a abandonné l’idée que la culture puisse s’adresser à la ville toute entière ; on nous a rangé dans un petit coin et on nous a demandé de nous taire. Une compagnie de théâtre peut difficilement faire reculer le pouvoir politique, il eût fallu partir, mais à 65 ans, tout recommencer nous a fait peur…Il faudrait que le 7 octobre, les discours soient révolutionnaires, vrais et musclés.
Dimanche 24 septembre 2017 TGV de Paris à Montbéliard
C’était un débat organisé par le Monde aux Bouffes du Nord , le sujet : comment toucher les exclus de la Culture. En présence de la nouvelle Ministre : François Nyssen. 7 € la place, j’allais enfin pouvoir lui parler en direct sur le sujet que je ressasse depuis 49 ans. Or un des invités, Vincent Carry, a dit mieux que moi tout ce que je pensais. “L’offre culturelle publique s’adresse à ceux qui en ont le moins besoin : les populations protégées et âgées des centres ville. Une aristocratie culturelle s’est mise en place et délaisse les jeunes, les milieux populaires d’où la priorité qu’il y a à renforcer le tiers-théâtre, et toutes ses initiatives”. Ce que moi j’appelle la culture “interstitielle”. La Ministre a dit : ah oui, c’est exactement ça. Une fois de plus on va attendre, mais on sait d’avance que si elle touche aux privilégiés elle fera partie du premier remaniement.
Dimanche 1er octobre 2017. Villars les Blamont. 14 °C
Lea Salamé tente de lui planter quelques banderillles, mais Edouard Philippe a appris à l’ENA à esquiver tous les coups, à parler avec aisance de ce qu’il ne connait pas. Et pourtant et pourtant, une seule fois en 150 minutes, il a été déstabilisé. Non ce n’est pas Sapin, l’ancien ministre, ni le PDG Thierry Breton, ni Mélenchon, mais non, simplement une femme modeste, emploi aidé de chez Emmaus qui sans agressivité lui a dit : vous voulez faire des économies, soit, mais pourquoi ne pas commencer par le haut ? Pourquoi vous attaquer aux précaires en priorité ? Et cette simple phrase de bon sens lui a fait sentir le manque de réalisme de son gouvernement, il a alors baissé les yeux, et on a senti qu’il avait honte.
Lundi 9 octobre 2017 Audincourt. Pluvieux . 7°C
Ainsi donc nous avons signé une convention de 17 ans avec la ville d’Audincourt. il est stipulé que cette convention s’arrêtera avec la disparition d’un des deux impétrants et que le théâtre de l’Unité n’existera plus que comme souvenir, car l’esprit “Unité” cela ne peut pas se transmettre.
Ce week -end des dix -sept ans a été marqué par un débordement d’amour, jusqu’à des témoignages écrits : Multiplions les Hervée et Jacques. Et puis on voit de gigantesques gisements d’énergie humaine, des gens qui veulent “faire”, des dizaines de bénévoles nous aident à tous les postes, et aussi un tiers -théâtre très fort . Les gens sortent tous bouleversés par le spectacle de Thierry Combes ; Jean Pierre lui et moi . Le revers de la médaille, c’est que nous sommes quasiment victimes d’un culte, et que les gens perdent tout esprit critique à notre égard.
Dimanche 15 octobre. Villars les Blamont Beau temps. 23°C
Une sensation bizarre, un besoin de savoir ce que les gens pensent de nous, vraiment, sincèrement. Je demande à une personne digne de confiance d’interroger ici ou là, les gens de théâtre à Paris et de leur parler de l’Unité. Sommes nous rejetés, oubliés, admirés ? Un petit sondage rapide en quelque sorte. “L’Unité, ah ? Ces vieux croutons sont encore vivants ? . Eh oui. La province reculée, pas d’Avignon depuis 11 ans, pas de Paris depuis 10 ans, pas d’article dans la presse nationale depuis 3 ans. On nous enterre vivants. Je prends le résultat comme une claque en plein milieu de la figure. Va falloir remonter sa cote au firmament des artistes vivants.
Dimanche 22 octobre 2017. Lyon. 15°C
Il y a un climat de chasse à l’homme. Ce n’est plus qu’une longue litanie de noms d’hommes célèbres qui profitant de leur position supérieure ont abusé de centaines de femmes. Je me tais. Car il m’est arrivé moi aussi d’avoir été traversé de désirs clandestins et illicites. Il m’est arrivé de susurrer ce poème d’Apollinaire : “ouvrez moi cette porte où je frappe en pleurant”. Il m’est arrivé d’avoir été insistant. Mais j’ai toujours appliqué scrupuleusement la devise de Nicolas de Chamfort : “jouir, faire jouir mais ne pas faire souffrir”.
Samedi 28 octobre 2017. Villars 6°C
J’apprends par un journal sérieux qu’un bon remède contre la dépression c’est une nuit blanche. Bel argument de vente pour notre Nuit Unique.
Mon remède contre la déprime et l’ennui, c’est le transsibérien de Blaise Cendrars, un poème de seize pages. Je le sais par coeur, le dire sans faire aucune faute, ce n’est pas si facile. Je me dis que je n’aurai pas lu dix mille livres dans ma vie, je n’aurai lu que le Transsibérien et Arthur Rimbaud mais tellement en profondeur que cela vaut dix mille livres parcourus superficiellement.
Vendredi 4 novembre 2017. Audincourt. 17°C
C’est l’heure de l’évaluation. Qu’avez vous retenu des deux semaines passées en compagnie du théatre de l’Unité ? Laetitia répond la première : “la palpation”. Je suis perplexe, on a fait des exercices de Barba de Grotovski, on a monté une pièce de 12 mn, on a fait des rencontres extraordinaires et Laetitia ne cite que la “palpation”. La palpation, c’est un délire autour du plan Vigipirate, où les filles fouillent les hommes, et ne manquent jamais de leur palper les testicules. Une sorte de revanche pour que les hommes prennent conscience de ce que vivent les femmes en permanence. Marie ajoute : “nous avons appris que rien n’est impossible”.Faut juste que je signale que l’exercice le la palpation se transmet en moins d’une minute.
Dimanche 12 novembre 2017 . Cannes 20°C
Il y a beaucoup de métaphores sur la fin de vie. Style : le bout de chemin, on commence à voir le panneau arrivée, ou ça y est, nous amorçons notre descente, nous allons redevenir poussière etc.
Et moi, pas du tout, j’ai l’impression que nous allons enfin atteindre le point culminant de notre parcours, l’épanouissement complet, la félicité totale, l’accomplissement et le dépassement de tous nos tourments. Nous sommes en train de rassembler toutes les idées, tous les concepts que nous avons inventés, dans un chantier incroyable
Tout ceci m’apparait clairement après avoir joué les chambres d’amour dans un palace de Cannes et avoir rencontré un mécène de la mairie, propriétaire d’hôtels et producteur de théâtre privé, et j’ai clairement décrypté en lui un monde agonisant. «Adieu la vie ancienne, bonjour la vie nouvelle». Ah encore et toujours Tchekhov.
Dimanche 22 novembre 2017. Audincourt 4°C
Je commence à lire un livre et je ne m’arrête plus, je suis passionné. Cela parle de théâtre, mais pas de n’importe quel théâtre, cela parle de tout ce que j’aime dans le théâtre. L’écriture est légère, incisive, je comprends tout. J’y retrouve des petites lois pratiques sur l’exercice du théâtre.Très bizarrement je suis d’accord avec tout ce qui est dit, cela ne m’arrive quasiment jamais. Il y a de la certitude et du doute, et en filigrane de l’inquiétude. Je ne sens plus le temps qui passe, je ne décroche pas, je ne m’endors pas. Quand j’arrive à l’ultime page, la page 150, je regarde la couverture, et je m’étonne du nom de l’auteur. Mais oui, Livchine, c’est moi. étrange.
Parce qu’en fait, je l’avais commencé il y huit ans, je ne trouvais pas la forme, et puis finalement en 2013c’était prêt, mais je l’avais rangé et oublié. Mais une femme qui s’appelle Lee Hee Kiung a fait en sorte qu’il soit édité à l’Harmattan. Et donc le 29 novembre ce sera la sortie officielle.
Samedi 25 novembre 2017. St Pierre des Corps. 10°C
La sagesse populaire a coutume de s’exclamer lors d’une disparition “un de perdu, dix de retrouvés”. Or pour moi certaines personnes qui faisaient autorité dans leur domaine ne sont pas remplacés.
Py n’est pas Vilar, Eric Emmanuel Schmitt n’est pas Molière, Jamel n’est pas Coluche etc. Alors nous voilà bien obligés de tisser notre système de valeurs sans aucune aide. Il n’y plus d’autorités indiscutables.
Pour le théâtre, seuls Eugénio Barba, Peter Brook Ariane Mnouchkine me tirent vers le haut, mais en général, j’ai la sensation constante de naviguer au milieu d’un océan de médiocrités.
Dimanche 3 décembre 2017 . Villars les Blamont -3°C
J’ai la naïveté de croire que le théâtre peut servir à dénouer des imbroglios que les hommes politiques n’arrivent pas à régler.
Israël Palestine, on n’en voit pas la fin, c’est parti pour une guerre de cent ans. C’est une tumeur cancéreuse. Il faut que des artistes, des auteurs , des metteurs en scène du monde entier s’attellent à aborder cette question douloureuse.
Adel Akim l’a fait avec des acteurs palestiniens, Barenboïm a monté un orchestre israélo palestinien ,et là c’est Wajdi Mouawad qui s’empare du sujet avec beaucoup de dextérité. C’est joué en 4 langues, hébreu, anglais allemand arabe, tout part d’un problème de famille très classique, un juif amoureux d’une palestinienne, cela m’a passionné. Moi je dis : là le théâtre joue son vrai rôle fondamental. Je ne dirai plus jamais de mal du théâtre de la Colline.
Dimanche 10 décembre. Malakoff. Pluie, vent
La mort de Johnny, c’est de l’ordre du séisme, et puis peu à peu c’est l’overdose dans les informations.
j’aime dire qu’il avait exactement mon âge, comme Serge Lama, Bernard Tapie, Mik Jagger, la génération 1943.
Ce que j’appréciais en lui c’est sa manière d’assumer ce qu’il chantait, en appuyant sur chaque mot, chaque syllabe en l’enfonçant dans la terre, c’est son assise au sol que j’aimais.
Ce que j’appelle un art “pour réveiller les morts”.
Oui, il est est dans la lignée des Piaf et des Brel. Il a créé une légende, alors on oublie le reste, évadé fiscal etc
Dimanche 17 décembre. Malakoff. 4°C
Que fait un juif ashkénaze quand il se réveille en forme ? Il se recouche. Je suis atteint par ce syndrome. Je trouve que tout va trop bien, hier la représentation était trop excellente, la neige trop silencieuse, le magret trop succulent, les gens trop gentils. Mais savoir que cet état quasi béat de bien- être ne pouvait pas durer, me torturait la cervelle. Ma souffrance était totale. La machine à bonheur allait s’enrayer dans les prochaines heures.
La lucidité, ça empêche d’être heureux.
Samedi 23 décembre 2017 Toulouse 10°C
Mon livre est sorti. parfois je me sens obligé de l’offrir à ceux et celles qui nous ont bien aidé dans la vie, mais je sens bien que ceux là ne l’ouvriront jamais. C’est comme le psychanalyste, tu dois le payer pour que cela fasse effet.
Hervée a fait de la salle de bains de sa résidence secondaire un petit musée Unité. Des souvenirs, des photos que je n’ai jamais vues, et déjà j’ai l’envie de sortir un nouveau livre non pas avec les photos des pièces mais celles des divers actes poétiques radicaux et éphémères dont nous avons été coupables en un demi siècle. Au Liban devant une école coranique, en Nouvelle Calédonie pour des canaques, dans la jungle de Calais, couchés devant le Transsibérien à Novosibirsk, et quand nous jouions pour les chiens, et le petit cochon de la guillotine géante, et sur le haut d’une tour devant 40 000 personnes au réveillon des boulons, et sur le toit du palais des papes, et à Houston la Bastille qui s’envolait, et sur la place Tien an Men à Pékin avec des souris.
Calais, 31 décembre 2017, pluie, vent; 8°C
Quelques minutes avant de jouer à Calais pour le passage à l’an 2018, j’écris ces mots. Nous aimons les défis, mais parfois la barre est placée trop haut, et nous risquons de nous écraser.
La commande du Channel est de faire chanter par tout le public rassemblé-on parle de 10 000 personnes- une vingtaine de chansons populaires. La grande inconnue ; le public va t-il accepter de chanter ? On a tellement parlé depuis des années du public trop passif, que l’on passe d’un extrême à l’autre. Les écueils sont nombreux. Nous n’avons pas envie du coté, ensemble donnons nous la main et chantons, le côté patronage, feu de camp. Nous avons voulu glisser quelques grains de poivre, mais notre crainte est de nous tromper de dosage. Nous qui parlons sans arrêt d’être populaire, c’est le moment de prouver que nous savons l’être sans démagogie.
2018
Samedi 6 janvier 2018 . Mouthe (Haut Doubs) 6°C
Une semaine que la page du réveillon de Calais est tournée et depuis une semaine je m’interroge sur notre demi -échec. Il y a bel et bien eu un dysfonctionnement quelque part, les gens n’ont pas aussi spontanément chanté qu’on l’aurait souhaité, c’était un peu une épreuve de force. En vérité, nous détestons les manipulations classiques du public, nous nous l’interdisons : Bonjour Calais ! Je ne vous entends pas, plus fort ! Et de plus, pour tous ces gens qui étions nous ? Pour Lavilliers, Julien Clerc, Catherine Ringer il y aurait eu communion, or nous sommes tout sauf des stars, et si une centaine de personnes nous connait bien, pour les autres nous n’étions que des moins que rien, et de plus, la grosse sono chargée de lancer les chansons éteignait plutôt que stimuler. Et puis, ce qu’on a bien constaté c’est qu’avec notre Johnny Smeet, immédiatement cela fonctionnait parfaitement. Les personnages étaient carrément une FBI (fausse bonne idée ). Moralité : ne t’aventure pas sur des terres inconnues sans essai préalable.
Samedi 13 janvier. Villars les Blamont. 0°C
Charlotte, - gradée universitaire- me demande à brûle- pourpoint des renseignements sur la sexualité des septuagénaires. On nous imagine comme des retraités de l’amour, mais c’est tout le contraire, nous sommes gravement inflammables, notre libido est éprise de jeunesse. Les patriarches qui ont écrit les préceptes religieux n’ont bien entendu placé aucun interdit sur les différences d’âge. Certes, nous avons perdu un peu de notre fougue performatoire. Charlotte veut des précisions. Mais oui, la femme de 25 ans aux fins poignets que nous avons épousée, est une grand mère ridée , mais ne t’inquiète pas, elle est encore capable de nous faire revivre les sensations d’antan.
Dimanche 21 janvier 2018. Malakoff 6°C
Les morts disparaissent de nos mémoires. Et moi je ne le cache pas, j’ai envie de laisser des traces, histoire de ne pas être oublié trop vite. Je suis content d’être cité dans l’histoire du théâtre dessiné d’André Degaine ou dans une encyclopédie du théâtre. Si j’ai écrit cette lettre à Charlotte, conseils du théâtre de l’unité à ne pas suivre, c’est que je n’avais pas envie d’emmener dans ma tombe tout ce que j’ai appris du théâtre en un demi- siècle. L’Harmattan l’a publié. Ouf.
Un autre livre vient de sortir sur Trappes : la communauté chez Albin Michel. Nous avons oeuvré sur ce territoire pendant 7 ans, de 1978 à 1985. Avons -nous laissé la moindre trace ? Va t-il être question de l’Unité où sommes nous déjà tombés dans la trappe de l’histoire. J’ai une grosse appréhension. Je tourne les pages rapidement à la recherche de notre nom, je me sens un peu ridicule tel les comédiens qui dans un article de journal ne s’intéressent qu’au fait que leur nom soit cité. Eh bien nous y sommes, nous n’avons pas été effacé des tablettes de l’histoire, je suis soulagé.
Dimanche 28 janvier 2018. Villars. 6°C
De quoi parlent les septuagénaires de sexe mâle quand ils se rencontrent : de leur prostate bien sûr.
Ah toi aussi, tu as un adénocarcinome ? Ton PSA , fais gaffe, surveille le bien. Faut pas être au dessus de 5,90. Moi j’ai un bilan satisfaisant, ils m’ont ponctionné 18 carottes prostatiques, il n’y a pas d’extension au tissu péri prostatique. Ouf… Et tes nerfs érectiles ? Ah oui, on y tient à nos nerfs érectiles. Je ne m’imagine pas sans nerfs érectiles. Docteur, ça craint ou non ? Pas de frayeur, à votre âge, on n’y touchera pas. Il semblerait que j’ai une allure hyperplasique, dans un parenchyme prostatique dystrophique.
Il y a des jours où l’on préférerait franchement être une femme.
Samedi 3 février 2018 Malakoff 6°C Pluie fine
Ils sont trois, je suis pris en otage, pas moyen d’échapper à leur conversation. j’ai droit à toutes les marques de ski et leurs qualités respectives, puis aux VTT, vingt minutes de VTT, ils enchainent sur les résultats de Sochaux, avec un cortège de banalités épuisant style: s’ils gagnent, c’est mieux que s’ils perdent Ensuite celui qui mène les conversations se vante d’avoir 36 points sur son permis de conduire (avec celui de sa mère, de sa grand mère et de sa femme), il peut se permettre tous les excès de vitesse, à 90 € l’amende ça va. A la fin ils sont d’accord pour dire qu’avoir racheté Opel , c’est une boulette de Carlos Tavares. Le train arrive à Gare de Lyon, son terminus. Je suis enfin libéré, je me récite le poème d’Aragon :J’aime pas les gens qu’un rien fait parler ou sourire. Je n’aime pas les gens.
Samedi 10 février 2018 . Villars - 1°C
C’est l’angoisse quotidienne. Soit, le procès verbal d’un excès de vitesse, soit un -balance- ton- porc , parce que vous avez un jour- il y a huit ans- souligné les appâts de Jenny.
On va fêter les 50 ans de 68 et son slogan le plus célèbre il est interdit d’interdire dans une flopée de dénonciations, de délations, de puritanisme, de moralisme. Des associations de femmes se nommant Elvire, se préparent à censurer le monologue du célèbre prédateur sexuel : Dom Juan. “on goûte une douceur extrême à réduire par cent hommages le coeur d’une jeune beauté… à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur etc»
Jamais je ne céderai , je le dis dans la Nuit Unique et je continuerai. Il n’ y a pas que l’islamisme dont il se faut se moquer, les juifs traditionalistes en tiennent une sacrée couche, et maintenant des associations souvent de gauche montent au créneau pour jeter au cachot tout ce qu’elles considèrent comme mal-pensance.
Dimanche 18 février 2018. Marseille 8°C
Chacun d’entre nous est son propre chef d’Etat. Son Etat, c’est lui, c’est son corps, et tous ses membres. Mais en fait nous sommes de piètres chefs d’Etat. . Nous prenons des décisions au sommet , et nous ne les appliquons jamais. Nous sommes tels l’ONU, nous édictions des résolutions, mais nous ne les suivons pas. Nous gérons mal notre couple, nos enfants, nos relations à l’’autre. Nous trichons, nous mentons. Nous rendons malheureux notre entourage.
Nous voudrions bien que ceux qui conduisent la Nation soient exemplaires, et nous montrent le chemin, mais ils sont encore pires que nous. Alors nous avons inventé des Jésus, des Mahomets, des Moïse, figures de perfection mais cela n’a rien arrangé. Il nous reste le monde de l’Art pour nous trouver des modèles. Moi par exemple je voudrais bien ressembler à Tchekhov..
25 février 2018 Villars les Blamont -8°C
Je suis soulagé qu’un historien israélien-Zeev Sternhell- mette les pieds dans le plat et assimile le likoud à des nazis puisqu’ils veulent faire des palestiniens, des citoyens de deuxième zone n’ayant pas le droit de vote. Mais je suis furieux contre Macron qui veut nous faire croire que toute attaque de la politique d’Israël doit être qualifiée d’antisémitisme. A ce régime là, des milliers de juifs français serraient de notables antisémites. Cette assertion est gravissime.
4 mars 2018. Malakoff. 10 °C
Souvent je me sens largué. Je n’arrive pas à m’intéresser aux séries, or sans arrêt j’entends des conversations sur les “séries”. Je ne fais pas de “replay” non plus, je suis préhistorique à ce niveau-là. Je trouve comme Claude Hagège le linguiste qu’il faut résister à l’invasion de l’anglais dans les conversations, mais c’est impossible. Je n’ai même pas Instagram, faut que je m’y mette. Je suis largué sur les timbres poste, la somme n’est plus indiquée. J’ai lu l’ordre du jour, le prix Goncourt, cela m’a intéressé puisque je l’ai lu jusqu’au bout, mais je ne lui aurai pas donné le Goncourt. J’ai google home, avec spotify, , mais je ne sais plus si je dois manger de la viande ou non, on me dit que les fruits c’est trop sucré, que c’est mauvais pour la santé. Je suis largué. Et les Tuches, 3 je fais partie des 5 millions de spectateurs qui l’ont vu, je n’ai pas trouvé cela très drôle. Décidément comme dit Rimbaud : “je n’ai jamais été de ce peuple-ci”. J’ai du mal à épouser le 21 ème siècle.
11 mars 2018 Malakoff. 13°C
Ce qui a changé dans le théâtre depuis 1968 ? C’est Yves Perennou -la lettre du spectacle- qui me pose la question. Eh bien c’était une époque où le théâtre public bougeait de tous les côtés à la fois.
Nous allions tous dans la même direction, il fallait chasser la droite. La culture était un contre pouvoir.
Malraux avait lancé l’idée des Maisons de la Culture, mais comme par hasard ce ne furent que des municipalités communistes qui avaient répondu à cet appel. ( Amiens, Bourges, le Havre etc) A l’époque la droite était allergique à la culture, l’idée de théâtre de banlieue lancée par Ralite et Garran avait envahi toute la ceinture dite “rouge “ à l’époque. C’était aussi l’heure des grands chocs esthétiques : Living theater, Planchon, Kantor, Vilar, Barrault , Savary, Béjart, Peter Stein, Lioubimov, Pina Bausch . Ne survivent aujourd’hui en France que Mnouchkine et Peter Brook, ces deux -là ont traversé un demi siècle sans changer de ligne. A l’époque, pas d’intermittence, c’est le plein emploi. Les jeunes compagnies s’étaient regroupées , nous étions à peine 15. On jouait 100 fois par an Les critiques de presse étaient déterminantes. Ce qui est sûr c’est que les budgets n’étaient pas à la hauteur, mais il y avait un gigantesque élan, un immense défrichage.
19 mars 2018 Villars , neige -1°C
L’image qui me reste : des centaines de personnes qui s’approchent du plateau et tendent leurs mains pour que l’artiste- démiurge les touche, les effleure, les regarde. Des centaines de portables sont en position selfie. C’est le même qu’on a vu à la télé ; la télé a ce pouvoir de sanctification.
Moyenne de 50 € la place, ils étaient environ 3000, je multiplie : 150 000 €. Il va faire environ 50 zéniths, je multiplie : plus de 7 millions d’euros. Sur scène, il est tel un grain de poivre sur une assiette. Pendant 2H 30, je ne regarde que le grand écran. Il rebondit sur chaque interpellation du public, il est démagogue,