Lozère, été 2021
Ligne 13, je suis interpellé par un jeune à casquette :
Oh comme c’est beau de vous voir ensemble…
Oui, ça fait 57 ans … quel exploit.
Et voilà que je suis invité par une compagnie émergente qui voudrait enregistrer mes propos sur l’amour comme si j’étais très connaisseur.
C’est un spectacle préparé par deux trentenaires, jadis en couple, aujourd’hui séparés dans la vie, mais ensemble dans le théâtre.
Elle, je l’aime bien, car elle a un petit grain, et dégage de la poésie. A 25 ans j’aurais été fou d’elle. Je parle plus d’une heure, j’ai envie de cigare, et je suis tel un cheval qui galope dans une prairie sans fin, les naseaux fumants. Le lendemain je regrette d’avoir été si franc, prolixe, sans retenue aucune, très cru, très limite.
Charlotte aurait sans doute voulu que je lui parle d’un amour pur, lisse, fidèle, sans contrariété, sans aspérité, d ‘une union idéale, et parfaite, sous un ciel d’azur. Cela n’a pas été le cas.
Elle m’écrit : Cher Jacques : Je me sens pleine de gratitude. Ce moment de parlotte était très précieux pour moi. Qui s’aime pour de vrai ?
Je le reconnais, j’adore essayer de comprendre l’amour, décrypter les secrets d’alcôve, j’ai écrit les quatorze niveaux de l’amour, depuis le tout premier désir microscopique jusqu’à l’explosion atomique, puis l’érosion, le retour au calme.
Je me récite sans arrêt cette chanson de Brassens
Alors aux soirs de lassitude
tout en peuplant sa solitude
des fantômes du souvenir
on pleure les lèvres absentes
de toutes ces belles passantes
que l'on n’a pas su retenir
C’est aussi Rimbaud
Oh là là que d’amours splendides j’ai rêvés
Et puis j’ai, comme d’habitude, mille théories jetables, mille poèmes sur cette matière volatile, mille contradictions.
Je sors de la pharmacie , je descends juste de la bascule, je pèse mes 80 kgs, je t’aime
Cendrars
Et moi 80 ans, et je peux encore faire des enfants.