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Billet du 3 juillet 2025, la dernière du théâtre de l'Unité

  • Photo du rédacteur: livchine
    livchine
  • 3 juil.
  • 7 min de lecture
L'émotion d'Hervée. Photo David Quesemand
L'émotion d'Hervée. Photo David Quesemand

Faut que la machine se refroidisse un peu pour que je réussisse à parler.

Faut je prenne un cigarillo pour que je réussisse à écrire.

Vieille table branlante dans le jardin de Villars les Blamont jamais cultivé.

Un spectacle de 7 H cela ne se raconte pas, alors je vais tenter de raconter les 7 heures qui précèdent le spectacle : la Nuit Unique.

Tout est compliqué car les 10  comédiens ont réclamé un pot de dernière après avoir un peu dormi, et ce sera dimanche et il faudra que les bouteilles de crémant aient le temps de refroidir.

On fera ça chez moi dans ma maison de Malakoff, alors j’ai fait les courses avant et j’ai commandé à Adnan le migrant syrien qui vit dans notre maison de nous préparer un-vrai Houmous, dont il a le secret, à étaler sur du pain syrien et puis mon fils m’a recommandé un traiteur indien, Dolly mais l’Unité ne peut pas payer cent euros de plus pour tous les amis qui vont se rajouter, je n’oserai pas demander, Hervée dit : je m’en charge.

C ‘est ça qui tourne dans ma tête, normalement j’avais décidé d’arrêter et je me mets tout ça sur le dos, alors que mes os sont rongés par une saloperie de cancer.

On part à l’heure, à 9 H, mais c’est compliqué aussi, il y a une grande fête à Audincourt, on doit faire le chargement du 20 M 3 et du Jumper trois jours avant.

On a peur d’un surpoids éventuel du 20 M 3 de location, Thierry ne passera pas par Fleury en bière, péage honni ; une fois un de nos acteurs s’est fait mettre en garde-à vue pour du shit et Hervée a dû le remplacer en deux jours, et c’était le rôle principal, une autre fois décor bloqué 300 kgs de surpoids, donc ça a été l’horreur, Hervée et moi, on a du décharger le surpoids.Le déposer sur une pelouse et attendre que le camion de location revienne chercher le matériel.

Et là, catastrophe,  on est partis le jour même, on avait dit que c’était pas bien le jour même, mais on le fait et tout ça pour soulager le lieu qui nous accueille de deux chambres d’hôtel, puisque les acteurs veulent tous rester un jour de plus. Colombes a finalement accepté le surcoût, mais Hervée ne cesse de répéter en boucle : plus jamais ça alors qu’elle sait que c’est la dernière.

Pas de clim dans le Jumper, Catherine F. pas folle a exigé le train, c’est moi qui vais devoir conduire les 5  H 30 tout seul, serviette mouillée sur la tête, c’est l’enfer.

On emmène aussi la chienne, et ça aussi me fait du souci, où fera t-elle ses besoins ?

Marie Leila se met à l’avant car on doit répéter notre transsibérien, on se bloque tous les deux sur ninni ninon nichon mimi mamour ma poupoule mon pérou dodo dondon etc .Les énumérations c’est pas facile.

Hervée n’en peut plus de ce transsibérien, elle se met derrière et fait des scrabbles  sur son I Phone et répète en boucle : belle connerie que de partir le jour même. Tout peut arriver à tout moment.

Ça y est Evry, plus que 40 kms, une heure jusqu’au périphérique, puis encore une heure jusqu’à Colombes. Et là toujours pareil, par où on rentre  dans le théâtre ?  Vas- y Jacques, bouge -toi, va chercher un responsable. Toujours moi.

Entre temps Fantazio à son habitude appelle : je suis à Saint- Lazare je n’y comprends rien aux trains, c’est déjà une bonne nouvelle qu’il soit à Paris, il vient de Rennes et d’habitude, on tremble pour sa soirée de la veille trop arrosée donc pas réveillé, train raté, avion, taxi.

Je dois garer le Jumper en marche arrière, une horreur pour moi.

Le frigo du théâtre est déjà plein pour la nuit  : eaux plates,  bières eaux minérales,  pâtés, sardines,lait concentré, jambon, chorizo.C’est rassurant

Hervée a peur, elle mobilise Souhil un jeune d’Audincourt qui veut connaitre le théâtre, elle a oublié la menthe, les oignons pour ses nems servis à 4 h du matin, elle lui demande tout et lui apprend au passage à rouler les nems. Elle lui explique que c’est ça aussi le théâtre.

Pourquoi dans tous nos spectacles, il y a toujours à boire ou à manger. C’est une de mes théories jetables, le théâtre est né dans une fête dyonisaque, dans l’alcool et le poisson grillé.

Repérage : circulation toilettes, compter matelas chaises longues pour 170 locations

Fantazio appelle : je suis devant le théâtre je ne comprends pas par où on rentre. Génial, Fantaz, oui mais épuisant aussi.

7 h avant de jouer, je sue à grosses gouttes  c’est mon hormonothérapie qui me met en ménopause.

C’est la mise  : ça circule de tous les côtés, Hervée a réclamé un soutien gorge, Mélanie et Léonor répètent et font des balances, c’est épuisant, mais il le faut.

Le directeur de l’Avant -Seine de Colombes me sert la main dans un couloir ce n’est plus le même que lors de notre Macbeth en forêt le long de l’autoroute. C ‘est Samia Doukhali que je connais, incroyable secrétaire générale qui coordonne le tout.

J’ai bien entendu honte pour tout ce déploiement de forces pour 170 dormeurs, et ça va coûter 12 000 € je crois bien, tout compris mais sans doute plus. L’Avant Seine, des passionnés qui n'ont pas peur du risque.

Ma nièce Olivia me rassure, c’est 20 000 € les contrats d’habitude, oui mais pour 800 personnes.

C’est la quarante troisième Nuit Unique, mais dans ma tête c’est toujours une première.

Je répète dans ma tête le diction : rien ne se passe, jamais comme prévu, mais pour l’instant on ne sait pas trop d’où sortira la “couille”.

Réunion de concertation avant que cela commence : les entrées, les sorties, Hervée à son habitude tacle Fantazio, les paroles des spectateurs que l’on recueille doivent être vraies, de même lorsqu’on se présente, c’est en toute sincérité, pas de cabotinage. `Fantazio émet des doutes sur la scène  vos dernières vingt minutes : Hervée l’envoie paître, fais- toi une mise en scène si t’as envie ! C’est pénible cette ambiance, mais quand Hervée a peur elle est insupportable ; à la dernière séance c’est elle qui se trompait.

Je vous raconte les coulisses parce que 7 heures de représentation c’est un Airbus qui décolle pour New York.

J’essaye de me dire dans ma tête le Valérie Larbaud du début, il y a une phrase qui me manque-, or je n’arrive pas à me connecter à Internet pour retrouver cette phrase, et sans arrêt je dis  : et vous grandes  places à travers lesquelles j’ai vu passer la Sibérie et les mont du Samium , la mer de Marmara sous une pluie tiède. Il manque une partie, ça m’énerve. Il n’y a pas de texte de la Nuit Unique, juste des conducteurs, je me dis ça va revenir comme un automatisme. Et puis qui connait ce texte ? N’empêche que cela m’irrite. `

19 H 30 : On dine dans une ambiance tendue.

Chaque acteur a son coin, on règle les déformateurs de voix  de Fantazio  et celui d’Hervée quand elle va jouer mon père.

Je suis debout depuis 7 heures du matin et je dois tenir jusqu’à 10 H le lendemain demain.  David Mossé créateur des lumières est revenu, il a un touché poétique. Il est sentimental, il voulait faire la dernière. Il essaye la machine à fumée.

Je fais signer les contrats, encore une fois j’ai honte  200 € net , alors que l’on met au moins trois jours pour récupérer.

On est à H- 2 . Je fais ma pâte à blinis

J’ai apporté des bouquins à vendre, je ne juge jamais une représentation aux applaudissements mais à la vente des  bouquins.

C’est Catherine qui est au violoncelle et qui répète.

Fantazio se demande si les attaques d’Hervée ne sont pas sa forme d’amour.

Ludo et Charlotte se chauffent.

Hervée glisse une remarque : dans le Koltes vous allez trop vite, on n’y comprend rien, c’est pour Julie.  Son compagnon est reparti dans un RBNB avec ses deux enfants, ça lui coûte tout son cachet .

Je prends un café, un red bull puis 3 pilules de Guarana . Je cache une bouteille d’eau glacée sous la table.

Jean Couturier installe son barda de photo, il est médecin ORL mais il a fait une thèse sur nous avec Abirached, on lui a dit pas de photos, mais on s’en fiche. Il va aussi écrire pour théâtre du blog. De vieux compagnons viennent nous saluer avant le début : Gérard Surugue et Valérie Moureaux, touchés que ce sera notre point final .

23 H le public.

Installation : je salue les jeunes de Besançon qui ont fait le déplacement, et Thibaut un pilier du Kapouchnik. Bien sûr ma soeur, avec Francine,  Gaia ma petite fille. Ma fille Dana méprise le théâtre, elle est ethno -musicologue du CNRS, pour elle ça n’a pas de sens. Michaël est venu de Calais. Un passionné.

Très honnêtement je n’ai aucune envie de jouer, je voudrais être déjà demain matin.

Je n’ai jamais vu le spectacle ni Hervée. 23 H 15, ça commence.

Hervée fait son  discours : dormez si vous voulez, ne vous privez pas. Laissez vous aller pour une fois. Mais nous on n’a pas le droit de dormir.

C’est moi qui sonne les heures et annonce les chapitres, de 23 H à 3H, ça va encore, ensuite on joue au milieu des ronflements.

La scène de Dom Juan tout nu m’effraye, Fantazio improvise une ode à mon petit oiseau, au loin quatre Elvires nues. Honte maximale. Fantazio est rempli de tatouages.

La scène de la gourmandise est assez grandiose avec la folie de chacun et un jeu à 300%, ça réveille.

On approche de la fin, je chante en russe.

6 H  : Les derniers mots je suis entouré par tous les comédiens : “j’ai des amis qui m’entourent comme des garde- fous” les yeux sont mouillés, ils chantent Reva Baia.

et Hervée annonce : vous allez assister au dernier souffle d’une compagnie, on se met en ligne. La musique ne vient pas, Hervée ne se gêne pas: Thierry, tu dors ? envoie le final, il dit : je ne l’ai pas, la voilà la couille attendue, soixante ans de carrière qui se terminent par un couac. Notre devise rater mieux est toujours d'actualité.

Donc pas de musique triomphale, le public se lève applaudit, applaudit notre mort et là Hervée pleure, tandis que réaliste je dédicace des bouquins et prends les commandes du nouveau livre, les mille et une plaisanteries du théâtre de l’Unité. Fred Fort lit à voix haute une de nos professions de foi.

Le lendemain après la fête : panne du jumper. Réparation à distance par Claudine notre ex administratrice. Hervée oublie son portable sur une aire d'autoroute.

Et moi je suis allé vérifié le bout de phrase qui me manquait, la Castille âpre et sans fleur,s il était temps que je m’arrête, pas de regret.










  
















































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