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PETITS BILLETS 2004/2005

PETITS BILLETS

Chaque semaine, j'écris en quelques lignes la dominante. Cela permet un peu de suivre les tendances et les mouvements.


samedi 23 octobre 2004


On fait la promo, des envois, des relances, on est classique, conventionnel, on baisse un peu la tête pour mieux la relever. Le monde du théâtre a beau dénoncer l'hyper libéralisme, c'est exactement pareil en pire. On n'allait pas jouer aux hommes des bois et se cacher, alors nous aussi on crie : "achetez nous, tout est à vendre, chaque achat c'est de l'emploi, de l'emploi, et huit heures c'est un cachet ! Tout notre art consiste à débusquer le goût de l'acheteur typique et s'y conformer. Le ministre vient présider une réunion à Besançon. Je crois que l'on a rien à se dire, sauf miracle.


samedi 30 octobre 2004


On sent une petite reprise. Des petites choses qui remplissent le calendrier. On cherche en toute liberté un spectacle de Noël/ On a entre les mains les propositions du Ministère de la Culture pour le spectacle vivant. Faudra juste faire en sorte que cette feuille de route soit respectée ! /La dernière création se met en place. Première à Audincourt le 22 novembre.


samedi 6 novembre 2004


J'ai du mal à être gai et enjoué. L'énergie d'Higelin me sort un peu de la torpeur. Je trouve le pays de Montbéliard étouffant et en mauvaise santé. La victoire de Bush, c'est celle de l'anti- intellectualisme. De plus en plus tous les métiers qui relèvent du monde intellectuel sont dénigrés. Quelques coups de téléphone pour des nouveaux projets nous parviennent. Sinon, on a fini l'invitation du nouveau spectacle. Enveloppes, vérification du fichier. Instants de vie morose, où l'on ne joue pas.


samedi 13 novembre 2004


Notre vie c'est jouer, remuer la terre, voir du monde, échanger, remuer les villes. Alors cette semaine ça va, les chambres d'amour à Haguenau, revoir tous ceux de la rue à Paris pour l'AG de la fédération, et aller au Palais de Tokyo, voir des artistes comme Wang Du et Barthélémy Toguo, ça stimule. Et terminer par la St Martin en Suisse, à Porrentruy, on vit, on se bat, on ne se laisse pas abattre, on apprend même que le Ministère de la culture veut faire un temps des arts de la rue, et qu'en Région ils ils auraient placé aux manettes de la culture l'excellente Ghislaine Gouby. Un peu d'espoir...



Samedi 20 novembre 2004


La bonne nouvelle c'est que nous aurions remonté notre déficit. On a donc acheté deux nouvelles chaises...Il faut dire que depuis un an nous n'avons fait aucune dépense qui ne soit pas absolument nécessaire. Notre studio des 3 oranges s'équipe doucement en son et lumière. Notre problème N° 1, c'est la promotion. Il faut mettre nos efforts sur la promotion, et nous cela ne nous amuse plus. Il faut harceler les acheteurs et les journalistes, et cela ne nous amuse plus. Il faut mettre de l'argent sur la documentation et cela ne nous amuse plus.



Samedi 27 Novembre


Le défi c'est de savoir si dans le pays de Montbéliard il est possible de jouer une pièce un certain temps hors système d'abonnement. Nous avons ôté l'obstacle financier. Quel besoin les gens ont -ils d'aller au théâtre ? Les deux premières soirées de Promenade avec Luther étaient riches de rencontres. Le théâtre c'est certes la pièce, mais aussi se retrouver ensemble. Moi je pense que ce pays est gravement blessé, que les jeunes ne pensent qu'à le fuir. Notre Maison Unité et son studio des 3 oranges, c'est un tout petit peu de chaleur, les soirs de brume, un petit brin de vie.


samedi 4 décembre 2004


Notre conte de Noël pour les enfants s'appellera "la petite fille sans nom". Nous avons envoyé plus de six cents lettres pour le proposer aux écoles du Doubs pour des résultats très minimes et quasiment décourageants .


Samedi 18 décembre 2004


Tout le monde se dit "bonnes fêtes".. les gens décorent leur maison de manière féerique. Nous, on joue jusqu' au 24 décembre on reprend le 27... Cela ne veut rien dire les 35 H pour nous. L'inspiration cela ne se décide pas à l'intérieur d'horaires précis. Je déteste les nouvelles formules " à partir du 4 , je suis en création ou en résidence et pour quinze jours. "Dans les compagnies permanentes, la création est continue, il n'y a pas de jour où l'on ne soit pas en recherche. Avant de trouver la route qui nous paraît juste, nosu rebroussons chemin des dizaines de fois. Quand nous avons enfin "l'idée", alors là on monte la pièce. Actuellement, j'ai une piste très vague qui est en germination...


samedi 15 janvier 2005


Je reçois les jeunes impétrants de la FAI AR, une formation aux arts de la rue. On sent que le monde a changé. Nous arrivions à l'Art dans les années 70 sur une révolte, une rebellion, une blessure. Nous voulions changer la société, lui mettre la tête à l'envers. Nos candidats, ce n'est pas ça du tout. C'est rajouter des fleurs, rendre la société plus mignonne, l' aménager, vivre modestement dans ce monde libéral, sans en toucher les fondations, c'est comme ça. L'Art, pour eux, est à la société ce que l'adoucisseur est à l'eau.


L'écrivain-philosophe Michel Onfray me stimule, me ré-active, me rend intelligent. Je suis admiratif devant ses raisonnements. Je serai prêt à aller à Caen pour suivre son université populaire. Il dit que nous sommes à la fin d'une civilisation, d'où cette demande de sens que l'on sent dans la société. Ce serait un peu ça le sujet de notre future création . Nous sommes tous des personnages de Tchekhov, accrochés au bastingage d'une époque qui s'enfuit.


Samedi 12 février 2005


Samedi 19 février


Samedi 26 février 2005


Bourdieu expliquait que l'on a entendu ce qu'il disait à partir du moment où il est rentré au collège de France. Se faire décorer des palmes académiques c'est un peu pareil, surtout pour moi qui n'ai rien d'académique, cela me rend un peu plus crédible auprès de personnes qui ne me saississent pas bien . Ceux- là pensent " Si on le décore, il est peut être moins crétin que ce que l'on croyait de prime abord". Ah, c'est pas facile de se faire admettre en dehors de son petit microcosme habituel.


Samedi 5 mars 2005



Samedi 19 mars 2005


samedi 26 mars 2005

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Samedi 2 avril


L'institution est votre bête noire ?

Mais pas du tout, j'aime l'institution, j'en ai une idée si haute que je suis toujours déçu par ce que j'y trouve aujourd'hui.


Pouvez vous démolir l'institution à longueur de pages et demander d'y passer ?

Non bien sûr, je le sais, il faut flatter si l'on veut avancer, tant pis je recule.


Que pensez vous de l'évolution du théâtre de rue ?

il y a de plus en plus de textes, il se joue de plus en plus à l'intérieur. le théâtre de rue va finir par devenir du théâtre.


j'étais interrogé par Anne Quentin de la revue Théâtre



Samedi 9 avril 2005


"La résidence". Nous voilà dans l'ère de la résidence à tout crin. En dix ans la France s'est couverte de résidences. Il y a maintenant des lieux réservés aux créations, ce sont les lieux de fabriques. On s'y enferme trois semaines, on vit dans des logements approximatifs, ambiance auberge de jeunesse, les règles sont monacales.


La création d'un spectacle commence donc toujours par la recherche de résidences. Plus on a de résidences, plus le spectacle sera joué. La nouvelle règle consiste pour les directeurs d'établissements et de festivals à miser sur un artiste avant création. D'où un nouveau langage:" tu fais quoi actuellement ?" -je suis en résidence de Création" on peut même dire :"je suis en créa, j'ai une résidence."


samedi 16 avril 2005


La France est une usine à spectacles. Cela pousse de partout, dans tous les sens , dans tous les coins. Nos corbeilles de courrier arrivent remplies d'invitations, sans parler d'Internet. Et bizarrement, je trouve qu'il n'y a rien à voir. Rien ne fait vraiment très envie. Partout on a la sensation de "déjà vu" ou de "sans intérêt". Pourquoi monte -on un spectacle, quelle est la nécessité intérieure ou sociale de ces centaines de créations ? Et voilà, encore un accès de pessimisme !


Samedi 23 avril 2005.



Samedi 30 avril 2005


Samedi 7 mai 2005


Il y en a qui disent de moi"il se plaint sans arrêt, ce ne sont que lamentations." Oui, tous les jours, je sens que le "théâtre public" pousse de travers, que les valeurs en cours sont navrantes. Je me sens seul et peu soutenu. Pour pouvoir jouer, chacun accepte de rentrer dans le moule de ce goût moyen que j'abhorre. Et voilà que dans son dernier bouquin, "le théâtre et le prince, un système fatigué", Robert Abirached vient à mon secours. Je cite:" Des compagnies comme le théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine, les bouffes du Nord sous la direction de Peter Brook, la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeiff, le théâtre de l'Unité dirigé par jacques Livchine et Hervée de Lafond ont repris à leur compte les acquis éthiques et sociaux de la décentralisation avec une haute exigence artistique et en allant jusqu'au bout de la trajectoire qu'ils se sont assignée(...) Autour de ces théâtres en marge , jamais l'enthousiasme et la confiance des spectateurs ne se sont relâchés. etc. Faudrait citer tout le livre. C'est à Acte Sud.


Samedi 14 mai 2005


Suis-je le seul à sentir dans les Arts d'aujourd'hui une certaine lissitude, un manque de ruguosité ? J'ai l'impression que tout le monde s'imite, tout le monde se ressemble. J'ai la sensation que pour pouvoir présenter ses oeuvres, il faut avoir un certificat de conformité, un alignement à des normes d'uniformité. J'appelle ça "Le G.M.U." Goût Moyen Uniforme. Je cherche, mais en vain, depuis une vingtaine d'années, un art de rupture, un Art qui ouvre les routes vers un monde nouveau. Dans mon classement des oeuvres qui m'ont marqué, toutes datent des années 70-80. Peut être avec l'âge suis je devenu plus difficile ?



Samedi 21 mai 2005, rectifié le 23 mai 2005


Je change de billet d'humeur. J'avais parlé d'un sujet tabou, ok, je gomme. N'en parlons plus. La France se prépare à voter. Pour l'instant cela se présente comme si les pauvres allaient dire NON et les riches OUI. Bien- entendu, nous sommes des millions à n'avoir rien à perdre ou à gagner dans cette affaire. Que cela soit Oui ou NON, croyez vous que la gangrène du chomage va diminuer, ou que le flux des réfugiés des pays pauvres va diminuer ? Ce sont les deux problèmes du siècle, et ce traité les érafle à peine. Je préfère regarder ces élections comme un sprint à vélo. Comment tous les candidats se mettent en place pour la Présidentielle ? Fabius s'isole du peloton, Hollande se met dans la roue de Sarkozy, Sarkozy doit se mettre en position de ne pas lâcher Chirac. Chirac est curieux, il se prépare à asséner un gros coup de massue à Sarko, faut pas qu'il rate. Formidable tout ça.


28 mai 2005


Les artistes de rue remontent la pente, ils en ont marre d'être traités comme les parias de la profession. Alors ils se sont organisés en commissions très studieuses pour théoriser leur assise et leur existence. Une énorme bataille pour leur reconnaissance est en cours. Je les hèle et je leur dis " méfiez vous de ne pas vendre tout ce qui fait votre impertinence et votre différence pour obtenir argent et gloire" parce que bientôt, vous serez peut être reconnus, mais serez vous encore vivants ? En fait, c'est tout le dilemme de l'Unité, pouvons- nous obtenir des aides, et rester nous -mêmes, résister au Goût Moyen Uniforme ?


4 juin 2005


Celui qui ne joue pas au Rond Point est un moins que rien ! Le théâtre du Rond point est devenu le lieu incontournable de toutes les légitimations. Enfin un théâtre vivant, un vrai lieu, où ça répète, ça joue, ça croise, ça discute, un lieu comme devraient être tous les lieux de théâtre. Ce n'est pas un lieu de succès, c'est un lieu de recherche, ce n'est pas grave, c'est la règle du jeu. Le public est intellectuel, chic, branché, on est tout de même sur les Champs Elysées. Dans le sérail des professionnels on n'aime pas trop ce JM Ribes venu troubler, secouer, défier le théâtre public.


11 juin 2005


On garde notre ministre de la culture, c'est déjà pas si mal, car il a juré qu'il règlerait le problème des intermittents. Mais pour le reste, quel cynisme. Tous ne pensent qu'aux présidentielles. Sarkozy annonce déjà qu'il n'est à l'Intérieur qu'il a quitté pour l'UMP que pour se placer pour 2007. Il garde l'UMP alors que Chirac nous a expliqué qu'on ne pouvait pas faire les 2 à la fois. Il garde la présidence du conseil général, cela ne lui pose pas de problème d'être sous l'autorité du Ministre de l'Intérieur puisque c'est lui-même. On dit que Villepin et Sarkozy se détestent cordialement. Soit Chirac a une stratégie d'enfer pour 2007, soit ils sont tous de mèche pour faire un barrage étanche aux socialistes, soit je ne comprends décidément plus rien.


18 juin 2005


On peut appeler ça des balises, ou des repères, ou des valeurs. Alors que je me sens bien flottant, toujours déchiré, je reçois parfois des courriers très admiratifs sur les valeurs que nous défendons sans fléchir au théâtre de l'Unité. Cela fait un drôle d'effet de savoir que nous servons d'exemple. Les 14 valeurs que je défends au théâtre je les ai écrites ; plus que des valeurs ce sont des obsessions, Quand cela dure depuis plus de trente ans sans jamais déroger, est -ce que cela ne serait pas plutôt de l'ordre de la maladie ? C'est ce que pensait mon père, qui trouvait surréaliste que je n'acceptais pas comme seule et unique valeur, l'argent. Lire les quatorze valeurs auxquelles je crois en matière de théâtre


25 juin 2005


On a rencontré Jean Raymond Jacob de la compagnie Oposito, nous étions bien six à avoir vu son opéra de rue, "à la vie à l'amour". On aurait bien voulu donner notre appréciation, ouvrir une discussion esthétique sur le théâtre de rue, mais voilà, les artistes n'ont pas envie d'écouter, ils n'ont pas envie de connaître les réserves des uns et des autres. Pourtant ce serait essentiel pour progresser. Remarquez, si on se disait nos vérités théâtrales, la vie serait insupportable, et pourtant c'est possible et nécessaire. A Kinshasa , lors du festival de l'écurie Malomba, il y avait tous les matins un rituel de polémique, on décryptait le spectacle de la veille. C'était vif, violent, animé, mais au moins le metteur en scène avait un véritable retour des profesionnels et du public.


2 juillet 2005


Le théâtre a changé ma vie. Je crois me souvenir que la vision de "Schweyk dans la deuxième guerre mondiale" de Brecht monté par Planchon a opéré sur moi une volte-face totale.Avais-je dix sept ans ? Environ. Le théâtre a été pour moi une prise de conscience totale et nouvelle. Et je me dis toujours que notre vrai rôle devrait être de faire basculer, de renverser, de faire bouger ne serait-ce qu'une seule personne par an.



9 juillet 2005


Ce n'est pas vrai que je n'aime plus rien question théâtre. Mais il faut que le théâtre me parle de moi, du monde qui m'entoure, qu'il éclaire l'opacité, qu'il démêle les rapports de force. Molière s'attaquait aux vices de la société, Shakespeare à l'histoire et à la cruauté des gouvernants. Cela a pété à Londres, et bien excusez -moi, dans Tchekhov, il y a en filigrane cette peur sous latente.


16 juillet 2005


Avignon 2005 est le parfait modèle d'un dispositif de culture excluante, d'accentuation de la coupure entre vrais amateurs d'Art, appartenant aux classes privilégiées et France basique. La violence du rejet est totale. Economique d'abord, pour une place du IN, tu as quatre ou cinq places places du off. Idéologique, à la quatrième pièce de théâtre expérimental ou de performance branchée, tu rends les armes, tu décides de les laisser entre eux, tu te dis "je n'ai pas le niveau". C'est assez humiliant . Qu l'on ne caricature pas ce que je dis , ce n'est pas Mireille Mathieu ou Johnny Halliday que je réclame, c'est de l'Art vrai en prise sur la vie et l'histoire du Monde. Il est vrai que c'était l'année du sulfureux Jan Fabre.


23 juillet 2005


Je ne sais plus quoi penser. Avignon m'a déstabilisé. C'est comme une forêt, avec ses champignons vénéneux et ses champignons comestibles. Tu tombes bien ou mal. Moi cela m'a déstabilisé, tous ces paramètres qui bougent, les repères qui se perdent, les huées, les succès, les gens qui discutent. Alors peut être que l'on peut dire qu'un festival, c'est fait pour ébranler nos certitudes pas pour les flatter.


30 juillet 2005


"Alors qu'est ce qu'il y a de bien à voir" ? ou "tu as vu quelque chose de bien"? Ces questions me révulsent , parce qu'elles font du théâtre une espèce de produit passe -partout et mondain. Il y aurait "des trucs à voir" et "des trucs que c'est pas la peine de voir". Or nous avons tout de même des préférences et des goûts particuliers. Si je dis :"il n'y a que le Pudding de bien cette année", pourquoi je dis ça ? Parce que Le Pudding , c'est une troupe qui grandit doucement depuis des années, et je suis heureux , parce que non seulement ils sont décoiffants et radicaux dans la forme, dans leur dernier spectacle mais parce qu'ils parlent de l'Histoire, qu'ils mettent en perspective avec le monde d'aujourd'hui. Le BCBG d'Avignon, lui a envie de voir les "trucs dont on parle " pour briller dans les salons, du Pudding, il n'en a jamais été question dans aucun restaurant de la cité des papes, Avignon fait l'impasse sur le théâtre de rue. Avignon fait l'impasse sur l'histoire, Avignon c'est tout de même triste.


6 août 2005


Un pays tout entier qui n'a pour projet que les jeux olympiques ou la coupe de Monde de football ne peut pas être en bonne santé.Une capitale qui ne communique que sur son opération "Plage" ne peut pas être considérée comme dynamique. Et voilà pourquoi le Musée Guggenheim de Bilbao est un choc pour moi. Une région en mauvaise santé-le pays basque espagnol-décide de lancer un signal fort. Ce pays "ose" la culture, et entreprend une opération architecturale digne des cathédrales. Depuis 1997, la Région est dopée par ce musée qui voit l'afflux de 850 000 visiteurs par an du monde entier.Je me dis juste que c'est cette folie qui manque en France. Passer sa vie à se faire remballer dès qu'on a la moindre ambition et dès que l'on sort des rails amidonnés de la culture du goût moyen est notre lot quotidien et nous assistons impuissants à cette immobile stagnation.


13 août 2005


Le vide des vacances me terrorise. Alors j'en profite pour voir des musées, des expos. La Schaulager à Bâle est un lieu magnifique, les photos de Jeff Wall me parlent. Au Kunstmuseum je me régale de "covering the real" ces oeuvres qui se chevillent à l'actualité. Je vais voir Favier à Lyon. J'achète des catalogues, des livres de photos, cela m'inspire. Devant le musée Guggenheim de Bilbao je découvre jeff Koones et à l'intérieur Richard Serra. Cela me passionne. Mais voilà, le tourisme culturel, inquiète Yves Michaud, qui l'écrit dans le Monde. 700 millions de personnes se déplacent chaque année pour visiter des pays, leurs monuments, leurs musées . Yves Michaud dit qu'on est passé de la sacralisation de l'art au "divertissement culturel". C'est toujours le même débat. Boulez dit que les oeuvres accessibles sont toujours mineures et Michaud semble s'enerver de ne plus être seul comme il l'était auparavant dans les lieux dArt. On est en pleine dénégation pratique. Tous ceux qui prônent les élargissements de public, ne souhaitent que le contraire.



20 août 2005


Parfois, on se demande où sont passés nos jeunes ? C'est simple, ils sont tous à Aurillac. Aurillac est totalement remplie de 16 -25 ans qui viennent pour être ensemble. Le théâtre de rue n'est qu'un prétexte. Cela donne une ambiance tout à fait comparable aux rassemblements chrétiens de la jeunesse. Une énorme joie assez gentillette envahit la ville. Et puis on sent bien que ce soir, le 20 août, plus de 12000 de ces jeunes profitant de l'absence des parents vont se lancer dans leur premier acte amoureux complet. Des préservatifs sont distribués un peu partout. Aurillac, vraie fête de l'amour.


27 août 2005


Il suffit d'une déconnexion intempestive, d'une durite un peu molle, de la machine à cappuccino qui ne fait plus de mousse, pour que le monde entier me paraisse noirâtre. Il suffit d'une personne qui me montre son Palm GPS, son I Pod MP3, son disque dur portatif supportant 30 go, pour que je cours à la Fnac acheter pareil. Je souffre de cette dépendance aux drogues molles, je souffre de cet esclavage, de ces nouvelles aliénations. Qu'est ce qui vaut mieux ? Etre aliéné ou vivre dans une angoisse permanente et infinie ?


3 septembre 2005


C'est bizarre de se lever matin et de se dire :"je n'ai pas envie de mourir tout de suite, j'ai encore des choses à faire, à prouver". Ces temps-ci, j'ai envie d'apprendre, de savoir plus de choses. j'achète quantité de livres, de CD, j'ai envie de faire "sciences politiques". Je suis dans l'histoire de la Russie depuis Catherine II jusqu'à la révolution. Je suis boulimique de journaux . Beaux Arts, 50 millions de consommateurs, les échos , Le Monde, Libération, Géo. Je regarde les nouvelles des TV belges, suisses, CNN, I télé. Je suis fou. J'aime les gens qui ont de la culture. J'ai envie de comprendre l'époque, les évolutions de l'Art. J'écoute Plantu, Vuillemin, ces deux dessinateurs politiques. Par- dessus le marché, j'aime faire la cuisine, mettre du basilic sur les tomates, enfourner une dorade. Et le théâtre de l'Unité a des projets excitants. Vraiment, je n'ai pas envie de mourir demain matin.


10 septembre 2005


Dans le tri sélectif, nous avons maintenant la petite poubelle à compost. J'assiste, admiratif, à la décomposition rapide à cause de la chaleur des épluchures et autres débris d'aliments. A chaque fois, cela me fait penser au Pays de Montbéliard qui est une sorte de cuvette où la macération et le pourrissement des individus, sont accélérés par un certain nombre de responsables qui n'ont comme conception de bonheur et de vie que la production matérielle d'automobiles, et tous les intérêts qui y sont liés. L'installation d'une vraie librairie à Audincourt- les sandales d'Empédocle - est tant sur le plan symbolique, que de la vie de tous les jours, une nouvelle d'ordre vital et capital. Nous nous sentons d'un seul coup moins seuls dans cette bataille contre un matérialisme sournois omni -présent, contre la mesquinerie galopante et pour le développement de l'Imaginaire sur un territoire où la Culture est quasiment considérée comme parasitaire et comme frein à la rentabilité de la productivité.


17 septembre 2005


Moktar Hadjeras, c’était un poète constructeur, il était passé par les Bains Douches de Claude Acquart, il a fabriqué des superbes sculptures pour le réveillon des Boulons 99, on le voyait de plus en plus rarement.Il était devenu gardien de nuit, dans un foyer à Besançon. Il souffrait de ne plus faire ce qu’il aimait, il était à bout. Il est allé dans la forêt, il s’est pendu. En Franche- Comté, ils sont nombreux les Moktar. Il n'y aura aucun procès pour savoir qui est coupable de la mort de Moktar, car personne ne peut être tenu dans notre pays pour responsable de la mort de Moktar.


24 septembre 2005


Il y a une espèce de non -conformisme qui consiste à ne jamais regarder la télé, refuser Internet, refuser le téléphone portable. Dans certains milieux intellectuels, c'est même un conformisme. Ces mêmes personnes, il y a cent ans auraient refusé l'électricité, le chemin de fer, la radio, le téléphone à fil, l'automobile. Or aujourd'hui, elles aiment la lumière électrique même nucléaire, elles prennent le TGV, elles adorent France Culture, ont le téléphone chez elles et une voiture. Elles font tout avec un peu de retard. Alors bien sûr quand je leur montre le GPS de ma 307, elles s'esclaffent de rire, et moi je leur dis que dans moins de 20 ans le GPS sera aussi commun que l'autoradio. Elles me disent "on peut vivre sans GPS et trouver sa route avec une carte. " Il y a un mot pour qualifier cette attitude de rejet, d'exécration, d'inappétence, d'anaphylaxie pour tout ce qui est neuf, mais je ne le connais pas. N'empêche que je ne suis pas dupe et que je sais que tout progrès engendre son contraire.


1er octobre


Nous sommes entourés de personnes qui ont du mal à s'accrocher. Précarité continuelle, petits boulots, petites aides. Peu peu, ils déjantent, sombrent dans l'alcoolisme, ou plus grave la psychose. Et puis ils rentrent dans un no man's land. On ne peut plus leur parler, plus rien faire pour eux. Ils coulent tout doucement. Bien- sûr, nous sommes dans une société où le droit au travail n'est plus respecté, où même le droit à un logement n'est plus évident. Mais ce serait trop facile de dire : "c'est uniquement la faute à la société". Nous avons tous une petite marge de manoeuvre, la culture est une arme incroyable, il faut la saisir, sortir, bouger, rencontrer du monde, se bâtir un profil de résistant. Pour certains c'est malheureusement trop tard. C'est le sens de notre présence à Audincourt, nous tendons des perches, mais il faut savoir les attraper.


8 octobre


Dans la boulangerie quand arrive le soir, il n'y a plus de pain tout a été vendu. Or dans notre boulangerie artistique, on produit cent fois plus de pain qu'il n'en faut. Tout le monde est au four. Personne ne se soucie de savoir si nos créations vont être vendues. L'important c'est la création, ça sonne comme il faut. On produit, on crée. "résidence de créa", ça fait classe. La France meurt sous le poids des créations qui restent en rayon. Nous créons pour une minorité déjà gavée, le reste des gens, on s'en fout, ils ne jouent aucun rôle, ils n'existent même pas.


15 octobre


Je vis avec Tchekhov. Un vieux rêve. Lire Tchekhov en russe. Se dire que le Russe était la langue maternelle de mes parents, et que je ne le parle même pas. Donc je lis Tchekhov en russe, je suis armé de cinq traductions et d'un dictionnaire, et je mets sur papier, une sixième traduction, la mienne. Parfois, Tchekhov met volontairement dans le texte des mots en français, par exemple, Vania, au lieu de dire Eléna, dit Hélène...Comment traduire Hélène en Français ?Alors, là je cale, pourtant je me souviens que mon père quand il avait envie d'être gentil n'appelait plus ma soeur Ketty, mais Katioushinka, oui mais là c'est un diminutif. Qui me dira ce que cela veut dire d'énoncer le prénom de quelqu'un dans une autre langue. Et pendant ce temps là, on nous dit que la pandémie va arriver et faire 7 millions de morts, mais mon problème à moi, c'est traduire "Hélène" en français.



22 octobre


La belle région Franche -Comté organise des réunions pour imaginer son projet à l'horizon 2025. Je participe à la réunion de Lons le Saunier. Il y a le lobby des excités du VTT, du tourisme vert. Ils sont extrêmement fatigants. Bien entendu, je propose l'équivalent du Guggenheim de Bilbao, agrandir cent fois Arc et Senans en inventant un nouveau concept d'un lieu d'art et de création utopique (dirigé par la grosse entreprise et ses cent vingt petits, je plaisante) et qui serait prêt dix ans après ma mort mais que tout le monde viendrait voir du monde entier, et je demande aux élus d'oser, de prendre des risques absolus, de sortir de la gestion mesquine et quotidienne des affaires pour nous entraîner dans le sillage de leurs rêves...


28 octobre 2005


En 1966, je ne croyais pas que Chéreau puisse devenir un grand artiste, j'étais certain qu'un véritable artiste ne pouvait pas être habité par l'arrivisme comme l'était Chéreau. Je me suis trompé pratiquement sur tous les artistes que je voyais à cette époque, que cela soit Marie Christine Barrault, (qui était dans mon lycée) , Catherine Deneuve (qui était dans la classe de ma soeur) Fabrice Lucchini. Ils sont tous au sommet de leur gloire, et moi, je suis fier d'être tout en bas à Audincourt, une autre conception de la carrière. Je fais le même pronostic sur Sarkozy, je ne lui prête aucune dimension présidentielle. je ne vois en lui qu'un sinistre roquet, qu'un Iago de bas étage. Avec mon sens de la prospective, soyez en sûr, il succèdera à Chirac.


5 novembre 2005


Cela flambe dans les quartiers. Est ce que cela étonne qui que ce soit ? Nos gouvernements n'agissent que sur les incendies, ils les éteignent tant bien que mal, moulinent leurs bras et exhibent leurs muscles sur les médias, mais ne s'attaquent jamais à la source de la crise. Ils ne veulent pas s'en occuper car ils savent très bien qu'électoralement ce n'est pas rentable. Idem pour les intermittents, nous partageons avec les jeunes à casquette, le mépris de nos gouvernants. Ce qui est curieux, c'est la similitude avec Tchekhov, où vers 1897, les campagnes s'agitent, ne supportent plus l'absolutisme du tsar et le mépris de la haute société. A chaque fois , je pressens que nous sommes dans une période pré-révolutionnaire, et à chaque fois, la pression retombe, sauf qu'un jour ...


12 novembre 2005


Pour éviter les contaminations, on n'a plus le droit de savoir ce qui se passe dans les quartiers. Je sais juste que le théâtre des Louvrais à Pontoise a brûlé, que des bibliothèques, des centres médicaux sociaux sont incendiés tous les jours. Mai 1968 ? certainement pas, puisqu'il n' y a pas de leader, pas de revendications précises, et surtout pas d'alliés, pas de grande manifestation du peuple tout entier, pas de grève générale. Et pourtant, moi qui me souviens bien de 1968, je retrouve la même sensation de lassitude et d étouffement. On disait à de Gaulle, dix ans ça suffit, on avait tous envie de vivre, et même plus, puisque que l'on voulait jouir sans entraves. Et je me sens dans cette humeur, j'ai juste envie de dire à nos gouvernements, à notre opposition, faîtes nous rêver, donnez nous des vrais objectifs ! Je sens bien que c'est d'une révolution dont j'ai envie.


19 novembre 2005


Comme ils l'annoncent partout après trois semaines de désordres urbains, c'est la décrue. Cela correspondrait -il à l'arrivée du froid ? Certains n'hésitent pas à attribuer la cause des émeutes au réchauffement de la planète. Donc on atteint le niveau normal de 100 voitures incendiées chaque nuit. Et tout lemonde de sortir sa petite théorie. Evidemment la pauvreté, le chomage, les zones de rélégation, le retrait des moyens attribués aux associations d'insertion, l'habitat social délabré, la ghettoïsation, la discrimination à l'embauche, la polygamie. Les plus extrémistes de droite se réjouissent , ils l'avaient bien dit. D'autres parlent d'un petit millier de petits "merdeux" à qui ça faisait plaisir de mettre la zone. Mais pourquoi ne penserions pas nous -mêmes sans s'accrocher au bouquet de théories des autres ? Alors qu'est ce que t'en penses, toi ?


26 novembre 2005


je culpabilise dès que je suis sur mon ordinateur, je culpabilise dès que je suis dans mon salon, devant la télé, en me disant que je serais mieux sur l'ordinateur. Je culpabilise de ne pas distribuer assez de travail aux comédiens qui m'entourent. Je culpabilise dès que je mange du pain, dès que je bois du vin en me disant que ça fait grossir. je culpabilise d'en mettre partout quand je fais la cuisine. Je culpabilise dès que j'exprime mes réticences sur un spectacle. je culpabilise en me disant que je vais bientôt être un fardeau pour les enfants et pour la société. Je culpabilise d'avoir souscrit à une assurance vie . Je culpabilise dès qu'il fait 20 °C dans la maison. Je culpabilise de remettre tout à plus tard. Je culpabilise d'avoir oublié ma valise sur un trottoir et de m'en être aperçu trop tard. je culpabilise de lire quatre livres à la fois. Et bien sûr, je culpabilise d'être dans sans arrêt dans cet état -là depuis plus de 40 ans.


3 décembre 2005


La France a la gueule de bois. Torpeur, lassitude, manque d'énergie. Quand vous demandez à quelqu'un comment ça va, il vous répond "pas terrible". Cette absence de perspective mine tout le monde. Savoir que la relève de gauche est molle, que la gauche est tétanisée et reste sans réaction, savoir que si vous voulez bouger, des quantités de barrage se mettent en place. C'est notre quotidien à nous. Nos initiatives sont rejetées. Tout est fait pour que nous restions cloués au sol. Attends un peu, on n'a pas dit notre dernier mot !


10 décembre 2005


C'est un jeune, on ne sait pas trop d'où il vient. Il déjeune avec nous tous les midis. Olivier lui offre le coucher depuis presque 4 mois. Il rend quelques services, mais est un peu collant, trop demandeur d'affection. Et puis il vole Olivier, fait une tentative de viol sur une amie d'Olivier, et d'un seul coup, on sait tout sur lui, il sort de 3 ans de prison pour viol. Les gens les plus humanistes et les plus bienveillants au niveau des idées souhaitent qu'il soit ré-enfermé au plus vite. Le Ministère de la justice est irresponsable. Après 3 années de prison, Il lâche un jeune dans la nature sans travail, sans logement, c'est carrément un appel à la récidive la plus rapide. Mais qui voudra le prendre sous son aile ce jeune homme, qui ?


17 décembre


Cela sent la fin de régime. C'est l'agonie partout. Celui-ci me parle d'incompétence, celui -là de cessation des activités, l'autre me dit qu'il n'a plus rien, les politiciens n'ont plus de ressort, manque d'élan généralisé. Ce qui m'effondre le plus c'est ce bâtiment style grande Halle pouvant ressembler à un Bercy de province que nos élus viennent de voter pour 2 Millions ou 200 cents millions. Ils ont déjà une grande halle même genre qui tombe en décrépitude, qu'il n'arrivent même pas à chauffer, les variétés font toutes du déficit, mais on remet ça. Ils évoquent l'idée d'une équipe de basket professionnelle. Je ne vais pas me plaindre moi, je peux aller où je veux si j'en ai envie, j'ai une 307 avec GPS, j'ai une grande valise, un rasoir qui marche sur piles.


24 décembre 2005


On ne se pose jamais le problème de l'intégration en Franche Comté des individus exilés arrivant de la capitale. J'ai fait des efforts, mais en 14 ans je n'y suis pas arrivé. La Franche- Comté n'aime pas les gens venus d'ailleurs.


Quand je suis sur la ligne 13 entre Pernety et Gaité, Audincourt, Montbéliard, Besançon ne pèsent pas bien lourds. Vu de Paris, la Franche Comté n'existe pas. Aucune image ne me vient à l'esprit. J'imagine la tête des gens dans le métro si je leur disais que j'arrivais de Montbéliard. Cela paraît plus loin que NewYork, Berlin, ou Pekin. La Franche Comté est en train de mourir tout doucement, par manque de projet utopique, par manque de souffle, par manque d'élan, et quand on essaye de l'aider, elle vous fait sentir que toi t'es pas d'ici et que c'est pas ton problème. Si moi, j'ai envie de mettre le feu, tu comprends bien que les jeunes qui eux sont natifs du pays, et rejetés chaque seconde du jour passent si facilement à l'acte. Tu mets le feu parce que le dialogue ne se fait plus, alors tu l'instaures à ta manière brûlante le dialogue.




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