Billet du 14 septembre 2025 Fête de famille
- livchine
- il y a 19 heures
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Ça danse, ça vibre, ça tourne, ça saute, ça tape dans les mains, on se prend les mains pour faire des rondes, l’espace est tout petit, le rappoporchestra passe du tsigane au klezmer, du klezmer au yiddish, et puis arrive Oriebin, la vieille romance russe qui a toujours accompagné les morts de notre famille, Ketty ma soeur est émue, elle fête ses 80 ans dans son jardin de Meudon.
Les cent invités ont tous apportés des victuailles, l’inorganisation est totale. Il y a là réunis, la famille de ma mère, ce qu’il en reste les Kobilinsky, Livchine et puis les Rappoport, le versant Valia , le versant Senia. On se retrouve on se reconnaît, et toi tu fais quoi ?
On cesse la musique pour les discours. Ketty, formidable, Ketty la meilleure d’entre nous, Evelyne est venue de New-York, et puis Marc Rappoport de Biarritz, on ne pouvait pas rater ça. Il pleut, personne ne sent la pluie on s’abrite sous la tente achetée à Bricoman, qui ne rentrait pas dans la twingo . On a rappelé Lila et son son copain qui étaient à la fête de l’Huma.
Dans tous les coins de la maison il y a des tables de zakouskis.
Celles et ceux qui ne sont pas d’origine russe et juive n’ont jamais vu de famille si unie.
Je fais un petit discours qui bien -sûr casse l’ambiance : Ketty on t’a donné le nom de ta tante déportée à l’âge de 27 ans, le 25 mars 1943, cette sacrifiée de l’histoire t’a valu des dizaines d’années de psychanalyse et elle te colle encore à la peau.
La musique reprend, Misha a trois ans et demi le dernier né, il fait mine de jouer du violon. Mais moi je suis mélancolique, Ketty m’avait dit : surtout apporte ton dernier livre, mais tout le monde s’en fiche de mon théâtre, je suis sur un canapé avec Valentin le fils de Margo la compagne de Julien le fils de Ketty, il a quinze ans, il m’aime bien, il y a aussi un grand gaillard aux neveux frisés, il s’appelle comme moi, Jacques Rappoport, on se fait un selfie.
Nous sommes dans une pièce de Tchekhov, ah nous sommes trois à avoir le cancer de la prostate, et même Josephine raconte comment son père a été emporté en cinq jours avec les mêmes soins que moi.
La musique et les danses continuent dans le jardin, pas de sonorisation pas de scène, la vraie fête spontanée.
Dana ma fille prend la parole, n’oublions pas que nous fermons les yeux des morts mais que ce sont les morts qui nous ouvrent les yeux, Baboussia ma grand mère est présente, on lui doit cette fête, on ne fait que reproduire les grandes réunions de famille de la rue Nungesser et Coli.
Je regarde la jeune génération, les millenium, nés au début du vingt et unième siècle, ils sont beaux, ils sont inclus, ils sont doués, il y a des musiciens, des sciences po, un jeune photographe. Ketty est sur un nuage. On descend tous d’immigrés russes, d’Odessa de Moscou arrivés en France il y a cent ans, et là je suis pris de panique.
Il leur reste 70 ans à vivre.
Nous, nous avons vécu sans guerre, on a eu une épidémie de Covid, des orages un peu forts, du narco trafic, on a vu la naissance du portable, d’internet du GPS des drones, des canicules, mais eux qui peut imaginer ? Les états de droit vont disparaître, les espèces animales mourir avec le réchauffement climatique, et plus d’eau, les bombes atomiques vont sans doute détruire des centaines de villes et des millions d’hommes.
Je te jure j’ai peur, soixante dix ans à vivre. Avec des fous à la tête du monde.
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