Classique photo souvenir. Bartabas s'est caché, Courcoult n'est pas encore réveillé
Il y a quelqu’un qui me dit : Jacques tu te répètes, tu ressasses.
Oui c’est la vérité, et ressasser est un palindrome.
Presqu’arrivé à la fin d’un périple d’une vie, je me pose des questions, surtout le samedi.
Faut il revenir en arrière et se souvenir des grands moments du passé ? Faut il les fêter ?
Faut -il commémorer ?
Faut il s'enorgueillir d’avoir été à la source d’un courant de théâtre qui se perpétue aujourd’hui ?
Nous voici de retour à Aix en Provence ce 25 mai 2024, pour se souvenir d’Aix Ville Ouverte aux saltimbanques, mai 1973.
A l’époque, 1972, nous débutions. Nous avions commis un Avare assez décapant, l’Avare and co, l’Unité se lançait dans le marché professionnel.
Jean Digne avait notre âge, il co-dirigeait le relais culturel d’Aix en Provence, le théâtre du Centre. La rencontre fut déterminante.
Comme nous il se sentait à l’étroit entre les quatre murs d’un théâtre, alors nous avions décidé d’attirer un nouveau public en inventant une parade sur le cours Mirabeau.
Jean Digne, fils de bourgeois de Marseille -sa famille c’était les croisières Paquet- avait comme nous rompu avec sa classe, et était attiré par tout ce qui était foire, marché aux puces, art brut, peintures idiotes, enluminures populaires etc.
Jean Digne était de plus un visionnaire. Il fut le premier à avoir décelé dans notre parade même primaire, la graine de ce qui pouvait advenir d’un art en espace public. Et dès 1973, sans le sou, il organisa une rencontre : Aix ville ouverte aux saltimbanques qui va devenir le véritable acte fondateur des arts de la Rue en France.
Les 22 compagnies invitées allaient engendrer des milliers de compagnies et des centaines de festivals.
Mon pauvre Jean est aujourd’hui enfermé en lui-même entre les quatre murs d’un Ehpad spécialisé dans la maladie dont on ne guérit jamais.
Son regard est un précipice, il me regarde, j’ai beau dire mon nom, il a juste l’air étonné, il est parti dans un autre monde.
Un certain Jean-Pierre Marcos, un fidèle un passionné, un fanatique qui a donné toute sa vie au théâtre de rue a eu le désir de fêter cet événement.
Jean-Pierre Marcos parcourt la France à la recherche des premiers artistes de rue, aujourd’hui septuagénaires ou octogénaires.
Un fieffé rassembleur. Nous sommes une cinquantaine.
On passe des films, on se reconnait.
Ceux qui y étaient et celles et ceux pour qui l’influence de Jean a été déterminante.
Bartabas de Zingaro et Jean-Luc Courcoult de Royal de Luxe, deux figures majeures ont tenu à être présents. Mais aussi la belle et grande Caroline Simons ex palais des Merveilles, qui a fondé le Rire médecin, Christian Taguet, le puits aux images Pascalueto, Philippe du Vignal, Morizur Bosseur fondateurs du Fourneau de Brest, Xavier Juillot et ses structures gonflables, Gil Rhodes, Brigitte Burdin, Transsexpress, Nini Rhodes, tout s’emballe, Annie Papin et son orgue de Barbarie sans son Artus décédé, Bruno Schnoebelin d’ilotopie l’éléphant vert, Hee Kyung Lee, éditrice et autrice d’un mémoire remarquable sur la rue mais aussi Catherine Tasca ex-ministre de la culture etc.
Je dis à Catherine Tasca : Jean n’a jamais été un institutionnel, elle me réplique : c’est ce que j’aimais chez lui.
Je craignais une ambiance “anciens combattants” ou enterrement prématuré.
La rencontre était amicale, informelle, dénuée de protocole.
Une fanfare donnait le ton sur le cours Mirabeau : les fiers à bras.
On déambulait , il y avait quelques attractions mais là on n’arrivait pas à retrouver l’atmosphère magique de 1973.
En effet, Il y a cinquante ans, nous marchions sur une terre vierge, immaculée, c’était la découverte d’un formidable nouveau continent, nous étions tous des espèces de pionniers. Le théâtre est telle une bouteille de bière ouverte depuis longtemps, il a tendance à s’éventer. Et tout notre travail d’artiste c’’est d’ouvrir sans arrêt des nouveaux chemins, des nouvelles démarches, aller vers l’innovation, le neuf, le décalé.
C’était la démarche de Jean Digne, poète à sa manière.
Mais oui je suis tourmenté : Dans cent ans ou deux cents ans les hommes qui vivront après nous et pour qui nous avons frayé le chemin, auront-ils une pensée pour nous, mais non ils nous auront oublié. Tchekhov.
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