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PETITS BILLETS 2013/2014/2015

7 janvier 2013. Villars les Blamont. 5 °C

Aïe, mais c'était comment avant ? Par exemple quand l'essence coûtait 30 cts le litre et que le fuel était encore moins cher ? Je faisais quoi avec tout cet argent ? Quand je roulais à 280 km/h sans souci, sur l'autoroute de l'Ouest avec la Mercedes de mon père ? Quand il n'y avait pas de Leclerc ?

Quand on attendait deux ans avant d'avoir un téléphone fixe ? Quand il n'y avait pas de périph ? pas d'A6 ,ni d’A36 ? Quand il n'y avait pas de google et que l'on passait sa vie dans l'encyclopédia Universalis ? Quand on penchait sa tête hors des fenêtres du train et que notre visage devenait noir ?

Quand il y avait des petits boulots à la pelle dans les annonces de France soir et du Figaro ? Que notre écran de TV faisait 30x30 avec une seule chaîne ? Quand les présidents de la république étaient des pépères comme Vincent Auriol ou René Coty ? Quand il y avait Jacques Duclos ? Oui, Monsieur, oui Madame, tout ça a changé, mais l'Amour on le faisait pareil ? Et bien, il n'y avait pas la pilule, alors il fallait avoir du métier, et puis notre génération de la guerre a toujours pratiqué sans ces affreux bouts de plastique qui puent. Et ça pour nous, ça n'a pas changé, et ça c'est le bonheur.

12 janvier 2013

Quand t'arrives à ta septième dizaine d'année de vie, et que tu scannes l'intérieur de ton lobe de cerveau gauche, la petite zone minuscule qui est le siège du désir ou de l'éros en général, tu vois vite que tu n'as pas été inactif. Le désir amoureux : pour un mec assez moche, t'es monté carrément et souvent au maximum du plafond du plaisir, là où tu entends des sopranos te susurrer des berceuses sacrées. T'avais rêvé d'un lieu théâtral tu l'as eu, des voyages incroyables qui n'étaient pas du tourisme, tu les as tous faits, t'as même vu la banquise, des requins, des coraux, des massacres de buffles. Tu as déclamé du Cendrars devant 40 000 personnes. Alors tu veux quoi pour ton anniversaire ? Pour mon anniversaire, je voudrais déguster du caviar d'aubergines avec Edgar Morin, un petit verre de Zubrowka bien glacé dans la main gauche.

20 janvier 2013 Villars les Blamont. Episode verglacé. -1°C

Cela me glace le coeur. On produit dans le Monde 4 milliards de tonnes de nourritures, mais 2 milliards de tonnes terminent à la poubelle.

On nous parle sans arrêt du réchauffement de la planète, alors que l'on se gèle, mais du gaspillage jamais.

Uniquement parce que cela rapporte à l'agro- alimentaire avec leurs dates de péremption des produits.

En réfléchissant à la démocratie, je me fais la réflexion, qu'une fois les suffrages terminés, les hommes politiques nous oublient pendant cinq ans, on ne peut plus leur parler, ils n'en font qu'à leur tête, cela s'appelle la démocratie représentative, ça tue la démocratie participative. On la ferme, on s'endort.

A part ça, la guerre du Mali me passionne, je suis assez fier que le Kapouchnik l'ai évoqué théâtralement. J'aime le théâtre d'urgence.

26 janvier 2013, Malakoff. 0°C

Un professeur d'histoire m'a demandé de parler de la shoah dans une classe de 1ère S, le professeur voulait que les élèves puissent avoir un récit personnalisé , j'étais là pour raconter l'émigration des mes parents depuis la Russie, mon père, interné à Drancy , ma tante et ma grand mère gazées à Sobibor, et aussi le village des justes où je nais au "Chambon sur Lignon ".Il fallait en plus que je puisse expliquer l'antisémitisme, et donner une définition des juifs. Les élèves me scrutaient en silence. Bien sûr, je ne pouvais pas éviter les relations israélo -palestiniennes. Quel malaise. Je leur ai expliqué que les juifs étaient toujours des minorités dans des grands pays, et là ils sont devenus majorité dans un petit pays. Donc selon moi ils sont aux juifs ce que les

québécois sont aux français . Et puis il y a eu les questions "Monsieur, comment avez vous commencé le théâtre"? Tant mieux, leur problème ce n'était pas les juifs, mais un homme de théâtre. Saine réaction.

3 février 2013. Villars, sous la neige

Je ne supporte pas les lectures, vraiment c'est indigeste, j'essaye d'écouter Podalydes qui lit le "Manteau de Gogol. C'est abominable et voilà , drame total, on m'invite à une soirée Rimbaud, à lire le bateau Ivre. Moi lire ? Jamais de la vie. J'annonce à tout le monde que ce sera par coeur et avec coeur et proféré, éjaculé même. Le sujet de la soirée, c'est Rimbaud et la lutte des classes, Rimbaud et Marx, les militants d'extrême gauche sont tous là. C'est la soirée Kultur, tout le monde se prosterne devant le conférencier belge, et se met au garde à vous devant les lectures ânonnées de bénévoles dévoués. L'ennui irradie l'assistance jusqu'à atteindre un taux presque dangereux, mais c'est comme la messe, on fait semblant d'y croire, on avale sa dose médicamenteuse, sauf qu'à la fin je crie "pas de Rimbaud sans absinthe". A 3 heures du matin "elle est retrouvée l'éternité, c'est la mer allée avec le soleil". Nous sommes une dernière douzaine. Je suis assis entre un pasteur, une assistante sociale et un communiste, trois partageux, L'ennui inouï de la conférence se dissout dans un flot de paroles intimes.

10 février 2013/ Malakoff 3 °C

Je fais partie de “la sale espèce” dont parle Foucault, je ne suis pas copain avec Ribes, Arditi, ou Podalydes, je les méprise profondément. J’aime le réel, la souffrance sociale, les déclassés de toutes sortes. Je n’aime pas l’ordre, je n’aime pas les ordres, je fuis le succès mondain. A chaque fois que je fais du théâtre, je veux que les spectacles contiennent toute la violence du capitalisme et ses dommages collatéraux. Je voudrais bien que notre Macbeth raconte la folie ravageuse d’un homme que le pouvoir rend fou, qui tue sans discontinuer, mais il ne faut pas que la vie petite -bourgeoise et étriquée du village suisse près de chez moi soit épargnée. La démocratie Suisse est elle- aussi violente, et secrète un égoïsme puant et un obscène rejet de l’étranger. Bref, je suis cerné par l’art angélique qui encombre toutes les scènes et même le théâtre de rue, je voudrais m’arracher et fuir l’Art délétère et aliéné. Il faut que nous ayons le courage d’être insensés.

17 février 2013. Cabal Blanc près de Pamiers dans l’Ariège. On attend 13°C

On aime bien retrouver ce que l’on pense soi-même chez quelqu’un de plus trapu que vous. A un moment Onfray m’a passionné, et puis il s’est précipité tel un moustique sur les médias, et s’il n’est pas carbonisé, ce n’est pas loin, mais depuis longtemps j’avais dans ma mire Edgar Morin (né en 1921). Certains de ses textes jouaient sur moi le rôle de ferment révélateur, de Red Bull du neurone. J’ai réalisé un de mes rêves, je l’ai rencontré, je l’ai vu en vrai, je connais ses chaussettes, sa casquette, je lui ai même adressé la parole. Oh là là, quelle perspicacité sur le monde ! C’est même grave de voir à quel point nos politiques conduisent juste à côté la France, sans aucune pensée forte, et avec un insolent taux de renonciations. Pierre, franchement, je te parle ( Pierre c’était notre président d’agglo à Montbéliard, devenu ministre des finances), je n’ose pas le faire en face, car tu es engoncé dans une armure anti-Livchine). Pierre, la loi des 75%, tu ne l’as pas réussie, la séparation des banques d’affaires et de dépôt, tu l’as pas réussie, les 3% tu ne vas pas les réussir, tes potes n’ont pas réussi à faire passer le vote des immigrés, tu comptes même piquer un peu de pognon dans la poche des retraités, et toi qui est d’origine roumaine, tu laisses ce voyou de Valls faire une chasse sans pitié à quelques malheureux sans défense. Pierre, les pogromes c’est terminé.

Un texte d’Edgar Morin que j’apprécie

24 février 2013 Villars les Blamont. 80 cm de neige

Que fait un juif ashkénase quand il se réveille en forme le matin ? Réponse, il se recouche. Je le reconnais, j’ai cette tendance à refuser de profiter des bons moments de la vie sachant qu’ils sont toujours de mauvais augure. Ainsi donc ce dimanche matin, je me sens trop bien, on a bien joué hier soir, c’était agréable de voir ce trop de monde, cette ambiance de match de football. J’ai allumé un feu de bois, véritable cliché du bonheur, le paysage est blanc, et j’attends sereinement la prochaine catastrophe.

3 mars 2013 . Malakoff. J’ai un rhume.

Je vais parler comme les grands :

j’ai 3 remarques à faire

1) Emad Burnat est palestinien, Guy Davidi israélien, ils signent un film ensemble. Cela fait du bien, c’est ça que l’on devrait tous faire. Se jumeler : entre artistes juifs/palestiniens, Israéliens/ palestiniens.

2) Il n’y a que douze copies du film qui circulent en France, donc ça ne passera jamais à Montbéliard, c’est la honte, et même à Paris, à peine 3 salles et pas toute la journée !

3) Une caméra, ça équivaut à 10 000 pierres de l’intifada.

Un film comme ça, ça te donne une prise de conscience immédiate, l’Art c’est ça, ça te scanne, ça te radiographie, ça t’agrandit ta vision, ta compréhension. et ça combat.

Tu comprends ? et tu sens la nécessité profonde de l’Art. De qui je cause ? de quoi ?

10 mars 2013

Le moment précis où l’on vous annonce la mort de quelqu’un est un moment bizarre.

Tu sais quoi ? Une triste nouvelle, Znorko est mort. C’était le 5 mars. On reste un moment sans réaction, et puis très vite on a le réflexe de partager, de le dire à tous ceux qui l’ont connu. Il y a des morts qui vous laissent indifférents, mais Mais Znorko, je le vis comme une amputation. Parce que Znorko, par contraste, nous montre à quel point le théâtre public s’est transformé en vaste microcosme grouillant de courtisans avides, cupides et laids transformant leur art initial en course à la carrière, aux places, hommes sans regard, taiseux, avides, mesquins. Si t’as pas connu Znorko , sache juste que cet homme -là était une sorte de Rimbaud du théâtre, et qu’il mettait autant de théâtre dans sa vie, que de vie dans le théâtre. Il avait un style, des obsessions, il était incapable de devenir un adulte, il savait tout du merveilleux urbain, n’importe quelle ruine, il s’en emparait pour nous raconter des histoires invraisemblables. Je vois bien son visage , aussi léger qu’un ange, incapable de la moindre vulgarité. Ses images étaient du fer rouge, je les garderai jusqu’au bout dans le lobe gauche de mon cerveau. Znorko avait 56 ans, on ne le connaîtra jamais vieux. Tant mieux.

17 mars 2013

Je participe en tant que membre fondateur et initiateur pédagogique au final de la formation des apprentis de la FAIAR après 18 mois, 9 fondamentaux,1 moment extraordinaire,1 voyage imaginé, des ponctuations, c’est une sorte d’ anti -école de théâtre, axée sur l’art en espace public. Donc à la fin, chaque apprenti présente son reflet sous 4 formes, tout ça est très bien, on met en place une armée d’évaluateurs, les auditeurs, et les observateurs. Et là j’assiste dans ce milieu où on ne se fait pas de cadeau, à une immense tartufferie, personne, personne n’ose parler vrai et ce ne sont que félicitations, et louanges et couronnes de laurier aux soi-disant ou pseudo artistes en herbe qui n’ont pas droit à la moindre parole de vérité, ni à aucune validation par un vrai public. On ne peut pas, parce qu’on n’est pas là pour les blesser, mais pourtant au lycée, la remise des copies était une épreuve pour le dernier de la classe qui avait 2/20. Mais toi Jacques, t’as qu’à le faire ! La dernière fois, je l’ai fait pour le bac des classes -théâtre, je ne voulais pas mettre de 17 et illusionner les élèves sur leur valeur, on m’a aussitôt viré. Mais Jacques fais- le. Mais Jacques sois clair, dis-le que certains ne méritent pas d’être diplômés. Non, je ne veux humilier personne, je ne peux pas, je ne peux pas...Je n’ai jamais su tuer un petit chat.

24 mars 2013

Nous avons un public de Kapouchnik totalement fervent. Les 400 places s’arrachent à chaque fois en moins de deux heures. Nous proposons à ce même public de venir assister à notre Macbeth dans une forêt située sur le territoire d’Audincourt, nous leur proposons 120 places gratuites pour une avant- première de la pièce. Le bide. Pas de réponse positive. Ce public veut voir le Kapouchnik, rien que le Kapouchnik. Ce n’est pas un public de théâtre. La culture cultivée, ils n’en veulent pas. Shakespeare joue le rôle de repoussoir, même jouée par les comédiens du Kapouchnik. Le public aime savoir d’avance ce qu’il va voir, l’aventure Shakespeare dans une forêt ne les tente absolument pas. Le vrai public des institutions théâtrales, quant à lui, fuit le Kapouchnik, pour eux c’est de l’art mineur, ce n’est pas de la culture. Mais vont-ils accepter de se mettre en rupture avec leurs routines de théâtre confortable et numéroté ? Allons nous être capables de convaincre le public de Kapouchnik, que Shakespeare est un auteur contemporain, qui démontre magistralement le goût du pouvoir. Affaire à suivre. Inquiétude aussi.

31 mars 2013 Neige à Villars les Blamont. -1°C

Le tyran Macbeth vient de mourir, grande joie populaire, et immédiatement l’héritier légitime de la couronne Malcolm fait son premier discours. Et une question qui affleure sur nos lèvres est évidemment la suivante “ sera t-il meilleur que Macbeth pour sortir le peuple de la misère” ? Scepticisme, on vient d’assister à la chute de chefs d’état tyranniques, et déjà l’espoir s’évapore. On la fait comment cette fin ? Triste et désespérée ? Regarde en France. Qui aurait cru qu’avec Hollande la chasse aux Roms allait continuer ? Qui aurait cru qu’il allait se laisser menotter par les banques ? D’accord, mais il y a Aurélie Filipetti à la Culture, ne me dis pas que ce n’est pas un changement. Et puis Chavez et Lula. Shakespeare joue pour moi un rôle d’activateur de neurones, c’est un piolet qui m’aide à grimper dans ma compréhension du monde. Première avant-première le 8 avril. On a fait le chemin, on joue dans la boue, le froid, la pluie, c’est enivrant, on met tous nos sous, toutes nos forces sur cette pièce, mais pour quel résultat ? On ne le sait pas.

7 avril 2013 . Villars 14°C

Je vis sous la dictature de Macbeth, plus rien ne compte, sauf Macbeth. Je lis même la vie à travers les phrases de Shakespeare. "ici les hommes ont des couteaux dans leurs sourires" et l'affaire dont tout le monde parle, le mensonge de Cahuzac, c'est dans Shakespeare aussi. En fait le théâtre pourrait très bien remplacer la Bible et le Coran.

Ce qui me plait, c'est l'absence totale d'intérêt de notre démarche artistique sur le Pays de Montbéliard, pour eux Shakespeare, c'est dans une galaxie hors du système solaire, dans la forêt, ça fait peur, ça fait trop froid. Je supplie les gens de faire un effort, mais c'est ainsi. Nous sommes malaxés cervicalement par des ondes profondes, où la sortie d'un nouveau modèle d'I phone fait un buzz magistral, tandis que notre pauvre théâtre se jette en vain aux pieds de FR 3 pour obtenir 3 secondes, mais tout le monde s'en fout et s'en contre fout, alors que nous passons nos nuits dans la forêt à rajouter quelques derniers ingrédients. Il faut dire que tous les Shakespeare indigestes de 3 H 30 ont fait un joli travail de distanciation ( au sens de je prends mes distances vis à vis de Shakespeare).

14 avril 2013 Malakoff. 17°C. Le printemps

Je vivais à une altitude shakespearienne, enivré de métaphores et de branches d'arbre. Retourner chez les humains a été une expérience pénible. Trop de prose, pas assez de poésie. Les mots me collent à la peau, et continuent de résonner. J'ai l'idée que le seul combat contre la crise devrait être poétique, je ne sais pas si Stiegler il dit cela, mais comme Frank Lepage, il parle d'une guerre du vocabulaire. Pour l'instant ils l'ont gagnée, le patron est devenu entrepreneur, le capitalisme est devenu libéralisme, un licenciement est un plan social, un exploité est devenu un défavorisé. C'est la bataille du langage qu'il faut livrer. Le théâtre et la poésie se doivent d'être en première ligne. Quand nous montons ce Macbeth, nous sommes en guerre, nous livrons la bataille du verbe.

22 avril 2013

Je regardais hier soir des spectateurs du Kapouchnik rire jusqu'aux larmes. Je me disais, oui c'est formidable mais peut -être pour Pierre Palmade ou Frank Dubosc ou n'importe quel humoriste ce serait pareil. Et pourtant le Kapouchnik n'a rien à voir avec ces humoristes, il y a certes des moments de grande bouffonnerie, mais aussi des moments graves, des moments qui font réfléchir, Notre but n'est absolument pas de faire rire, mais pourtant là j'avais sous mes yeux toute la gamme du rire, le premier rang se tordait littéralement, se secouait, une femme s'essuyait les yeux avec un Kleenex . Mais voilà, ce spectacle n'existerait pas s'il avait fallu faire un projet, démarcher les structures culturelles, faire un budget de production. Le Kapouchnik c'est une maturation de dix ans. Qui aurait accepté un spectacle avec 19 comédiens ? Qui aurait accepté un spectacle aussi "borderline" ? Il est là mon tourment, mon souci, je sens que notre "Macbeth en forêt"si nous n'inventons pas nous -même un mode de diffusion original restera au garage, et nous pleurerons les 170 000 € de production. Un jour j'ai dit à une directrice de scène nationale " si vous ne prenez pas notre Macbeth, ce n'est pas très grave, cela signifierait que vous ne connaissez rien au théâtre, et jouer chez des gens qui ne connaissent rien, cela ne nous intéresse pas". Eh bien, elle va nous prendre.

28 avril 2013 Villars les Blamont . 9 °C

Qu’ai je donc ce ce matin ? Je suis bloqué, tétanisé, obnubilé, paralysé. Mon corps et mon âme sont les victimes d’une occupation d’un ennemi venu de l’extérieur, attaques très difficiles à juguler. Les phantasmes se bousculent, avec des images assez aigües, je vois précisément la chose. Et puis non, c’est comme dans Tchekhov, quand le docteur voit les êtres humains comme des insectes microscopiques.

C’est la fin des Ruches, un nuage d’amour envahit la Maison Unité, une semaine à baigner jour et nuit dans la poésie, la recherche de l’Art, une semaine d’immersion dans un univers quasiment immatériel. Je n’ai qu’un seul objectif à l’heure qu’il est : juguler l’incendie provoqué par toutes ces frictions, ces frôlements, ces intimités, ces regards si chargés, ces corps électrisés, ces mots si violents, ces voix trop sensuelles. Oui, mais pas seul.

3 mai 2013. Villars les Blamont. 11°C Grisâtre.

Je ne vais pas me flageller en affirmant que le théâtre n’intéresse personne. Alors que dans tous les coins de la ville on nous salue comme le acteurs du Kapouchnik du pompiste à la caissière du supermarché, n’empêche que je ne suis jamais content, il y a trop d’acteurs et de metteurs en scène qui ont fait un tel tort au théâtre que beaucoup de spectateurs ne veulent plus y revenir. Il y a tant de tricheries, tant d’acteurs qui jouent faux, qui nous endorment, qui ont un égo gonflé de vanité que je peux comprendre le phénomène de rejet. Il y a tant de pièces qui ne respirent aucune urgence, aucune nécessité, et tant de fausses valeurs montées au pinacle que l’art théâtral devient aussi suspect que l’Art contemporain. Et alors, Monsieur Livchine, c’est quoi l’urgence de votre Macbeth ? Pardon, l’urgence ? Hmmm, Heuh, je veux dire que Shakespeare a le verbe politique, vous avez Coppé, Fillon, Khadafi, Poutine, Bachar el Assad, Cahuzac, Gueant, tous les mécanismes d’un monde qui continue de se construire sur des tas de mensonges, de violences, de traîtrises, de cadavres. Mon voisin en a rien à foutre de mes arguments, il doit peindre ses volets, couper son bois, tondre sa pelouse, il n’ a pas le temps.

11 mai 2013 Villars les Blamont. 9°C.Nuageux.

Incident diplomatique dans la cellule de direction de Macbeth en forêt. J’affirme sans ambages, que la pièce dans sa version du 8 avril 2013 est un ratage. Hervée s’insurge et dit : les images sont splendides, les comédiens sont sortis du ronron, il y a des défauts à corriger, mais ce n’est pas une catastrophe.

Je l’avoue, quelques minutes avant de jouer, j’étais sûr que nous avions pondu un chef d’oeuvre, et quelque chose de neuf. J’avais eu cette sensation en 1977 lors de la première de la 2CV théâtre à Beaubourg.

Mais après avoir joué, j’ai compris et senti qu’il manquait une couche, qu’il manquait une dimension primordiale, je ne savais pas l’exprimer, mais un mois plus tard, je crois avoir compris. En fait, tant que la pièce n’est pas entièrement jouée, nous ne savons pas ce qu’elle a dans le ventre, ce qu’elle cache, les commentateurs des oeuvres sont inopérants, ils ne passent pas par le corps pour scanner une pièce. Nous avions cru comme ils le disaient que Macbeth était une pièce sur le pouvoir, sur la poétique du mal, sur la volonté de puissance, mais tout cela était faux. Macbeth parle de l’impuissance, de la stérilité d’un homme, de sa volonté de descendance, tel est le moteur de cette pièce de Shakespeare, trouvée dans une poubelle dans les décombres d’un théâtre dix ans après la mort de Shakespeare, exemplaire manifestement incomplet et trituré. “L’art est un sale boulot, mais il faut bien que quelqu’un le fasse”.

18 mai 2013. Marseille. Il pleut, il pleut, il pleut.

J’ai eu honte hier soir, je parlais à Audrey, 28 ans, et j’ai eu du désir pour elle.

J’ai eu honte hier soir de ce groupe d’amateurs anglais qui étaient trop mauvais.

J’ai honte de ne pas savoir m’arrêter de manger.

J’ai honte de ne pas oser téléphoner.

J’ai honte de me faire doubler dans les queues et de ne rien dire.

J’ai honte de me regarder et de constater que je ne suis pas un jeune premier.

J’ai eu honte de m’endormir au Ministère de la Culture lorsque Dominique Daeschler nous expliquait la procédure à suivre.

J’ai honte de faire un théâtre pas comme les autres et de n’aimer que le décalé.

J’ai honte de lire “le Monde” tous les jours et de ne rien savoir.

J’ai honte de ne pas comprendre totalement Bernard Stiegler.

J’ai honte de ne pas savoir parler russe couramment.

J’ai honte de ne pas faire de progrès à l’accordéon.

J’ai honte de trop parler et de ne pas savoir m’arrêter.

J’ai honte de ce gouvernement de gauche qui expulse les Roms et laisse un chômage des jeunes dans les cités qui monte souvent à 40%.

J’ai honte de la politique insensée d’Israël.

J’ai honte quand le public applaudit à la fin du spectacle et j’ai honte quand il n’applaudit pas.

J’ai honte à l’idée que lorsque je mourrais, je ne pourrais pas porter mon cercueil moi-même.

25 mai. Malakoff 11°C

Le théâtre c’est toujours bien quand cela s’arrête. Je ne comprends pas pourquoi on s’ennuie deux fois plus au cinéma qu’au théâtre. Je ne comprends pas pourquoi au théâtre on attend avec impatience la fin. Au théâtre, on t’en sert toujours un peu trop. Soit on comprend trop vite, soit on ne comprend rien. J’assiste à une pièce du N° 1 en France, au classement ATP des metteurs en scène. Sophistiqué, impeccable, clinique. La réunification des 2 Corées. Mais comme d’habitude, on attend la fin. La construction en petits tableaux séparés fait qu’il n’y a aucune raison que cela s’arrête, d’ailleurs Joël Pommerat en a une dizaine en réserves au cas où. Au bout d’1 H 50, il considère que c’est le moment d’arrêter. Et cela s’arrête sans aucune autre raison que l’on ne va pas y passer la nuit.

Notre Macbeth aussi va durer 1 H 50, sauf que chez Shakespeare, Macbeth est tué, et que Malcolm devient roi, et que l’on ne peut pas continuer. Mon rêve serait que quelqu’un me dise : “oh, cela m’a paru si court que j’aurais bien voulu que ça continue.” Ce compliment je l’accepterais volontiers, bien plus que les “c’était super” ou “j’ai passé un bon moment” que j’exècre.

2 juin 2013 Villars les Blamont. 11 ° C . il ne pleut pas pour la première fois depuis une semaine

Il y a un moment interlope. On vient de saluer. je me demande s’ils se lèvent de joie ou parce qu’il fait trop froid, on les invite à nous rejoindre pour le scotch qui s’impose après l’épreuve du Macbeth. Et me voilà au milieu du public, et je suis gêné, j’ai des gants de forgeron à la main, le visage sale, et je suis encore dans l’énergie de la dernière bataille. je croise des regards, c’est la première, je n’ai pas la moindre idée de ce que pensent les gens. Quelqu’un me dirait, c’est nul, c’est de la daube, on ne voit rien on n’entend rien. Je le croirais. La situation est bancale, eux, aussi, les gens du public sont en phase transitionnelle de retour à la vie réelle. Ils n’ont pas envie de me parler tout de suite. Dans le théâtre dit “normal” les acteurs se retirent en loges, les intimes toquent à ta porte, le reste du public t’attend à l’extérieur, mais là, il n’y a pas de loges, il n’y a pas de coulisses. Peu à peu des groupes se forment, cela discute, je cherche à décrypter ce qui se dit, je dis à Robert “t’es venu à 88 ans voir ça ? “ Il est avec des gens que je ne connais pas, qui me disent “ah l’Unité vous nous avez toujours étonné, et les voilà qui égrènent leurs souvenirs, L’Avion, Mozart au chocolat, Terezin, Brecht pour Muguette, Oncle Vania, et puis, l’un d’entre eux, un technicien Peugeot me dit “ ce Macbeth, on ne le retiendra pas dans sa tête, mais dans sa peau”. Je me couche heureux d’avoir touché au moins une personne.

8 juin 2013 Villars les Blamont. soleil. bel orage le soir.

Y a des jours je suis contre tout, tout m’irrite, tout m’énerve, alors faut que je fasse passer ces humeurs contre quelqu’un pour m’en débarrasser. D’abord le théâtre, c’est quoi toutes ces pièces inutiles, sans urgence, pourquoi ai-je si peu envie de m’enfermer pendant une heure avec un théâtre dialogué mal joué, mal éclairé, a-ton le droit de faire souffrir les gens comme ça ? Enervé contre la presse qui transforme un fait divers en symbole politique, on fait de Cédric une victime du fascisme montant en France, et tout ça à cause de la Frigide Barjot qui a dit à Hollande “vous voulez du sang , vous l’aurez”. Là, je me prépare à jouer dans un village toute la journée, j’ai peur de l’idéologie- village, on aimerait que les villages soient plus solidaires et moins anonymes que les grandes villes. Tu parles, à chacun sa tondeuse. Alors il est où le salut ? Dans le cul-inaire ?

16 juin 2013 . Villars les Blamont. 25°C

Ce n'est pas évident d'avoir un avis, une opinion sur quelque chose et de se la faire tout seul. J'ai une belle fille du nom d'Alexandra, elle sculpte, elle peint, elle dessine. Comme tout le monde je dis : "c 'est bien ce que tu fais". Mais Philippe Dagen du journal le Monde sortirait un article du style " A deux pas du Métro Malakoff rue Etienne Dolet" j'ai découvert Alexandra Fontaine, une des perles de la poésie picturale des années 2000" je ne dirai plus " c'est bien ce que tu fais" mais «c’est génial» et je serais trop fier d’exhiber l'article et d'inciter chacune et chacun à acheter avant qu'elle ne soit trop connue.

Les critiques sont des fées, ils mettent un coup de baguette sur ton oeuvre, et tout le monde se met à t'admirer. C'est ce qui est en train de m'arriver, j'entends bruisser des murmures ici ou là "J'ai lu le papier de Thibaudat, dans rue 89 il a l'air formidable ce Macbeth" et la rumeur se répand un peu partout et s'amplifie. Il est formidable paraît- il ce Macbeth. C'est comme ça " il ne suffit pas de faire une belle oeuvre, il faut surtout que des gens réputés qualifiés, le disent ".

22 juin Amiens. pluie. 12°C

J’ai vu une pièce, les comédiens étaient mauvais, le texte faible, le décor exécrable.

Edith me dit «oui, mais le public a beaucoup applaudi». Je lui réponds : «il n’y a que le public qui a aimé».

Je m’inspire d’un bon mot de Sacha Guitry pour raconter cette histoire. Mais c’est un des grands problèmes du théâtre. Le succès n’est absolument pas un gage de qualité. Et pourtant quand t’en as pas, t’es mal. Un jour, Alain Crabot qui produisait un de nos spectacles grand format pour les comités d’entreprise a eu cette formule choc : vous devez vous adresser à un enfant de 4 ans qui lit Libé. C’est ça le problème, il faut savoir intéresser autant Josette et Jeannine qu’ Edouard et Pierre André.

30 juin 2013. Wasselonne (alsace). 13 °C. Nuageux

J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé.

C'est une citation de Voltaire, que je déniche dans sciences et avenir.

J'adore lire les magazines scientifiques, je comprends ce que je veux.

Exemple, je suis persuadé que que lorsque quelqu'un a le cancer, c'est toujours provoqué par une contrariété.

Je sais que la mise au rebut que représente la retraite pour certains engendre immédiatement une réaction négative du corps.

Alors j'adore imaginer l'hypotalamus le centre de plaisir du cerveau avec sa sécrétion d'endomorphine, j'adore toutes les histoires qui nous disent que le corps est géré comme devrait l'être la société, par exemple quand une partie du corps se sent mal, toutes les autres parties envoient du secours, aucune partie ne peut s'auto -proclamer supérieure aux autres. Je ne comprends pas par contre pourquoi depuis quatre jours j'ai 7 vers de Boris Vian que je ne n'arrive pas à évacuer de ma tête.

"et moi je vois la fin qui grouille et qui s'amène

avec sa gueule moche

et qui m'ouvre ses bras de grenouille bancroche

je voudrais pas crever Non Monsieur, non Madame

avant d'avoir tâté ce goût qui me tourmente, ce goût qu'est le plus fort

je voudrais pas crever avant d'avoir goûté

la saveur de la mort."

Samedi 6 juillet. Villars les Blamont 25°C. L’été enfin....

Supposons que je ne sache pas que le nouveau président est socialiste et que l'Europe est en crise. Est- ce que cela se reflète dans mon village ? Non. Comme d'habitude, les habitants continuent de vénérer leurs maisons, et leurs jardins. Ils courent de Bricorama à Jardiland. L'épicerie après avoir été fermée un an a trouvé un repreneur, elle s'appelle Proxi. Mon voisin s'est acheté un énorme récupérateur d'eau de pluie. Non, décidément la crise n'a pas l'air de toucher le village.

La crise touche t-elle le théâtre de l'Unité ? Pas le moins du monde non plus. Le jeudi 4 juillet 2013 a eu lieu une cérémonie solennelle de signature d'une convention avec la municipalité d'Audincourt et l'Etat, en présence des autorités, sous -préfet, directeur de la Drac, Maire. Compliments, félicitations, reconnaissance. Alors, la crise ? Pas pour l'Unité. Alors la Criiiise ? Où ça ? Eh bien 'je l'ai rencontrée, à Malakoff, notre maison a été cambriolée deux fois la même semaine, deux ordinateurs volés avec effraction, et deux jours avant on m'a volé à Amiens mon I phone et mon appareil de photos, alors là oui, la crise, elle est bien là, aigüe et intrépide, elle m'a happé et retourné, mis à terre et Orange m'a achevé.

Dimanche 14 juillet Avignon 32 °C

Alors t'as vu quoi de beau ? Des milliers de personnes envahissent la rue des teinturiers et la rue Guillaume Puy et tachent d'obtenir des infos sur ce qu'il faut voir. Les profs guettent Diderot, ou Rousseau, les informaticiens de gauche vont chez Didier porte, ou Viczorec, Pierre Richard est à l'école de la Sale, près de la rue Pasteur. Il y a la queue, des murs d'affiches hiéroglifiques. Dans le IN on a pris ses places des le 17 juin, tout le monde dit que le Nordey est ennuyeux, alors ça se revend au cloître St. Louis, pourtant les deux grands journaux et les spécialistes ont parlé d'un grand poème dramatique, d’un chef d’oeuvre, mais 32 € les 4 heures d'ennui, faut être motivé, j'y vais pour alimenter ma haine d'un certain théâtre, mais j'ai plutôt pitié. L'événement pour moi va venir du petit Julien connu à Calais en 2004. Je reste scotché, avec ses copains d'école du théâtre du Nord, il nous fait un Houellebecq d'une force prodigieuse. Pour une fois, je me lève à la fin avec le public. Même la petite paralysée en chaise se lève malgré ses jambes flageolantes.

Lundi 22 juillet 2013. Villars les Blamont 30° C

Je n'aime pas les saluts au théâtre. J'ai l'impression que c'est un rituel routinier et qui s'est vidé de son sens. Les acteurs s'exhibent fièrement avec cette arrogance de l'homme après l'amour qui dit à sa partenaire " c'était bien hein ? ou " j'étais bien hein ? Les applaudissements ne veulent plus rien dire, puisqu'on applaudit automatiquement qu'on apprécie ou non, les acteurs rentrent ensuite dans les loges en trottinant et de dos, histoire de nous dire qu'ils sont naturels maintenant. Alors on leur demande de revenir au moins une fois, on voit dans leurs regards qu'ils essayent de repérer quelqu'un qu'ils connaissent dans l'assistance. les acteurs se courbent en deux, c'est la révérence, c'est l'habitude, Jouvet disait que c'était pour demander pardon. Ce serait pour remercier le public d'avoir été là et d'avoir été bon ? Foutaise. On n'a rien de trouvé de mieux que le salut depuis 2500 ans, puisque ne pas saluer, c'est considéré comme un cabotinage encore pire. Il reste la "standing ovation". Le public se lève. Là, oui, là c'est quelque chose, là ça démontre que le public est vraiment content. Je vous raconte tout ça juste pour vous dire qu'aux trois séances de Macbeth à Mulhouse, le public s'est levé à chaque fois, et j'ai été heureux de ce geste qui change du mode automatique des applaudissements que je déteste.

Lundi 29 juillet 2013. Villars. 19 ° 8. Pluie

J'ai voulu que ce mois d'août soit une immense plage blanche. Vide de tout engagement vide de tout. Le théâtre, ce sont des moments tellement forts que rien comme activité ne peut l'égaler. Parfois j'ai un phantasme Taganrog. Aller me prendre en photo devant l'épicerie des parents de Tchekhov au bord de la mer d'Azov en ukraine. Et puis une envie d'écrire, parce que quand je vois ce qui sort en librairie, je me dis que moi aussi je suis capable de fabriquer une mosaïque de toutes ces pensées qui me traversent comme des étoiles filantes. C'est triste, je ne suis pas capable de m'asseoir dans un fauteuil et de lire du Montaigne . Alors ce mois d'août des forces négatives vont s'emparer de moi pour m'entraîner dans la plus belle dépression oblomovienne jamais vécue, celle où la mollesse et le pessimisme l 'emportent sur les valeurs merveilleusement positives de l'existence, ces valeurs que j'honnis.

Samedi 3 août 2013 . Villars 29°C

Est ce que les limaces sont orange pour éviter qu'on les écrase ? Est ce que la queue d'Elanka est blanche au bout pour que les voitures la repèrent. Comment se fait-il que deux hommes préhistoriques sortent le même dessin dans une grotte différente à 15 000 kms de distance ?

Comment se fait-il que tous les fruits tiennent dans la main de l'homme, à part la pastèque, mais là, les parts sont dessinées à l'extérieur. J'ai du temps, je le perds, je le gaspille. Je ne fais rien, je souffre. Je lis Montaigne, en vieux français, bizarrement ça me plait. Toutes les questions qu'il pose sont modernes. C'est la même époque que Shakespeare. Hier j'ai vu une pièce contemporaine, mon dieu qu'elle était vieillotte. J'ai souffert, beaucoup souffert, je me serais bien enfui pour mettre ma tête sous terre, mais je n'avais pas payé ma place. Edith dit que je suis moins déprimé que Kafka. Il n'y a que les gens malheureux qui peuvent me mettre en forme.

Dimanche 11 août 2013. Vareilles. 15°C

J'ai vu des amis, des gens que j'aime , que je vois très rarement, on a fait un petit bout de la vie ensemble, on se retrouve après 30 ans. Paule est partie dans le village de ses parents en Hte Loire, elle me raconte des pans entiers de moments théâtraux que j'ai oubliés. Marie me fait un poème caresse, elle est aide- soignante, quand elle faisait du théâtre avec moi, elle avait neuf ans, Alain me raconte sa bande du carnaval des ténèbres, il en est encore ému, et le Michaux, ils sont encore des dizaines à s'en souvenir. Pourtant je n'aime pas trop le culte des souvenirs, là je vois juste qu'une troupe de théâtre a semé pendant 7 ans sur le territoire d'une Ville Nouvelle, la récolte se fait 30 ans plus tard. C'est un message que j'envoie aux évaluateurs en tous genres.

Dimanche 18 août. Vareilles, ciel bleu limpide. 25°C. 950 mètres d’altitude

Cela m'a fait plaisir, certes un plaisir désuet, mais un double plaisir. Une jeune fille du nom de Suzanne m'écrit une lettre, mais une vraie lettre, un peu un morceau littéraire comme dans les siècles passés quand les mels n'existaient pas, une lettre avec des enluminures envoyée du Japon. Il n'y avait que Christian Bobin qui m'avait adressé il y a plus d'un an lui aussi une vraie lettre avec une superbe écriture. Double plaisir, car j'ai trouvé quelques cèpes que j'ai tutoyés "ah ah tu voulais te cacher, mais je t'ai trouvé et je vais te manger".

Dimanche 25 août 2013. Aurillac . 14 °C

Aurillac. Selon la personne que tu croises tu es un homme différent. Pour certains, tu es Livchine le nul, le raté, le vulgaire, le n'importe quoi, le provocateur, le donneur de leçons, le celui qui n'aime rien, le populiste, l'idiot de service. Pour d'autres tu es une personnalité, la figure historique du théâtre de rue, un homme plein d'humour, tu es un metteur en scène, tu es connu, pour la troisième catégorie, ceux qui ne te connaissent pas, tu es vieux, tu es moche, mal habillé, tu es celui à qui on n'a pas envie de parler…

Lundi 2 septembre 2013. Villars les B. 13°c

Voici donc la troisième personne qui se ballade dans le monde avec mon identité. Pour la troisième fois je me fais dépouiller de mes papiers, le commissaire en prenant ma déposition n'a pas une once d'étonnement, quand je lui rappelle que j'ai été délesté de 2 ordinateurs début juillet, il est totalement indifférent, je lui dis que mon téléphone et mon appareil de photos c'était le 23 juin, il s'en fout royalement. Hier soir, j'ai droit à une intrusion dans mon compte facebook, des chenapans écrivent de insanités à ma place, ils sont trahis par leur orthographe désastreuse. J'ai droit à un robot pour traiter le problème. Donc me voilà sans papier, sans CB, sans carte vitale, et surtout sans carte de fidélité super U, c'est ça qui me fait le plus mal. J'avais 20 € sur ma carte super U, c'est 6 mois de courses…

8 septembre 2013. Angers

Je n'y peux rien, j'aime le théâtre qui rassemble autant de peuple que le football.

J'aime le théâtre quand on est prêt à grimper sur une poubelle ou un toit pour voir quelque chose.

J'aime la culture quand toute une ville décide de sortir de ses maisons pour être de la fête, pas une fête à la saucisse ou aux petits pois ou un vide- grenier, non des groupes artistiques du monde entier, que l'on vient dévorer goulûment. C'est Angers les Accroche-coeurs ce 8 septembre. Quand on pense que la première décision de Moscovici président du pays de Montbéliard, fut de supprimer le réveillon du 31, le réveillon des boulons, sous prétexte que ça avait été inventé sous la droite, je retiens ma colère, ces gens-là sont des assassins de ce qui fait lien dans une ville. Tant pis, je me régale à Angers de voir tout un peuple réuni à plus de 250 000 pour un événement artistique, festif et poétique.

Lundi 16 septembre 2013. Malakoff. 16 °c

Cela me rassure, croiser jean Luc Godard et ses 83 ans, Agnès Varda, 85 ans , tous les deux l'oeil vif. Oui on peut encore mourir(envie ) comme le dit si bien Lubat. Alors je me dis "jacques il te reste 7 ans pendant ces 7 ans, fais tout ce dont tu as envie". Mais au fait de quoi ai-je l'envie ?

Je n'ai pas envie de faire de tourisme exotique, je n'ai pas envie d'avoir une piscine, je n'ai pas envie d'aller au Métropolitan opéra, je n'ai pas envie de l'I phone 6, je n'ai pas envie d'un home cinema, je n'ai pas envie de changer de matelas, je n'ai pas envie d'une Ferrari etc. mais alors de quoi ai-je envie ? J'ai une seule envie qui me tenaille, et qui me crispe et qui me triture. Non, non, il ne s'agit pas d'un phantasme sexuel. C'est quelque chose qui a à voir avec le désir d'éternité. Mais je ne le dirai pas, car je suis déjà assez ridicule comme ça.

Dimanche 22 septembre 2013 Villars. 16°C

On dit souvent, le théâtre sert à poser des questions mais n'a pas à donner de réponses. Un peu bizarre cette assertion. Après chaque Kapouchnik, je me réveille et je repasse en revue de la soirée.

Par exemple ce qui me trouble c'est notre indifférence totale au génocide du Congo, 7millions de morts, et ça arrange tout le monde, car il s'agit de la guerre du minerai dont est fait notre portable.

On s'émeut de la Syrie, de l'Egypte, de la Palestine, mais des africains jamais. Une autre question qui me reste en travers du gosier, c'est le comportement des mairies face aux mariages extrêmement festifs de nos compatriotes d'origine immigrée. Interdictions, verbalisations, police sur pied de guerre. Est ce qu'il iront jusqu'à interdire les manifestations de joie spontanée lors des victoires de la France aux coupes du Monde ?

Samedi 28 septembre 2013. Valparaiso. 12°C

Je suis stressé, parce que tout le monde à la fois me montre le Chili et me demande comment je le trouve. Tu vois, là c’est la baie ! les maisons ! les ascenseurs ! les gens ! le vent ! le ciel ! les rues en pente ! les avocats ! Regarde la vue, elle est pas belle la vue ? Ne me dis qu’elle est pas belle ? Et notre hôtel, franchement, là t’es bien, t’as vu la vue depuis la terrasse, la vue sur la mer, magnifico, et tu goûteras à la cuisine elle est trop succulente la cuisine, Jacques ne me dis pas que t’es pas bien. Et moi je me tais, parce que je vois la misère, une sorte d’immense bidonville, un centre ville tout vilain, tout sale, des gens mal habillés, et surtout des chiens, des chiens partout, 80 000 chiens à Valparaiso, mais personne ne me montre ces chiens couchés partout parce que personne ne les voit.

dimanche 6 octobre. Valparaiso. 19 °C

Philippe Fenwick a été rétoqué au TGP de St Denis, il me fait lire sa lettre de candidature : public, théâtre vivant, populaire etc. Je lui demande de quoi il s'étonne, il fallait écrire pour être admis : lieu de création pointue, fin de l'utopie vilarienne, artistes associés, Pommerat, Novarina, colloque international sur la traduction, culture cultivée pour vrais connaisseurs, pas de démagogie quartier, pas de théâtre sociologique etc.

Je prends conscience au Chili à quel point nous aimons jouer pour les gens qui ne mettront jamais un pied au théâtre, il est là notre bonheur, nous sommes vraiment des malades à mille lieux de tous les CDN du monde entier.

Samedi 12 octobre . Valparaiso. 7 °c

Au terme de 3 semaines au Chili avec une trentaine d'acteurs, je fais comme d'habitude quelques synthèses conclusives.

Ils ont décrété qu'Hervée et moi -même nous étions des maîtres du théâtre de rue.

Ils ont dû se dire pour que des maestros nous étions bien humains, d'abord à s'étriper en public, à faire des allers- retours incessants entre une idée et une autre, à prendre des fausses routes.

mais ce qui compte le plus c'est qu'eux, ils s'élèvent un peu au sens d'élève, mais que nous, nous partions plus riches de quelque chose. Mon butin est effroyablement banal, mais c'est une nouvelle sentence à ajouter à mes mile et trois sentences. Allons y : "L'acteur doit être un décathlonien". Oui contrairement à ce que beaucoup croient encore, l'acteur : une belle gueule, une voix. Non, un acteur du XXI ème siècle, il articule, il sait se servir de son corps, de sa voix, il chante, danse, sait jouer d'un instrument de musique, a un imaginaire très fort, une sensibilité à fleur de peau, une vision de la société, il est acrobate, jongleur, pratique du sport, a une connaissance de l'histoire du théâtre, connait une trentaine de poésies par coeur, est curieux de tout, observe la société, la rue. Rien de neuf, Meyerhold avait déjà écrit tout ça en 1930 avec son Balagan, son théâtre de foire.

Dimanche 20 octobre . Villars les blamont Pluie, Feuilles qui tombent 14 ° C

La vraie vie est absente, nous ne sommes pas au monde. Va t'en phrase maudite. Cela me reprend à chaque fois, la haine de la vie domestique, la haine de la vie banale. Pourtant au salut de Macbeth, j'aime bien, parce que je me suis battu, et que me j'identifie à un héros, à un surhomme mais deux secondes après un spectateur me hèle pour me dire : " c'était très sympathique", mais moi je l'envoie paître, je lui dis, tu me dis tout sauf ça, Ah non, me dire que c'est sympathique, alors que moi je voulais raconter les forces cosmiques, le pouvoir, le remords, la traîtrise, le couple, l'impuissance , la descendance, la nature, la boue, l'air, et voilà, ce spectateur me signale qu'il a passé un bon moment. Il est là le malentendu du théâtre, et c'est une tragédie, nous lançons des métaphores et des images d'une grande beauté et notre regardeur pense dans sa tête " demain je dois faire une lessive".

Dimanche 27 octobre . Villars , il pleut, les petits enfants en vacances.

3 semaines passées au Chili en tant qu'instructeurs et transmetteurs de théâtre de rue avec exercices pratiques dans les rues de Valparaiso. Et puis, le buzz, nouveau mot à la mode, le bourdonnement des médias. Un film d'une des interventions est vu plus de 60 000 fois sur youtube, la TV chilienne le passe à son tour et voilà le film sur les TV américaines. Un autre pays d'Amérique latine nous réclame, si ça continue nous serons plus connus en Amérique qu'à Audincourt.

Le chemin pour voir le film : dans le menu en haut Valparaiso 2013,

premier chapitre mariage, banques etc et un lien vers la TV américaine. Le sujet est en anglais, mais les images parlent d'elles-mêmes.

Samedi 2 novembre . gris et venteux. Villars

Quand je vois à quel point la Gauche a une mauvaise image, et réussit très peu ce quelle entreprend-, on traitait Sarko, de tyran, on traite Hollande de mou. Quand on connait certains ministres d'un peu plus près, et que l'on sait à quel point le titre leur importe plus que tout le reste, on se dit vraiment "de deux solutions je choisis la troisième", c'est quoi la troisième solution ? La troisième c'est nous, nous qui sur le terrain, inventons, innovons, légiférons, je le dis d'autant plus facilement que je sors de quatre jours intensifs avec des habitants du quartier d'Etouvie d'Amiens, et que nous inventons avec eux l'insurrection de l intelligence.

9 novembre 2013. Villars . 6°C

Je m’étonne qu’à la faculté d’Art et de désign d’Amiens où je suis appelé pour diriger des travaux de théâtre de rue aucun étudiant ne connaisse le nom de Patrice Chéreau. Ils ont entre 18 et 20 ans, Ils n’ont pas choisi la section théâtre, cela fait partie du tronc commun obligatoire. Mais Il ne faut pas que j’oublie que lors du premier cours de Dort à l’institut d’études théâtrales de Censier, je n’avais jamais entendu le nom de Stanislavski, ni celui d’Appia, ni celui de Craig. Je cherche le point nodal commun avec ces étudiants. Ils me parlent tous d’Annibal Marcel. Jamais entendu parler de ce film.

50 ans nous séparent. Alors je m’y prends autrement : “je vais vous transmettre ce que je ne sais pas encore”. Leurs regards sont hagards. Et l’amour vous connaissez ? Ils ont l’âge des premiers émois amoureux, sur ce sujet ils sont intarissables. Oui mais j’ai 6 heures à passer avec eux, sujet principal, le théâtre de rue. Comment m’y prendre ?

16 novembre 2013 . Malakoff 5°C

Je me reconnais tout à fait dans ce prêtre qui quitte la paroisse de Sceaux, une des villes les plus riches du 92, pour s’exiler au Cameroun, là où il doit être, dit-il, on lui déconseille, tant pis il sera enlevé. Il faut se trouver “là où il faut être”. Et nous c’est Audincourt, je me sens inutile au Rd Point à l’Athénée, à l’Odéon,

Je me sens bien et utile à Amiens, avec tous ces habitants qui regorgent de vie et d’idées, je me sens bien à Calais au milieu de ces 17 femmes qui veulent parler de la famille, et bien sûr au Kapouchnik. Se sentir utile, c’est toute une conception de l’Art qui tourne clairement le dos à l’ensemble de la profession.

24 novembre 2013 Villars 2 °C

J’ai l’impression que Francis Huster, jacques Weber,Pierre Arditi, Michel Bouquet, Denis Podalydes etc. sont des étoiles mortes, et pourtant que leur lumière continue d’ arriver. C’est un bizarre phénomène, on les applaudit avant même qu’ils n’aient joué. Il y a un moment où la pierre à briquet n’émet plus la moindre étincelle. Certes, plus on joue, plus on a de l’aisance, mais plus on joue, plus on se repose sur des ficelles techniques. Comment se renouveler ? Comment ne pas s’imiter soi-même ? Telles sont les questions qui m’assaillent aujourd’hui. Ma seule réponse c’est “va vers ton risque”. Pas si facile.

30 novembre 2013. Villars les Blamont 1 °C

Et voilà, c’est arrivé, je me retire du Kapouchnik après 92 représentations, je ne supporte pas de ne pas prendre de plaisir, de voir que cela tourne en rond. Cela avait été créé pour forcer les jeunes acteurs à s’intéresser au monde, mais le résultat est là, personne ne croit plus dans le politique pour changer le monde, pourtant le public est toujours là, bien fervent, ne se lasse pas, il est bien là le danger du succès, avant même que cela commence, ils veulent applaudir, ils nous aiment quoiqu’on fasse, c’est imprimé dans leur tête, même ceux qui découvrent, on leur a tellement dit que c’était bien, qu’ils applaudissent en cadence. L’Art ne peut pas être un petit bonheur domestique tranquille, avec des acteurs qui débarquent “les doigts dans le nez” comme on dit, sûrs de leur succès. Je veux ré-injecter du danger, que le match ne soit pas gagné d’avance, que l’on arrête de s’installer comme de vieux sociétaires de la comédie française. Heureusement, il y a Macbeth dans la forêt, pour déséquilibrer notre vie, elle est là l’aventure fatale.

8 décembre 2013 Villars -1°C soleil

En fait, je constate que toute ma vie hier et aujourd’hui, je n’ai fait et ne fais que ce qui m’amuse. C’est ma seule motivation, je veux m’amuser, alors à l’époque il y avait l’armée obligatoire, et j’étais incapable de me plier au règlement, et je faisais rire tout le monde avec mon béret de para de travers, alors évidemment je suis vite allé vers le théâtre qui est un jeu qui est ludique, mais n’importe quoi doit m’amuser, la cuisine, on s’amuse on peut inventer, jouer avec les ingrédients. Ce que je n’arrive pas du tout à m’imaginer, c’est que des milliards de personnes dans le monde ne font pas ce qui les amuse, alors là, je comprends qu’elles soient malades, sans arrêt. C’’est simple dès que je ne m’amuse plus, j’ai mal au dos, aux reins, aux pieds, à la tête.

Mon père, ça le dégoûterait de voir que je gagne 3000 € par mois uniquement en m’amusant.

15 décembre 2013 Villars -0° C soleil

Je doute, je doute, je doute. Pourquoi tu doutes ? Tu voulais une nouvelle ferveur, des gens qui s’arrachent les places, et parmi eux des caissières de supermarché, des femmes de ménage, tu voulais faire rire et pleurer au cours de la même soirée, éclairer la vie politique et sociale par le théâtre, tu l’as tout ça, alors pourquoi tu doutes ? Je doute parce que je n’ai pas les professeurs de faculté, ni les chercheurs, les savants, les philosophes, certes, nous touchons les gens du bas, mais ceux du haut nous méprisent et ça m’énerve, et cela me fait souffrir. Oui, je suis un handicapé du bonheur.

21 décembre 2013. Malakoff. 8°C

Il y a le responsable du CRIF qui explique que lorsque les humoristes font dans l’antisémitisme, c’est extrêmement dangereux parce qu’ils peuvent toujours prétendre qu’ils sont dans le second degré, et que tout de même on a le droit de rire de tout. Je vois Dieudonné faire entonner à la salle, Shoa nanas, et lui dit à la justice “je n’ai donc pas de le droit de dire chaud ananas”?

Il a réussi a populariser ce qu’on appelle la quenelle, un geste du bras avec comme légende” les juifs, ils nous ont mis dans le cul jusque là.” La seule personne capable d’arrêter le délire antisémite de Dieudonné, ce serait un autre humoriste. Dieudonné est un malade mental, il a ripé, il voulait attaquer l’esclavage, il s’en prend aux juifs, et il a beaucoup de succès. il faudrait faire comme pour les clients des prostituées, mettre une amende à tous ceux qui fréquentent le théâtre de la Main d’or.

28 décembre 2013 Villars les Blamont 6°C

Nous sommes devenus en France les champions du monde de de l'ennui. Tout écart est interdit. Tout est trop propre, trop calme, trop lisse. Tout le monde se ressemble . Les journaux disent la même chose. Les théâtres jouent la même chose , les acteurs et actrices ont tous la même tête, la même voix. Les radios ont les mêmes programmes aux mêmes heures . Les journaux sont fades. Les jeunes s'habillent tous pareils, les politiques ont tous le même costume. Les professeurs ont la même tête et la même serviette. La seule différence ce pourrait être la couleur, mais justement on demande aux noirs d ´être blancs, et les dromadaires sont interdits sur les autoroutes. Moi je ne m'alignerai jamais sur les mœurs dominantes, je n'aime pas les gens qui rêvent tous d'être les grains de sable anonymes du désert humain .

2014

4 janvier 2014 Villars les Blamont 6°C

Parfois je rêve d’être Dieudonné : déstabiliser jusqu’au Président de la République, faire la une de tous les médias, être attaqué mais être soutenu par une horde de supporters qui s’empressent de payer les amendes. Toucher tous les points sociétaux qui font réagir, et bien connaître la loi pour ne pas se faire épingler. Dieudonné, quand la polémique antisémite se sera refroidie, va défendre la pédophilie, demander l’excision des femmes françaises, n’importe quoi du moment que cela fasse causer. Plus c’est gros, mieux ça passe, style : les juifs ont inventé la traite de noirs. Cela n’a aucun fondement historique. Mais Dieudonné n’a qu’une éthique, faire du pognon et faire parler de lui. Hé bien, ça c’est typiquement juif, je m’en doutais “Dieudonné est juif.

11 janvier 2014 Malakoff 9°C

Arrête, arrête, tu ne vas pas recommencer à nous dire que tu vas faire de la croissance, et que la croissance va faire de l’emploi, et que si tu allèges les entreprises, il y aura de l’investissement et donc de la productivité -compétitivité qui te permettra d’être performant sur le plan international, et des centaines d’économistes vont commenter ton passage du socialisme au social libéralisme. Un jour on va apprendre “la courbe du chômage s’est inversée”. Comme au Portugal ? ils sont passés de 35% à 33%, quelle victoire ! Pierre si un jour tu m’écoutais, mais tu n’écoutes que ton ambition, et ça c’est un problème, Pïerre -c’est le ministre des finances- je le tutoie dans la vie, Pierre, il y a dans tous les quartiers que tu connais comme moi, des gisements d’énergie humaine incroyables, tous ces jeunes à double culture ont des qualités redoutables, Pierre tu as appris que la Culture génère plus d’argent que l’automobile ou la téléphonie, Pierre veux -tu comprendre que la bataille à mener est avant tout culturelle, mais Pierre n’écoute que son orgueil démesuré...

20 janvier 2014. Port Saint Louis du Rhône 10°C

Quelquefois, on n’y arrive plus, tu donnes ton spectacle mais la grâce n’y est est plus, c’est ton auto -jugement mais en discutant avec le reste de la compagnie, tout le monde a pensé pareil. Le public n’a rien vu, il est sûr que c’est formidable, le public c’est un ensemble mais en parlant à part avec certains spectateurs, on a été confirmé dans notre sentiment , quelque chose n’a pas fonctionné, alors on démonte toutes les pièces de la machine , et on voit bien que sur 1 H 45, il n’’ y avait que 40 mn de regardable. Alors, pourquoi nous réussissons plus ou moins bien ? Le théâtre c’est comme le sport, ou l’amour, il y a une partie que tu ne contrôles pas, et qui t’échappe, tu as beau dire, ce soir j’y arrive, au dernier moment, le “peeps” s’en va ou je ne sais pas quel nom utiliser, l’inspiration, tant de fois on attendait cet orage, et il n’arrivait pas, là ça y est nous sommes au coeur de la tourmente.

26 janvier 2014. Villars les Blamont. 1°C

Il y a dix neuf ans en 1995 on avait voulu faire le point, une douzaine de compagnies dites de rue se sont retrouvées aux Tourettes, près de Montélimar, on se retrouve dix neuf ans plus tard, avec les mêmes doutes et les mêmes interrogations. Certains sont devenus des grosses entreprises, d'autres des Centres nationaux des arts de la rue, d'autres sont restés des petits artisans. Mais qu'est ce qui donc nous unit, pourquoi sommes nous tous venus ? Un point commun, nous sommes tous habités par une gigantesque passion, nous nous sommes tous inventés notre style de théâtre unique. Famille ? Genre ? Mouvement ? Moi, je suis idiot, je rêve de postérité, nous avons ouvert et défriché une piste de théâtre inexplorée, alternative, celle de la ville, des lieux naturels des espaces publics. Notre savoir -faire est reconnu dans le monde entier, nous avons tous joués partout dans le monde, mais en France, l'establishment théâtral continue de nous snober et de nous considérer comme des parias, quelque part faut en être fiers, c'est peut-être ça être des poètes.


en avril 1995 aux Tourettes

19 ans plus tard. Etienne et Michèle Berg ne sont plus là, décédés. Jean Georges est en Afrique.

Michel Crespin, Ilotopie, Transexpress, Kumulus, Phun, Unité, Buratini, Oposito,JM Songy, Pierre Oréfice (ex Royal de Luxe)Christophe Bertonneau du groupe F.Berthelot Générik, Michel Almon, Délices dada, Jeff et Marie. Ne manquaient que Tartare jean Georges, au Burkina, et Etienne de Royal et Michèle Berg turbulences, déjà décédés.

2 février 2014. Villars , 2°C pas de neige

Je suis excité comme un enfant par l'aventure que nous inventons avec les habitants du quartier d'Etouvie à Amiens. Une aventure énorme qui va entraîner à nos côtés 1500 artistes en herbe. Ces quartiers dits difficiles sont des gisements d'énergie gigantesques, mais on les laisse stagner à plus de 40% de chômage, alors cette énergie devient destructive et négative. Créer une république, faire sécession, inventer ses propres lois, c'est vraiment de l'utopie naïve mais je me prends au jeu, je crois carrément que c'est possible. Toute l'équipe qui nous entoure est admirable car ils ont faim de théâtre, ils en veulent, la gosse comme la mère de famille de huit enfants, Martine et Jeannine sont âgées mais vivantes et gaies, Gérard et Michel deux retraités sont des vrais comiques, les animateurs Sylvie Frédérique Isamël sont dans une forme incroyable, et des dizaines d'autres. C'est là qu'elle se trouve la vie. Et pourtant je vois la banque alimentaire qui débarque et ils se précipitent sur des paquets de biscottes. On est en France, cinquième pays le plus riche du monde.

8 février 2014 Malakoff 9°C

Je m’étais réjoui de conduire des travaux dirigés de théâtre de rue dans la faculté d’Art d’Amiens. Ce n’était pas facile de trouver un fond de complicité commun avec ces étudiants. Je n’arrivais pas à bien les capter. En fait ils n’avaient pas choisi l’option “théâtre de rue”, ils n’avaient pas envie de jouer. Mais c’était une école d’Art, il fallait les noter, c’était très difficile, parce que je les faisais jouer en choeur. On a fait quelques sorties dans les rues vides d’Amiens, ce n’était guère probant. Ils n’en avaient pas le désir, donc pas l’énergie. J’ai été jeté dans ce groupe sans rencontrer qui que soit dans la faculté. Une fois de plus le théâtre de rue était traité comme une discipline dérisoire, une sorte de sous-art. Le théâtre de rue est à l’Art ce que les Roms sont à la société. A la suite d’une contestation sur une note donnée à un élève, le directeur des études m’envoie une note de recadrage, je me suis transformé instantanément en gosse des quartiers : “il m’a mal parlé”. je lui ai répondu en langage un peu cru. Je ne retournerai plus dans cette fac.

16 février, Villars les Blamont. 4°C

Il y a 3 remarques qui reviennent dans la vie comme des leitmotivs

a) elle est bonne cette soupe

b) ça fait du bien une bonne douche

c) un feu de bois c’est agréable.

Eh bien ce dimanche, j’ai pris une bonne douche, j’ai mangé une bonne soupe, et je regarde crépiter ma cheminée.

Et je me fais la réflexion banale suivante : dans le feu d’une cheminée, il y a en raccourci toute la dramaturgie d’un spectacle. D’abord faut que ça prenne, mais ce n’est pas si facile, souvent, il y a le noir, un grand silence le temps que le régisseur lumière manipule son ordi, souvent dans ce temps mort je sais déjà que c’est foutu, ensuite quand ça prend et que ça chauffe bien, les petites branches doivent s’allumer de toutes parts pour allumer la grosse bûche, or rien n’est jamais trop sûr, on voit une sorte d’incessante bataille, les petites flammes luttent, et dans le théâtre comme dans le feu, quand il n’y a pas cette lutte, l’ennui arrive vite, ensuite si on ne ré-alimente pas le feu, évidemment il s’éteint, or souvent, les dramaturgies ne sont pas ré-alimentées au cours de la pièce, cela veut dire quoi ? De nouveaux ingrédients doivent ré-enflammer de nouveau notre intérêt. Quand c’est réussi, on dit que les planches brûlent , que l’acteur se consume, et des braises rouges s’incrustent dans notre imaginaire.

C’est trouvé, je ferai un stage d’observation d’un feu et je dirai : “toutes les lois du théâtre sont dans le feu“.

24 février 2014 Villars les Blamont. 7H . 3°C

Si tous les hommes tombaient amoureux de la même femme, cela créerait des embouteillages et des guerres, ainsi heureusement nous ne sommes pas tous amoureux des mêmes oeuvres d’Art.

J’avoue que par moments je m’inquiète sur mon cas personnel. Je préfère Sophie Calle à Picasso. Warlikovski m’insupporte, je pars à l’entracte. Le grand opéra, la fiancée de l’Ouest de Puccini, je trouve la mise en scène fadasse, alors que tous les critiques l’encensent. Odilon Redon à la fondation Bayler ? Cela m’ennuie profondément. Alors Fabrice Ybert ? Parreno ? hmmm… Je crois que peu de gens sont sincères, Sollers se lâche et traite le public d’inculte, et les regardeurs de musée de bons à rien. Il y a de l’imposture partout, des faux artistes qui se glissent dans les hiérarchies pour obtenir des places, des critiques corrompus. Est -ce à dire que je n’aime rien ? Mais non, j’adore Place des Anges de Pierrot Bidon, j’adore le théâtre du Soleil, j’adore Nicolas Frize, Pina Baush, et de petites compagnies inconnues du grand public comme Gravitation, ou théâtre group, 26 000 couverts, Opéra Pagaï, ou Jean Bojko, j’adore Ernest Pignon Ernest, Antoine d’Agata. J’aime les films comme cinq caméras brisées, ou le vol spécial de Fernand Melgar. Je respecte Edgar Morin. C’est sûr, je mets Rimbaud au dessus de tout, et Gherazim Luca, et Blaise Cendrars, j’aime la folie ravageuse, intime et épique, j’aime tout ce qui ouvre en grand les fenêtres du monde.

1er mars 2014. Chalon sur Saône. 4°c

Heureusement que personne ne me lit, sinon je me ferai vite trucider.

Ici au pays de Peugeot, jamais de ma vie je n’oserai parler des intermittents, parce que celui qui prend son travail de 5 H à 13 H tous les jours, tous les jours tous les jours, pour faire des 3008 , apprendrait que moi jacques, en travaillant 6 jours dans le mois, je touche autant que lui, parce que comme je suis un artiste quand je travaille 6 jours, l’Unedic complète les 22 autres jours par une compensation de 40 €. C’est un peu la honte.

Jamais je n’ai touché un sou du chômage depuis 1991, parce que cela me paraît totalement immoral par apport aux autres habitants d’Audincourt.

Après je devrais expliquer aux habitants d’ici que sans artistes, ils allaient mourir, car vivre sans poésie, cela peut provoquer la mort.

Sur l’intermittence je ferme ma gueule, je trouve qu’il ne faut pas payer l’inactivité, mais l’activité, et là , moi je supprimerai le mot chômage. Exemple, ils vont fermer la seule librairie de Montbéliard, donc on va payer du chômage et des indemnités pour 48 personnes, eh bien, dans ma société à moi, on subventionnerait le personnel de la librairie Chapitre au lieu de les virer bêtement.

8 mars 2014. Malakoff. 10°c.

J’ai un léger racisme vis à vis de certaines formules, et je ne me l’explique pas. Par exemple je déteste “ de par chez nous “ ou “par les temps qui courent” , je n’aime pas non plus “me semble t-il”. Il y a certains hommes politiques ou journalistes qui parsèment leur discours de “me semble t-il” alors ceux -là je ne leur donne jamais mon vote. Je ne supporte pas non plus celles et ceux qui disent “ je n’y connais rien”. C’est la journée de la femme, et moi je leur demanderai qu’elle arrêtent de dire sans arrêt “ je n’y connais rien” . Cela touche Internet, le portable, la voiture “ah moi je n’y connais rien”. Alors elles laissent ça aux bonshommes tout en accusant les hommes de ne pas leur laisser de place. Cela existe aussi au théâtre. La personne peut très bien vous dire, “ah je ne peux pas avoir d’avis, je n’y connais rien”. C’est pénible, “je -n’y- connais -rien”. Vous l’entendez sans arrêt, Il me reste à condamner “laisse -moi faire” .On la rencontre surtout dans les couples, où la femme s’empare des problèmes de vaisselle et de ménage et écarte son mari qui est accusé de ne rien savoir faire.

Ce que j’aime ce sont des noms que l’on entend jamais. Saxifrage par exemple. Ce sont les plantes qui percent les rochers, et qui poussent dans les fissures. Souvent elles produisent des fleurs étoilées. Oui je voudrais que mon théâtre soit aux humains que les saxifrages sont aux plantes. Un théâtre qui pousse dans les fissures de la société et dans tous les lieux les plus improbables.


15 mars 2014. Villars les Blamont. 6°c le matin, 17°c l’après midi

Il y a une terrible bataille de désintoxication du langage à mener. Intermittent, c’est le vocable qui nous tue et nous rend impopulaire.

Nous faisons le métier le plus prenant, celui qui occupe tous nos jours et nos nuits, celui qui nous empêche d’avoir une vraie vie de famille, c’est un métier de passion, permanent, on joue le jour de la mort de nos parents, on ne peut même pas assister à des enterrements de personnes de sa famille, on n’a ni samedi, ni dimanche. Le théâtre c’est plus que du plein temps, c’est du 28 H sur 24. Les curés seraient -ils des intermittents ? Une messe par semaine ? Je veux mener une bataille sémantique contre l’intermittence. Il faut trouver un nouveau vocable, ça urge.

24 mars 2014. Malakoff . 6°C

Je déteste les artistes qui s’auto -glorifient et se gonflent d’importance.

Et pourtant je fais pareil, je dis souvent “ le théâtre est aussi indispensable que les arbres, c’est la chlorophylle de l’esprit”.

En vrai, je n’ai jamais lu la moindre théorie scientifique m’expliquant que le théâtre est aussi nécessaire à l’homme que le soleil aux plantes. Je n’ai jamais rien lu concernant l’alchimie du spectateur, jamais.

Hier je m’étais posté à la sortie de notre spectacle joué à Audincourt, et je recueillais les compliments, et je me disais à moi même : quelque part, dans le pays de Montbéliard le théâtre de l’Unité joue le rôle de guérisseur, de médecin des âmes, de réparateur d’humains brisés.

C’est bizarre, nous avons un côté gourou, sorcier et manipulateur. L’Eglise a eu raison de ne pas donner de sépulture à Molière.

“Le théâtre est né de la religion, l’Eglise ne lui a jamais pardonné, jalousie de métier.” (Sacha Guitry)

30 mars 2014 Calais . 19°C

Les jours d’élections les politologues nous parlent. Attention, les français, en ne se rendant pas aux urnes, risquent de faire augmenter le taux d’abstention. Pourquoi s’abstiennent -ils ? Ils s’abstiennent parce qu’ils ne votent pas, leur non-vote est un vote, donc on ne peut pas parler d’abstention.

J’étouffe sous le poids des clichés, des banalités. Les spécialistes, professeurs de droit, de sciences politiques, sont des politologues- tautologues.

Il faut changer le système. J’opte pour le tirage au sort de nos représentants comme pour nos jurés d’assise.

Mais le théâtre dans tout ça ? Je me souviendrai toujours des paroles d’Alfred Dogbé, auteur de théâtre. Pendant une famine au Niger, il disait que le théâtre pourrait contribuer à sauver le pays de la famine, parce que le théâtre, c’est la parole, et qu’en fait les famines ne sont pas des problèmes de production alimentaire, mais de non- communication entre les hommes.

Je connais quelqu’un de très pauvre qui n’a pas à manger ce dimanche, mais qui a sa dignité et qui n’accepterait pas le moindre billet, cette belle personne n’attend plus rien du politique, mais attend tout du théâtre.

1er avril Audincourt

1er avril 2014

Je dois faire un aveu misérable. Les élections sont un désastre pour la gauche, et je m’en fiche.

Je suis même content, parce que certains élus du PS que je connais bien ont été abjects, et je me dis qu’un peu partout, ce même mépris des gens, cette ignorance du peuple, cette arrogance, cette suffisance, ce manque d’écoute, cette trahison permanente sont le fait de nombreux autres élus, avec leurs beaux costumes et leurs mains grasses. Moi j’aime Pépé Mujica, le président socialiste de l’Uruguay, il donne 90% de son salaire à des associations, vit pauvrement hors du palais présidentiel dans sa petite ferme, refuse le beau costume du politicien, les voitures de fonction, légalise le cannabis, place l’humain avant l’économique. Il est gauche dans son corps, il est de gauche dans sa vie.

Je m’en fiche de cette défaite, parce que je sais que plus que jamais, il y aura une demande de merveilleux et de féerie, et qu’à cette demande seuls les poètes pourront y répondre, et que la politique ne sera bientôt plus le fait des politiciens mais de tous ces poètes du quotidien, qui dans des milliers d’associations, de refuges, d’abris culturels, tels des saxifrages oeuvreront dans l’ombre, dans les interstices, dans l’illicite, sur des terres arides pour changer la vie.

5 avril 2014. Grenoble Seyssinet-Pariset 13°C

Je voudrais bien ne pas être intéressé par la politique mais cela me passionne, car le théâtre est un des meilleurs décodeurs politiques qui soit. Alors je fabrique des scénarios, parfois j’ai juste. Je n’avais pas cru que Sarkozy puisse être Président, j’avais faux. Pour Hollande je sentais qu’il avait un désir de revanche sur sa femme, c’est un petit complexé qui doit se venger sans arrêt de son manque de charisme à côté de cette femme étincelante. Je regarde leur visage à chacun, avec le mot France à la bouche toutes les 3 secondes, et je sais qu’ils n’en ont rien à faire, ce sont des compétiteurs, cela se voit dans leurs yeux et leurs mentons, des winners, ils veulent gagner et garder la place. Moscovici est presqu’une caricature de la lutte des places. Valls c’est pire. En fait, leur seule vraie politique, c’est 2017, être au sommet de l’Etat. Hollande compte cramer Valls assez vite, car jusqu’en 2016 Valls n’aura aucun résultat. Donc perdra toutes ses chances pour 2017, tout va être fait pour faire chuter Sarko, Valls va peut être même tenter d’être le candidat de la droite face à Hollande. Le système des présidentielles n’a été fabriqué par de Gaulle que pour des grands hommes providentiels, et là il n’existe que pour des vauriens animés par un petit égo opportuniste et malsain.

12 avril 2014. Dans le train d’Amiens à Paris

Paraîtrait - il que pour un bon équilibre mental il faut parler à cinq personnes minimum chaque jour, et encore vaut -il mieux ne pas les connaître. Alors si de plus vous mangez avec ces cinq personnes cinq légumes et fruits différents vous serez au maximum de votre forme. Donc tout va bien pour moi, j 'ai fait la connaissance de Patrick Watkins et de Maelis, comédienne citoyenne de Toulouse, de Celine qui projette du 16 mm, de Thierry le candidat battu de la gauche d ´Amiens, de Sylvie de l 'association Carmen et surtout d 'Angelique que l'on ne sait pas nommer, elle est pauvre, précaire, modeste, s'auto nomme cas social mais d 'une sensibilité et d'une d'acuité gigantesques, qualités qui manquent à tous nos hommes politiques. C'est une belle personne. Je ne voudrais pas qu'elle lise ça, cela lui ferait du mal j'imagine.

20 avril 2014 . Villars les Blamont ensoleillé

J’en ai assez d’écouter les théories d’Onfray, de Badiou, d’Edgar Morin, sur le monde qui va mal et et ce qu’il faudrait faire. Ce matin je décide d’échafauder une théorie économique personnelle.

Je me base sur deux chiffres : 10% des habitants possèdent 86% des richesses de la planète, c’est la première source des conséquences d’un capitalisme mondial immoral.

Les deux chiffres qui suivent sont éloquents : les français les plus riches ont mis à l’abri 590 milliards d’euros dans les paradis fiscaux, ce qui engendre un manque à gagner de 50 milliards pour la nation française. Or, bizarrerie, la France pourrait équilibrer ses comptes en faisant 50 milliards d’économie, or où va t-on chercher ces 50 milliards ? Dans les paradis fiscaux ? penses -tu, mais non, dans la poche des français les plus pauvres. Qui commet ce hold-up ? La droite ? Mais non, la gauche !

28 avril 2014 Villars.

Cela doit être une infirmité, je n’arrive plus du tout à croire dans le théâtre frontal avec scène et fauteuil, je me sens mal, enfermé, entouré d’un public qui est venu pour des considérations qui n’ont rien à voir avec le théâtre ( public captif, groupes, standing social). Je n’arrive pas à accepter que l’on se serve de micros comme chez Pommerat et un peu partout, je déteste que l’on projette des images, je déteste les sauces musicales enregistrées, je ne supporte pas l’hypocrisie des applaudissements, et les acteurs qui en redemandent.

Comment se fait -il qu’à Epidaure, sans micro et sans lumière, on jouait pour 13 000 personnes ?

De plus je constate qu’une seule classe sociale s’est totalement accaparée le théâtre pour elle et pour elle seule, et que de plus en plus, le théâtre est un complément de l’école, et qui si on enlevait les groupes de scolaires, les théâtres pourraient quasiment tous fermer, sauf le théâtre privé destiné aux informaticiens épuisés par leurs écrans, et qui veulent se gondoler devant des images vraies en 4 dimensions.

Le vrai drame, c’est que j’y crois encore et que par tâtonnements maladroits je tente de sortir le théâtre de l’ornière.

3 mai 2014 Gradignan. 12°C

Il y a dans les compagnies théâtrales des auto- évaluations constantes. “On était meilleur ce soir, qu’hier soir”. Mais non, c’est le public qui était meilleur, et quand le public reçoit bien, nous donnons plus. Mais ce n’est pas vrai, le public d’hier était excellent, mais nous étions moins bons. Quarante ans que nous essayons de scruter le mécanisme de l’orgasme théâtral. Et moi dans mon pessimisme cynique, je me lamente des remarques banales du public “vous utilisez bien la forêt” , “ ou “elle est belle la bataille finale” et d’un seul coup le vide m’envahit, mais au fait, on voulait dire quoi avec cette pièce ? Il reçoit quoi le public ? Pourquoi cet engouement de toutes les compagnies théâtrales pour Macbeth ? On a tous envie de démonter les mécanismes du pouvoir. Mais justement Shakespeare ne fait pas seulement de Macbeth un Coppé ou un Sarkozy dont les dents rayent le parquet, il y a chez Macbeth un désir d’éternité, il ne supporte pas d’être roi sans descendance. Mais alors, il y aussi la piste du mal qu’il faut analyser. Oui, mais il y a le mal et le mâle. Le théâtre essaye de nous faire comprendre le monde. Edgar Morin a raison, on ne peut pas tout simplifier, la réalité est toujours complexe.

10 mai 2014 Villars , 13°C

10 mai 68

La nuit des barricades,

oh là là, quelle ivresse, j’avais 25 ans

10 mai 81

oh là là quelle ivresse, j’avais 38 ans

A cette époque les vieux nous parlaient de 36,

Maintenant les vieux, c’est nous,

68, 81, on devait changer la vie ?

Mais le capitalisme est devenu de plus en plus malin, il s’est paré d’un habit libéral

Et le théâtre ? Dullin, Copeau Dasté Vilar Savary Vitez, Chéreau, Gabily, Lagarce Koltes Planchon, tout s’est déjà effacé.

Pourquoi surnagent Beckett, Ionesco, Brecht, Grotowski , Stanislavski ,Meyerhold Lecoq, Artaud ?

Et nous on cherche toujours le chemin de l’ivresse.

17 mai 2014. Rennes. beau temps. 23°C

Chaque nouvelle représentation de Macbeth fait sur moi un drôle d’effet. Ce Shakespeare il faut le comprendre de l’intérieur en incarnant les personnages.

Un éthologue devrait venir observer les acteurs, et la jubilation que cela entraîne de tuer, de jouer à la guerre etc.

C’est incroyable cette petite glande cachée quelque part en nous et qu’il faut à peine toucher pour retrouver une âme d’enfant et faire la bagarre.

Quand on va massacrer la femme et les enfants de Macduff on prend un plaisir maximal et faire voler des boules de feu et des explosions me met en transe.

Alors quoi ?

Faudrait juste faire dériver les instincts de tous ces chefs d’état belliqueux dans des jeux de théâtre.

On peut faire la guerre pour de faux, c’est bien mieux, le théâtre c’est idéal pour évacuer ses pulsions d’agressivité.

24 mai 2014. Villars beau temps.

Je sais, je sais, il y a des questions qu’il ne faudrait jamais poser. Et pourtant, il y en a une qui me tenaille. L’artiste fait -il des progrès ?

Nous étions réunis à une vingtaine, vingt artistes de la mouvance rue, exerçant leur art depuis une vingtaine d’années. Les visages s’étaient burinés en même temps qu’anoblis. Chacune et chacun avait parcouru le monde, avait fondé son lieu, avait atteint une sorte d’apogée. Personne n’était devenu riche, mais nous avions les clés de nos petites entreprises. Et moi je scrutais les visages, et les regards et je revoyais en surimposition toutes les oeuvres anciennes de ces compagnons . Et cette terrifiante vérité est apparue que je n’ai pas osé exprimer “Il y a vingt ans, nous avions tous inventé notre style, et depuis vingt ans nous ne cessons pas de nous répéter, et de décliner ce que nous avons à dire de différentes manières.” Rimbaud a arrêté à 35 ans, oui il avait tout dit. Et Planchon ? Dès Tartuffe, il avait tout dit. Et Brook, dès le Songe d’une nuit d’été, il avait tout dit. Quel gouffre ! Et cela sans doute sans qu’aucune représentation de 2014 n’égale une seule représentation d’Epidaure, il y a plus de 2000 ans. Trop penser fait décidément du mal.

31 mai Malakoff. Beau temps

J’avais prévu le coup il y a dix ans, au cas où ils reviendraient, je me suis installé sur la frontière Suisse, comme ça , s’ils venaient me chercher, je pourrais m’enfuir par la forêt. Le seul hic là dedans, c’est que les Suisses se sont mis eux aussi à être d’extrême droite. Donc ça hurle partout. Ça y est, ils vont prendre le pouvoir. Ils arrivent ! Arabes et juifs, cachez vous ! Leur chef n’a pas de moustache, c’est une femme avenante, bien coiffée, et sans doute dominante au lit, elle a un langage simple qui va droit au coeur des gens, elle nous promet un super ménage dans tous les coins. Notre président rondouillard est aussi impopulaire que Louis XVI avant la révolution. Il a été élu parce qu’il avait dit que son ennemi, c’était la finance, or il s’est jeté dans les bras de son ennemi. La France entière rejette donc les hommes politiques qui la dirigent, sauf elle, la blonde cougar, encore vierge de pouvoir, mais avide de remplacer au plus vite la droite qui s’écroule sous ses tricheries permanentes. Je suis ravi de tout cela, moi, meilleur ami de l’adversité, rêvant d’être un héros de la Résistance.

7 juin Villars. 27°C

Donc le conflit des intermittents reprend. C’est la saison. Qui contre qui ?

Là, nous faisons des erreurs infantiles et fatales. Nous n’avons même pas remarqué que notre président élu démocratiquement en 2012 a conclu un pacte de responsabilité avec le seigneur Gattaz du Medef, qui devient désormais chef de la France et des Français. On s’en prend à ce pauvre Ministre, ex -maire de Dijon, pauvre puceron soumis, s’il ne signe pas l’agrément, il saute. Présomptueux que nous sommes, nous menaçons de saborder les outils de travail que sont nos festivals. Le sauveur suprême se réjouit à cette idée. La Culture selon lui est inutile donc nuisible. Son mot d’ordre est clair: “Qu’ils crèvent, les artistes”. Il sait que nous sommes impopulaires, le patronat nous a affublé d’un patronyme assassin. Intermittent. Un paresseux qui se fait indemniser 300 jours par an. Gattaz est tranquille, serein, aucune grève générale ne se profile à l’horizon pour sauver une poignée d’artistes inconnus.

L’Unité a fait la grève de 2003, on a mis dix ans pour s’en remettre. Non Monsieur, non Madame, plus jamais ça. Notre lutte, ce sera notre poésie, notre verbe, la conquête de nouveaux territoires, nous jouerons plus que jamais, oui l’Art est une arme de construction massive.

15 juin 2014. Amiens. 18°C

Je suis en conflit avec moi -même. Quand je pense à mes amis haïtiens, à mes amis nigériens, eux qui font du geste théâtral un véritable héroïsme, sans aucune aide, quand je pense aux habitants du quartier Etouvie d’Amiens qui vivent dans une précarité absolue, les revendications des intermittents me paraissent dérisoires, et indécentes. J’ai sans arrêt cette culpabilité. Je touche 130 000 € de subvention, et à côté de moi s’étale la misère. Eh bien je n’ai pas honte. Pourquoi ? Parce que je sais que l’homme ne survit pas dans la prose, il a besoin de nourriture spirituelle, il a besoin de poésie, il a besoin de notre théâtre pour résister, s’emparer des armes de l’esprit, survivre .Encore faudrait-il nous ne nous adressions pas seulement aux inclus de la société. Les intermittents coûtent cher, certes, ils ont raison de ne pas se laisser rogner leurs droits, mais je voudrais qu’au passage nous nous posions la vraie et unique question de notre existence. Pour qui faisons nous du théâtre ?

22 juin Villars , 24 °C

Les intermittents me sortent par les trous de nez avec leur discours langue de bois -charabia récité comme un catéchisme. Cette manière insupportable se faire passer pour des pauvres travailleurs précarisés…

et ces grèves dont tout le monde se fout,

ce serait même une superbe nouvelle qu’Avignon disparaisse totalement avec tous ses spectacles exécrables,

il faut arrêter de crier que nous sommes indispensables, alors que nous ne sommes que les jouets de peluche d’une petite bourgeoisie cultivée et insipide.

Mais que tout s’écroule, ce sera tant mieux. Cependant, ceux qui doivent sauter les premiers ce sont les incompétents corrompus qui ont écrit ces stupides règles du régime intermittent. Valls c’est pas les Roms qu’il doit nettoyer, ce sont ces ridicules commissions paritaires.

A l’heure où les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, faut rien lâcher sauf nos chiens furieux contre le Medef et son allié socialiste, et cette CFDT vendue et FO collabo, mais surtout arrêter de geindre alors que nous sommes quasiment les seuls en France qui faisons ce qui nous plait et que nous avons librement choisi.

28 juin 2014. Malakoff. Temps grisâtre

Coupe du Monde : la France couverte de drapeaux algériens pour l’accession aux huitièmes de finale. Alors quoi ? Ces jeunes ils sont français ou algériens ? Faudrait savoir. Eh bien justement peut être les deux à la fois, mais c’est même plus complexe. Moi par exemple ? Je me sens quoi ?

Je me sens du lieu de ma naissance, le Chambon sur Lignon, je me sens aussi du pays de mes parents, la Russie, Moscou, Odessa et de Tchekhov, je me sens du lieu où j’ai grandi, la Porte de St Cloud, je me sens juif aussi , mais pas du tout Israélien, je me sens -Franc comtois, je me sens de la ligne 13 et du 92, je me sens aussi de la Lozère et de ses paysages, je me sens du monde de la poésie, Cendrars, Michaux, Aragon, je me sens communiste et révolutionnaire, je me sens un tout petit peu français, par Molière et 1789, et je me sens appartenir à la galaxie du théâtre de rue. Un ADN National, ça n’existe pas en vrai , c’est beaucoup plus complexe.

6 juillet 2014. Villars . Orage

Je radote, c'est mon activité principale, depuis dix ans je dis :

Les auteurs de théâtre d'aujourd'hui ne me convainquent pas.

Les comédiens sont narcissiques, ne jouent que pour leur égo, je les exècre

Les spectateurs embrigadés sont de plus en plus bêtes, ils vont au théâtre pour se donner de la distinction sociale.

Le Mouvement des intermittents m'emmerde et me fait honte, cela fait 24 ans que j'ai jeté tous mes carnets de déclarations, je veux être comme tout le monde.

Je dis aussi que l'élite de la sensibilité n' a pas pour frontière l'instruction,

et que le théâtre doit s'adresser en priorité aux illettrés .

Je termine : nous sommes en guerre contre la dictature des riches, le théâtre doit se mettre au service du peuple pour lui donner de l'élan, de la force. Il doit décrypter la société, afin que chacun puisse s’emparer des armes de l’esprit.

Je radoterai jusqu'à mon dernier souffle.

12 juillet 2014. Malakoff. Nuageux

A 9 H 25, j’ai une bouffée délirante d’amour, je la veux tout de suite, ma tête explose.

A 9 H 40, ouf, l’orage est passé.

A 10 H j’ouvre la télé machinalement, désespéré par la politique vengeresse de Netanyaou, dont je souhaite l’assassinat, et aussi les dirigeants du Hamas. Je ferme et déclare que la télé c’est l’abrutissement nécessaire pour que le peuple ne se révolte plus.

A 11 H j’ai besoin de sortir, de croiser du monde de regarder les étals de fruits au marché,

et je m’empare de dix belles prunes,

A 11 H 05 je regrette d’avoir mangé trop de prunes.

A 12 H j’ai un désir de banquise, je veux aller au Spitzberg , je fonce sur Internet, comment va t-on au Spitzberg, trop difficile, Alors Miami, oui Miami 240 € , mais c’est en hiver

A 13 H j’ai une envie irrésistible de brie crémeux

A 14 H j’ai les pensées les plus sombres sur mon propre théâtre. A quoi sers-je ? Quel intérêt tous ces efforts pour si peu de réactions ?

A 14 H 30 j’écris un billet enflammé sur les petits marquis du théâtre. Py en est un, on dirait qu’il est né poudré dans une pièce de Molière. Il enduit de vaseline sur Inter Lydie Dattas, mon premier grand amour.

A 15 H elle m’a répondu, j’ai une libido flamboyante, mais des chaussettes dépareillées.

A 16 H , crise d’oniophobie. Quoi offrir à ma soeur ?

A 17 H Les riches font -ils le bonheur de tous ? J’apprends que Rolls Royce a augmenté ses ventes de 31%. Le modèle modeste est à 453 000 €

A 18 H On est en surnombre pour ce soir. Je n’ose pas dire que le phénomène théâtral ne marche qu’en surnombre avec des gens accrochés aux arbres ou aux balcons. Souviens-toi Hervée de Moscou en 1989.

A 19 H Je n’aime pas les gens, je répète en boucle le poème d’Aragon, ça me calme et je teste ma mémoire sur Gherazim Lucas

A 20 H je trouve bizarre la thèse d’Ostermaïer, qui dit que le capitalisme risque de s’effondrer s’il se déconnecte de ses artistes contradicteurs.

22 H 30 “Voyez cet homme couvert de sang”. Pendant que je dis ma réplique, je me dis que je vais prendre une posture de roi, que l’on sente ma force transpercer dans mes jambes.

0 H 30. Je déteste les saluts, je pense à chaque fois à Jouvet qui disait à un jeune comédien “n’oublie pas que quand tu te baisses c’est pour leur demander pardon”.

3H. Trop sur les nerfs je ne m’endors pas.

19 juillet 2014. Nimes 34°C

Il dit qu’il est créateur , il dit qu’il est le premier créateur depuis Vilar à diriger le festival d’Avignon, il pense que c’est un plus, il dit qu’il va transformer le festival. Pour l’instant je ne vois rien.

Moi, je le sens mal, je le trouve assez intrigant, je le trouve assez prétentieux, je ne comprends pas que l’on puisse confier un énorme festival à un seul homme, mais il faut dire que je suis envieux des gens de pouvoir.

27 juillet 2014 Chalon Buxy, le relais de Montagny 22 °C

Le Jacques il devrait être content, sa pièce marche du tonnerre, tout le monde ne parle que de ça , tout le monde veut la voir, les listes d’attente s’allongent, il y a des articles partout, on lui dit, que c’est bien meilleur que le Soleil, le Jacques cela ne l’intéresse pas, le Jacques il est dans un bon hôtel avec une piscine bien tenue, des petits déjeuners avec tout, le Jacques il ne manque de rien, s’il veut se payer un repas à 30 € ce dimanche, il le peut, et pourtant voilà, le Jacques il devrait être content, mais il est sinistre.

Quand il se réveille il pense que sa dernière heure est arrivée, il sent son corps qui pèse. S’il ouvre la télé, il voit Gaza, ça lui fait mal, il lit sur son écran les communiqués de lutte des intermittents qu’il trouve ridicule, il les trouve risibles, avec leurs grandes postures de luttes, le Jacques il trouve qu’ils feraient mieux de faire de bons spectacles et de conquérir des nouveaux territoires, et de faire des actes symboliques et visibles pour Gaza plutôt que de mettre leur énergie à dessiner des X. Le Jacques il est sinistre, car le succès qu’a le Macbeth est bien relatif, tout le monde s’en fout, il y a juste la reconnaissance d’un savoir -faire, mais personne ne parle jamais du contenu de la pièce, du rôle des femmes en politique, du remplacement d’un dictateur, de savoir s’il reste de l’espoir. Le Jacques pense qu’il est enfermé dans une bulle toxique. Bien- sûr il y a un article dans le Monde, mais pas le Monde papier celui que tu achètes, 90 articles pourAvignon, 1 pour Chalon dans la rue, mais uniquement sur le net dans le Monde.fr , la vérité elle est là, le théâtre de rue, reste du sous-théâtre, et du théâtre sans le sou.

2 août 2014 Villars orageux

On n’a jamais gagné une guerre contre un peuple, c’est une citation d’un montage que je jouais en 1967 sur la guerre du Viet -Nam que les énormes Etats- Unis n’arrivaient pas à écraser, et ça recommence, une énorme armée puissante tente d’écraser Gaza, se couvre de ridicule, et de honte.

Je n’ai jamais compris mon père, lui qui avait perdu sa mère et sa soeur dans les camps, mortes pour rien du tout, n’en avait tiré aucune leçon et pratiquait comme si de rien n’était des attitudes anti-arabes inadmissibles et grossières. Pour moi c’était insupportable, ça fait trente ans qu’il est enterré au cimetière de Clamart, mais je vois qu’il est encore bien vivant à travers tous ses copains israéliens réactionnaires les Netanyaou, et Lieberman. Comment est ce possible tout ça ? C’est quoi la fin ? Peut être comme aux USA, les derniers palestiniens parqués comme les indiens ou comme les arborigènes en Australie. Incompréhensible tout ça, alors que juifs et arabes ont pratiquement la même religion, et sont faits pour s’entendre avec leurs diasporas, leur sens de la famille etc. Franchement, ça ne tourne pas rond, j’ai l’impression que si je m’en occupais, je règlerais rapidement le problème, faut vite que Netanyaou et sa bande crèvent au plus vite et laissent la place à des jeunes.

Vendredi 14 août Malakoff

Je vais être très limite. Mais est ce qu’il ne faudrait pas que tous les présidents du monde entier démissionnent tous à a fois et soient remplacés par des artistes ? Je repense que seul Coluche a réussi à faire en sorte que l’on ne meure plus de faim en hiver en France. Eh bien je pense que le conflit de Gaza doit être confié à des poètes palestiniens, des cinéastes israéliens, et des artistes comme Ariane Mnouchkine, Jacques Livchine, Py et d’Ormesson . Parce que là c’est trop, c’est ignoble, et puis de l’autre côté en Irak faudrait ré- apprendre à lire le Coran, là idem, Obama a fait la preuve de son incapacité, Youssri et Habib pourraient s’en occuper. Les grand intelligents sont en faillite, laissons la place à des idiots. Ils ne pourront pas faire moins bien.

Dimanche 24 août 2014, Vareilles. 14°C

Aurillac, je me prends la tête avec un journaliste qui a une maison par ici, et qui me dit sa haine de ce festival, dont il a vu quelques spectacles qu’il a trouvé affligeants, il rajoute méchamment : ces gens-là ont bien raison de ne s’occuper que de leur statut de chômage, car c’est leur seul avenir, ce n’est certainement pas avec leur théâtre gratuit qu’ils vont pouvoir survivre, personne ne paierait le moindre centime pour assister à ces gesticulations, mais je lui dis “ vous avez vu, opéra PagaÏ ? ou Silenzio ? Non ? Alors évidemment si vous jugez le festival par le off du off, bien -sûr je suis d’accord avec vous.

Bref, j’avais l’impression de discutera avec mon père décédé quatre ans avant la création du festival.

Se faire une idée sur le cru Aurillac 2014 ? Qui pourrait prétendre le faire ? J’ai vu 8 spectacles sur 600. Si c’était un concours comme en Grèce antique, je donnerai le grand prix volontiers à Opéra Pagaï, et leur Cinérama, Jauge 80 personnes !

D’Aurillac, tout le monde repart heureux puisque la moindre expérimentation hasardeuse

a droit à de généreux applaudissements.

Dimanche 31 août 2014 Villars les Blamont, gris et pluvieux

J’avais écrit en 2001 un livre publié aux solitaires intempestifs, Griffonneries qui relatait nos 9 années au centre d’art et de plaisanterie. Il est épuisé, tous mes exemplaires ont disparu, alors je décide d’en racheter un d’occasion, j’en trouve un sur E Bay à 244 €. Dis donc ça spécule, c’est excitant de savoir que cela a pris de la valeur avec les années. Alors depuis 3 ans, je travaille un autre livre, parce que quand je regarde ce qui est publié ici ou là, je n’ai pas à avoir honte, mais j’ai peur de l’indifférence, j’ai cette sensation là, une sensation de vide, comme si les passions avaient disparu, chacun vit dans sa coquille, tout passe, on ne se souvient de rien, je ne sais plus qui a gagné le tour de France, je ne sais plus ce que j’ai vu en Avignon, A Aurillac il y avait les conversations de 11 H, des banalités, pas de polémique, rien , le magnifique spectacle d’Opéra Pagaï, je n’arrive pas à trouver le moindre article qui le salue.

samedi 6 septembre 2014. Malakoff. 25°C

Nous rêvons tous d’un président de droit divin, un être parfait, une espèce de demi- dieu qui revêt l’habit présidentiel et se cale sur les comportements royaux.

O déception. Une femme répudiée salit notre François. Il paraîtrait qu’il est comme nous tous, un tantinet menteur, médiocre, cynique, mais Nicolas c’était pas pire ? Et l’autre François de 1981 qui cachait son enfant naturel ? Et le Giscard ? De Gaulle avait conçu une cinquième république pour lui seul, avec un poste de Président pour lui, un article 49.3, pour lui, mais décidément faut relire Macbeth pour voir à quel point le pouvoir est la pire des drogues, et qu’il faut vite faire une sixième République avec un président tiré au sort ou un système Suisse, ils dirigent à 7 conseillers fédéraux de tendances différentes et l’un est élu président pour un an, il est chargé des inaugurations et d’un discours le 1er janvier et personne ne lui demande d’être exemplaire.

Dimanche 14 septembre 2014. Villars 18°C

Emotion, rires, larmes, nostalgie, soleil, à boire et à manger, 300 personnes, c’est le mariage de mon frère à Meudon, dimanche dernier.

Emotion, rires, larmes, nostalgie, soleil, à boire et à manger, 300 personnes, c’est l’enterrement de Michel Crespin, chef de file des arts de la rue , à 74 ans, mort dans son lit. C’était à Château Chalon dans le Jura jeudi dernier.

Samedi 20 septembre 2014. Amiens

Je n’arrive pas à bien séparer dans ma vie ce qui dépend du politique et ce qui dépend de moi tout seul. Ce n’est tout de même pas le Président qui va motiver mes émois amoureux ou mes états d’âme divers. A la pharmacie, c’est sûr que lorsque je n’ai rien à payer je devrais remercier la gauche pour sa Sécurité Sociale, et je dois être reconnaissant à l’Etat d’avoir aidé le théâtre de l’Unité depuis 44 ans, et pourtant il y a tout un pan de vie privée qui dépend de ma propre gestion, les relations avec mes enfants, la loyauté envers ma femme, mes amis. En fait, chacun est un peu chef d’un mini -gouvernement sur un petit territoire avec cuisine, salon, salle à manger, jardinet. C’est un peu mon fantasme d’avoir créé un minuscule pays, avec ses moeurs, ses lois, sa justice, ses relations extérieures, bien -sûr il n’est pas exempt de défauts, sinon l’ennui et la lassitude nous envahiraient.

Dimanche 28 septembre à Villars les Blamont. Beau temps.

Si j’étais écrivain j’écrirais des fables, par exemple, la hache et le Rafale. Je montrerais la force du symbole. Une simple décapitation qui dure à peine une seconde fait plus de bruit que 100 000 bombes J’en ferai une autre que j’appellerai la vilaine anophèle . Un tout petit moustique arrive encore de nos jours à tuer 1 million de personnes je me demanderais si les jihadistes ne seraient pas telles les anophèles, quasiment indestructibles.

Pour se débarrasser des orties il ne s’agit pas de les couper, il faut les empêcher de pousser, et donc il faut s’attaquer à la terre qui les fait naître.

L’Occident a fait 500 000 morts en Irak, et tout le monde s’étonne que ces gens -là soient devenus un tantinet barbares, et qu’ils en veulent à mort à la France, pour qui cette guerre est une bonne aubaine de vente d’armes, et l’occasion de montrer que le Président n’est pas un mou.

Samedi 4 octobre 2014 Malakoff été indien

J’ai la tête dans le genou et le genou dans ma tête. 72 ans de co-habitation, et il se rebelle, il n’en peut plus. 300 mètres de marche et il s’arrête. Le traumatologue m’a annoncé qu’il fallait en prendre un autre au plus vite, vu que ce vieux genou avait fait son temps et était usé de partout par les randonnées, les tournées, les déchargements de camion de décor. il lui a fait sans trop d’espoir une visco sédimentation. Toute ma perception de la vie change, aller voir Niki de St Phalle, impossible, marcher le long de la Seine pour la nuit blanche impossible. Je regarde avec envie tous les genoux que je croise, dont les propriétaires n’ont même pas conscience qu’ils ont de la chance.

Samedi 11 octobre Malakoff. Température clémente

J’ai accepté exceptionnellement d’aider une comédienne à accoucher de son solo, alors que déteste les solos. Pourquoi l’ai je fait ? Parce que Latifa est arabe, et que je voulais montrer que juifs et arabes sont faits pour s’entendre. C’est la vérité. Avec Latifa j’ai beaucoup de choses en commun, à travers elle, je me comprends. Le spectacle est joué à Genève, il remplit. Un excellent article d’une page complète dans «le Temps» complimente Latifa. Tous les jours Latifa m’appelle pour me remercier. Je suis excédé. Pour moi, c’était un acte naturel et sans effort. Jamais de ma vie je n’ai reçu de tels remerciements. Latifa parle à la radio, et c’est encore Jacques qu’elle remercie. J’ai peur qu’après ma mort on dise «Jacques, c’est lui qui a fait le spectacle avec Latifa».

Samedi 18 octobre . Encausse les thermes. 31°C

J’essaye de lire L’Idiot. La mise en scène de Vincent Macaigne ravageuse en diable m’a donné envie.

Je dois faire un aveu, si on ne m’avait pas dit que c’était de Dostoievski j’aurais rendu les armes depuis longtemps. J’en suis à 350 pages, l’intrigue commence juste à se mettre en place. C’est effroyablement long, sans arrêt il y a des diversions. Si ce n’était pas Dostoievski, j’aurais écrit à l’auteur pour lui dire qu’il vaut mieux qu’il abandonne toute carrière littéraire. Attends, il y a trop de personnages, je m’y perds, je m’endors toutes les six pages, et pourtant je veux continuer , car je sais que cela veut devenir un peu plus métaphysique, mais quelle marche d’approche… Remarque, c’est peut -être une question d’époque, à l’époque le concis n’était pas considéré comme qualité.

Dimanche 26 octobre 2014 Villars les Blamont. 16°C soleil

Comment ça va ? On répond ça va, même quand ça va pas. La dernière fois, je me disais, tiens ça fait longtemps que je n’ai pas mis les pieds dans un hôpital, jamais je n’aurais dû dire cela. J’ai tous les voyants qui se mettent à clignoter de tous les côtés. Normalement les maladies c’est pour les autres, mais là je suis bien servi.

Dur rappel à l’ordre. Cardiologue, anesthésiste, bethadine, prise de sang, taux de PSA, permaxon, allopurinol efferallgan, paracétamol. La seule bonne nouvelle là -dedans, c’est que je n’aurais pas payé une mutuelle depuis 50 ans pour rien.

Dimanche 2 novembre 2014 Audincourt 18 °C !

"Les gens dînent, ils ne font que dîner, et pendant ce temps s'édifie leur bonheur ou se défait leur existence tout entière." disait Tchekhov.

Je raffole des grands repas, des grands tables, je ne peux rien imaginer sans ces moments là.

Alors j’adore faire la cuisine, et là j’ai battu mon record. À l’occasion du stage Brigade, J’ai confectionné 120 repas en deux jours, des tables de 40 personnes, et le soir on s’éternise à table et on échange, on se raconte nos vies. J’aime savoir comment vivent les autres. Et puis j’ai toujours une petite théorie de derrière les fagots, justement celle de l’harmonie. Comment le monde peut-il aller bien, quand dans une famille, ou un groupe de théâtre, on est incapable de vivre ensemble ?

Samedi 8 novembre Amiens. 12°c

Ça a été annoncé et ça n’a fait aucune vague cette décision par l’Europe de laisser se noyer six mille migrants. Mais oui, c’est trop cher d’aller au secours des barques qui chavirent, et puis après on ne sait pas quoi en faire de tous ces gueux ! Donc nous sommes révoltés, par cette décision

mais à part ça, on fait quoi ? Cette nouvelle immensément grave passe inaperçue, puisque toute la France est braquée sur l’ascension de Sarkozy et la descente de Hollande, et la qualification du PSG. Et je pense à Victor Hugo, à Pablo Néruda, à Vaclav Havel, plus prosaïquement à Coluche, le moment où l’artiste passe à l’action politique directe , et plus récemment au petit Debouze qui démontre à Hollande la nécessité des matches d’impro dans tous les collèges. Et si on se mettait à monter un peu partout comme à Amiens , des assemblées constituantes théâtralisées où des habitants s’amuseraient à inventer de nouvelles lois ? Quand les politiciens sont en situation d’échec, il faut descendre dans l’arène.

Dimanche 16 nov 2014. Villars, pluie

Je vais te dire quelque chose, quand t’as vécu 45 ans à Paris, à Paris, où tu as toute ta famille, tous tes souvenirs, la ligne 12, la ligne 13, Montparnasse, les bois de Meudon, le bois de Boulogne, la Rue St Denis, Joseph Gibert, la procure, toutes les Fnacs, eh bien, passer un dimanche au pays de Montbéliard avec un mal au genou chronique qui t’empêche de te promener, c’est une énorme épreuve, et là, O miracle, ça passe, parce que c’est un lendemain de moment fort où tu te dis que ce pays de Montbéliard, tu l’aimes, malgré sa dureté, sa rugosité, son austérité, tu l’aime