Aurillac ! Billet du 18 août 2025
- livchine
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Ça y est Aurillac va commencer et nos souvenirs.
On doit être en 85, on est appelé par la mairie d’Aurillac, donc on prend le train de nuit, je m’en souviens très bien. Il y a quarante ans. On a rendez-vous dans un grand bâtiment et là le maire adjoint à la culture, un socialiste nous propose l’organisation d’un évènement estival. Donc on visite. L’espace des carmes où il y avait un grand arbre coupé depuis, nous paraissait évident, mais nous allons décliner l’offre, car c’est une époque où nos tournées vont bon train, nous pensions que nous n’aurions pas la force d’organiser, mais que cela intéresserait un certain Michel Crespin. Et Michel met une première édition en place, il invite quasiment tous nos spectacles de l’époque. La population ne semble pas réagir alors il sort 5000 tracts.
Les souvenirs qui nous restent : nous ouvrons le festival place de l’hôtel de ville à midi pétantes, avec notre 2CV théâtre, mais il n’y a absolument personne, et Michel dit : on commence : alors Hervée entame : circulez, il n’y a rien à voir, vous êtes devant le plus petit théâtre du monde, un théâtre à deux places et uniquement deux places. Puis une ou deux personnes puis six/ douze personnes nous observent à une dizaine de mètres. Il faut avoir la foi.
Tiens un facteur s’approche, Hervée l’interpelle, facteur, va distribuer tes lettres, il est déjà 12 H 30. On a appris que les lettres ont été jetées dans une bouche d’égout. Puis notre spectacle le mariage restera dans les annales puisque notre beau -frère joué par Frank Hersher ( les frères confetti ) a dégringolé dans la cascade de la jordanne, et s’est cassé un doigt, puis il y eut nos impostures. La veille on avait acheté un énorme fromage dont nous avions besoin pour notre fête de rentrée, et la belle mère l’avait échangé contre un billet de 5 francs. On couchait à l’hôtel Saint Pierre, ah le luxe de l’époque,
et nous faisions sécher nos costumes sur un kiosque à musique en face de l’hôtel. C’était notre dernier jour, au moins 250 personnes nous suivaient. Mais le terme festivalier n’existait pas encore.
Alors 38 ans plus tard, on est passé de 15 spectacles à 745 spectacles. Il reste les 15 IN et puis 730 spectacles viennent chercher ici le contact avec le public et surtout les diffuseurs.
Et là -dessus se greffent des milliers de personnes qui se baladent, ne regardent pas les programmes et s’arrêtent parfois et font cercle autour des spectacles OFF OFF, qui ont un succès sans pareil, parce qu’Aurillac c’est aussi la bière, les punks à chiens, une zone franche pendant quatre jours, des centaines de camping cars, des figures hirsutes. Alors se développe le phénomène des cours. Le cie gérard gérard administre la cour Amour gloire et parking , que des spectacles à véhicules.
Et puis d’habitude il y a la cour de l’école Jules Ferry, où les pros se rencontrent et sont assaillis par les compagnies, car comment se faire remarquer dans cette jungle ? Là commence le phénomène de l’adoubement, car toute la vie théâtrale n’est qu’une histoire d’adoubement. Tu dois être d’abord apprécié par tes pairs, les infos vont vite, et si par bonheur ça passe, les gens arriveront deux heures avant ton spectacle, attendront en plein soleil, c’est le prix à payer pour une place gratuite, mais le rêve absolu c’est d’être repéré par un CNAREP, un nom très laid pour parler des 13 fabriques de théâtre de rue labellisées par l’Etat.
Je me souviens de prises de bec lors de l’apparition de ces centres institutionnels, Larderet de la cie Cacahuètes, criant au scandale, tandis qu’un de nos meilleurs théoriciens décédé aujourd’hui Marcel Freydefont, expliquait que le développement de la rue passait par la création de socles solides.
Adouber c’est aussi être repéré par un expert de la Drac, qui lors des réunions annuelles donnera son avis si vous avez déposé un dossier.
Et voilà, derrière un spectacle monté il faut mettre en route une terrible bataille, la plus dure qui soit, l’adoubement, rentrer dans le petit club des subventionnés du théâtre public. Attention, si votre spectacle marche trop bien, vous serez suspecté de démagogie ou de populisme.
Mais même être adoubé dans la catégorie rue, c’est encore le bas de l’échelle sociale du théâtre.
Alors nous, l’Unité, nous avons été classés figure historique des arts de la rue et de plus nous a avoué un conseiller théâtre de la Drac, UBM, c’est à dire Unité de Bruit Médiatique. Si on nous touche, campagne de presse etc.
Mais alors toi, Livchine aux cinquante métastases, vieux baroudeur de cinquante années de théâtre, t’en penses quoi de toutes ces évolutions ?
Ma réponse : ce n’est pas dans ce festival mastodonte que tu pourras toucher le public vierge dont tu rêves, mais tu ne peux pas non plus rester cloitré dans ton quartier ou ton village, ou ta ville moyenne, il faut te confronter, rentrer dans la course à l’adoubement, te mesurer aux autres, prendre le pouls de la vie théâtrale.
Ensuite tu pourras aller là où il y a du désert, ou livrer bataille pour amortir ton spectacle, on dit qu’il y a 300 festivals en France et s'ils veulent pas de toi, monte un trois cent unième festival.
Apophtegme de fin
apprends à vendre à donner à revendre, donne prends donne prends
Blaise Cendrars
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