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Billet du 3 décembre 2023. La poésie et Christian Bobin



La poésie… il y en a qui disent : j’aime la poésie. Moi cela me barbe plutôt.

Pourtant il y a des poèmes dont je suis amoureux fou et que j’apprends par coeur : le Transsibérien de Blaise Cendrars, une saison en enfer de Rimbaud et une vingtaine d’autres. J’adore les dire, les articuler, les proférer, les adresser.

Je n’avais pas un physique de beau gosse pour séduire les femmes mais des poésies plein la bouche, outil de séduction sans précédent. Alors j’ai pratiqué le poème-caresse et je l’ai transmis à des centaines de jeunes dans mes ateliers-verbe.

Elle n’avait même pas seize ans, elle me montra son cahier de poésies. Je les trouvais gnan gnan.

Je lui ai dit : le verbe ça se muscle, et lui ai offert Rimbaud dans la Pléiade. Ce fut pour elle une révélation.

Depuis ce jour d’octobre 1963, elle a publié plus d’une dizaine d’ouvrages chez Gallimard, dis-donc la garce, parfois elle me rappelle que c’est grâce à moi.

Jean Genêt lui a fait une immense promotion en déclarant dans une lettre : ce que vous avez fait est très beau… la langue est magnifique … comment vous avez fait des phrases si riches, c’est comme ce que j’aime le mieux, Baudelaire, Nerval. J’ai pris une gifle.

Lydie Dattas, c’est son nom est devenue la compagne de Christian Bobin qui l’a recueillie dans sa maison de Champ-Vieux près du Creusot.

Puis le 23 novembre 2022, c’est la fin après un cancer fulgurant du colon, en deux mois et demi il meurt à l’hôpital de Chalon sur Saône.

Lydie lui avait parlé de moi, il m’avait écrit cette lettre de haute tenue, qu’heureusement j’avais gardée dans une boite à chaussure.


Cher Jacques

Ce que je sais de vous est admirable et réjouissant. Il semblerait que vous êtes l’humain qui ne cède rien absolument rien aux conventions mortifères, il y a ce que Lydie m’a dit de vous, le documentaire qui a été réalisé autour de votre travail, et maintenant ce film halluciné, hanté fait par votre nièce (Elsa Quinette)..

Sait-elle qu’elle a fait un chef-d’oeuvre ? Les morts y sont bercés par la vie, nourris par elle. Les images des vos proches (et de vous minuscule et déjà géant) au Chambon sur Lignon, blanches, silencieuses ont le rayonnement d’un soleil froid.Elles traversent le coeur comme une lame très fine. Des gens ont disparu broyés par le casse-noix de la grande Histoire. La grâce est que par ce film tous reviennent. La mort doit détester ce film qui pourtant ne cherche jamais à l’éviter. Et puis il y a votre mère, elle est à votre image, elle affronte la muraille dont toutes les briques vont s’effondrer sur elle, elle fait face et sa fantaisie l’amène déjà de l’autre côté indemne. Vous êtes un angoissé infiniment rassurant cher Jacques.

Tous les vivants s’illumineraient de vous voir entrer dans votre chambre avec votre petit accordéon, je suis très heureux de vous écrire, très heureux que vous vous promeniez sur la terre dans le même temps, cela rend l’air plus respirable


Fraternellement


Christian Bobin


Je n’aime pas trop les louanges d’habitude, mais là je craque.

Je suis allé lundi dernier dans l’Eglise Saint Charles du Creusot pour lui dire au revoir et soutenir Lydie.







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