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Billet du 3 décembre 2023 : Harar


Il y a quelque chose qui se passe, c’est sûr, c’est oracle ce que je dis.

Comment se fait-il que nous nous trouvons à Harar le 2 décembre 2023, et que ce deux décembre, c’est l’anniversaire du jour où Rimbaud passa la porte Asum Beri et fut le troisième non musulman à pénétrer dans cette ville sacrée en 1880 à l’âge de 26 ans.

Comment se fait-il qu’il avait déjà quasiment déjà évoqué l’idée de quitter l’Europe pour un pays chaud et dans une saison en enfer, il y a quantité de descriptions qui augurent de son avenir : j’aimais le désert les vergers brûlés, les boissons tiédies, les boutiques fanées, et il parlait déjà non seulement l’arabe mais l’amharique.

Mon antienne : Rimbaud m’a ouvert les yeux à l’âge de 17 ans et c’est lui qui me les fermera.

Ainsi j’ai décidé en fin de carrière, à 80 ans, de connaître par coeur une saison en enfer. C’est en apprenant par coeur que l’on réussit à comprendre les textes un tantinet ésotériques, et puis ensuite aller faire revivre ses mots, là où il les avait écrits dans un premier temps, et là où il les avait vécu les dix dernières années de sa vie.

Suis- je atteint de Rimbaldite aigüe ? Sans doute un peu…Expliquer l’oeuvre par la vie etc.

Comment cette oeuvre m’a suivi et même guidé toute ma vie.

Les vrais Rimbaldiens se détestent entre eux car chacun a son idée son arrêt brusque de l’écriture à 19 ans, sur son changement de vie et ses voyages etc.

Alors nous avons enfilé nos redingotes et nos hauts de forme, et comme Rimbaud et avec ses mots nous sommes entrés dans Harar ce deux décembre 2023 où nous fêtions en même temps les 150 ans d’une saison en enfer.

Et ce fut une expérience quasiment mystique, nous avions inventé le chemin de croix de Rimbaud.

Pour épouser les sentiments de Rimbaud il est nécessaire d’avancer pas à pas. Pour entrer dans les profondeurs de l’amour de Rimbaud, il faut qu’un chemin se creuse, de station en station. Le déplacement physique invite à un déplacement intérieur. Il s’agit de se laisser façonner par la marche, de suivre Rimbaud pas à pas, de nous laisser conduire sur le chemin qu’il emprunte, et non de le précéder. Il s’agit d’entrer plus profondément dans notre condition de disciple.

En fait j’ai remplacé le Christ par Rimbaud et ça marche !

On invente notre religion à nous. C’est le sens de tout ce voyage, une sorte de pèlerinage des disciples de Rimbaud.

Et à 16 H, le deux décembre 2023, nous nous lançons , on ne compte pas les stations, ici tout le monde connait Rimbaud, c’est le héros local.

Et là je vis une expérience incroyable, je suis une sorte de prophète, je m’en vais en silence vers le but final de mon chemin de théâtre.

Je sens bien que c’est ridicule cette expérience mystique, mais les athées ont plus de foi que l’on ne croit.

Je rentre dans la stratosphère du sublime.

Je dis une saison en enfer comme une prière

Je découvre la ville, je salue ses pierres et ses habitants.

Je ne sais même pas si c’est du théâtre, les gens de la rue pouvaient nous prendre pour des clowns, mais pas du tout, ils nous souriaient nous caressaient de leurs regards, nous respectaient.

Et alors on passait devant son comptoir de marchand aujourd’hui détruit jusqu’au musée qui lui est dédié et là on a fait un peu de théâtre et joué sa mort et ses derniers mots .

Invraisemblable expérience.

Nous inventions notre foi d’athée .

Et puis à la vérité ce n’était même plus du théâtre ce que nous faisions, d’ailleurs il n’y avait pas de public juste les gens sur le chemin et quelques enfants pauvres aux yeux brillants.

Curieusement ils suivaient le texte comme s’ils le comprenaient. A la toute fin nous leur avons offert quelques badges de Rimbaud qu’ils portaient avec fierté comme un talisman.

Et moi je me disais que tout ça était trop beau, je n’irai pas plus loin.


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