
Mon sujet : Comment Capitale Française de la Culture, récompense obtenue par Pays de Montbéliard, est devenue notre plus grand calvaire ?
Ce titre ronflant est décerné tous les deux ans par le Ministère de la Culture à une ville moyenne de 40 000 habitants. Il y a deux ans c’était Villeurbanne.
Trois villes s’affrontaient : Alès, Bourg en Bresse, Pays de Montbéliard (73 communes) .
C’est un jury d’une dizaine de personnes qui va attribuer le prix. La Présidente s’appelle Maud le Floch, nous la connaissons par le théâtre de rue, et il y avait Thomas Jolly, le metteur en scène des JO.
On ne peut pas dire que Montbéliard avait des atouts prodigieux : une Scène Nationale, MA, un lieu labellisé Musique actuelle, le Moloco, un conservatoire tout neuf tout beau, un lieu conventionné par la Drac, le Studio des 3 oranges, animé par le Théâtre de l’Unité, un Centre d’Art Contemporain, deux associations de conteurs et puis comme partout des chorales, des harmonies, des ateliers de Zumba, des MJC, des Centres sociaux.
Le Maire, l'adjoint à la culture de Montbéliard avaient pris cette folle initiative à laquelle personne ne croyait. Après on ne sait pas trop ce qui s’est passé, mais c’est l’Agglomération qui a porté la candidature, ce qui a énervé Montbéliard-Ville.
Le chargé de la Culture à l’Agglomération, dite PMA, a donc préparé le projet.
Il s’appelle Emmanuel Oudot, il n’aura jamais fini de se souvenir de ce qu’il a vécu.
Personne n’y croyait.
On a fait circuler un questionnaire : si nous devenions capitale française de la culture (CFC) quelles idées vous viennent à l’esprit ?
Je crois que moins d’un millier de personnes ont répondu, et toutes ont placé en tête des voeux le Réveillon des boulons. C’était notre rituel du 31 décembre avec défilé de machines bizarres etc . Peut-être même qu’en 1999, l’événement avait rassemblé 40 000 personnes.
Très vite cette idée de reproduire un événement d’il y a 20 ans n’enflammait pas le coeur du Président de l’agglo, un certain Charles Demouge, d’obédience LR. D’autant plus que les instigateurs du Réveillon sont des artistes à la réputation un peu sulfureuse, et le mot d’ordre devint vite : tout sauf le Réveillon des Boulons.
Alors Emmanuel Oudot entame le processus. Bien -sûr on engage une boite d’ingénierie culturelle de Paris, c’est toujours comme ça. La province ne se fait jamais confiance. Ce qui se passe alors est largement tenu secret, elle est limogée assez vite.
Emmanuel Oudot consulte et met en avant deux axes : la sobriété et le pas de côté.
Il a du mal à boucler son dossier, Hervée de Lafond affirme qu’elle lui a donné un petit coup de main. Hervée joue des coudes pour faire partie de la délégation qui va défendre la candidature à Paris. Elle fait peur avec son côté tranchant, elle ne fera pas partie du voyage.
Et c’est Pays de Montbéliard qui gagne ! Emmanuel Oudot est félicité, fêté, adulé. C’est une sacrée surprise.
L’Agglomération réunit tous les acteurs culturels pour annoncer la victoire et chacun de donner son avis. L’unanimité se prononce pour un comité d’organisation local. La proposition n’est pas retenue.
Il fallait s’y attendre, le commissaire coordinateur choisi est un directeur adjoint d’une scène nationale parisienne. Il démissionne ou est démissionné, ça on ne le sait pas, au bout de trois mois.
Et puis on voit circuler des appels d’offre divers, PMA constitue une équipe encadrante qu’on appellera la régie autonome.
Coup de théâtre, Hervée de Lafond est appelée en novembre 2023 pour être l’une des trois commissaires CFC 2024. Elle est fort surprise et en même temps assez fière de cette promotion.
Il s’agit d’éplucher les réponses à l’appel d’initiatives, on dit qu’il y en avait deux fois trop par rapport au budget.
500 000 € le ministère de la Culture, 500 000 € la banque des territoires.
Et ça commence, les refusés sont furieux d’avoir été refusés.
Le jury applique les deux grands axes : sobriété, pas de côté.
La question qui n’a jamais vraiment été posée, on a gagné un millions d’euros, on en fait quoi ?
Villeurbanne s’était offert deux méga -spectacles. Le théâtre du Soleil et Zingaro.
Mais nous Montbéliard ? On en fait quoi?
Parce que si c’est pour ajouter dix actions à la Scène Nationale, un événement de plus au Moloco, et un spectacle pour Hervée de Lafond, ce n’est pas amplement excitant.
Si c’est pour faire 300 mini-évènements quasiment invisibles, ce n’est pas non plus très enthousiasmant.
Les trois commissaires se partagent un peu le gâteau. Hervée de Lafond fera l’ouverture, Mathieu Spiegel le milieu, Yannick Marzin le final.
Le projet consistera ensuite à offrir une papillote culturelle aux 73 communes.
La cérémonie d’ouverture consistait à présenter à la Ministre de la Culture, Rima Abdul Malak une carte postale du pays de Montbéliard, ses 73 maires à vélo, son industrie, ses vaches, sa saucisse, ses inventions (l’hélicoptère), ses légendes et terminer par un feu d’artifice de 4 mn 40 s sur l’hymne du Pays de Montbéliard. Quand Rima Abdul Malak fut remplacée par Rachida Dati, l’idée nous est venue de s’adjoindre un commentateur ironique, Jamel Debbouze qui sans l’Unité ne serait jamais devenu ce qu’il est. Il avait accepté le principe puis décliné l’offre sous prétexte du tournage d’un film.
Symboliquement le stade Bonal serait un lieu idéal, on voit bien de partout, mais bien entendu on ne foule pas la pelouse sacrée de ce lieu mythique. L’aérodrome de Courcelles serait un bel espace, mais les élus voulaient que cela soit sur la ville-centre.
On se met d’accord sur un parking de l’Axone assez vaste pour accueillir 9000 personnes.
Je militais très fort pour un moment unique, écrire dans le ciel avec des drones, Capitale Française de la Culture, le pays de Montbéliard. Un rêve vite enterré. Le Groupe F venait de faire un tel spectacle à Genève : le feu o lac, avec 1350 drones et 800 000 spectateurs.
Mais bien entendu, l’artiste du Groupe F n’avait même pas une piste d’envol pour 100 drones. Et déjà le budget total était dépassé.
Entre le projet d’un artiste et ce qui se passe vraiment, l’écart peut être petit ou considérable. Hervée de Lafond est aux commandes. Des plans millimétrés circulent avec les entrées et les sorties de chaque prestation, c’est minuté, bien préparé avec un directeur technique qui fera l’admiration des pompiers et de la préfecture pour un dossier sécurité absolument parfait.
Tout s’annonçait bien. Pas de vent, pas de pluie.
La venue du premier ministre s’accompagnait de mesures de circulation un peu compIiquées, mais surmontables.
Ce genre de spectacles on appelle ça “one shot”. On ne peut pas répéter la veille, car l’inconnue c’est la quantité de public.
Et la catastrophe est arrivée.
On aurait du se méfier. Puisque le centenaire de la ville de Belfort près des étangs du Malsaucy six mois auparavant avait été un désastre, en dehors du gradin des officiels, personne n’avait rien vu. 10 000 personnes repartaient bredouille.
Et c’est le même scénario qui se reproduit. Le spectacle devait se passer au milieu du public, en dehors de deux prestations de danse sur une scène. Or la scène n’était pas assez haute, et le public s’agglutinait pour être face à la tribune du premier Ministre.
Unanimité : on ne voyait rien. Ou quelques bribes.
Les colonnes de son monumentales ont fait exploser le budget, et les différentes attractions pour plein de raisons différentes n’arrivaient jamais à temps. Grands trous, manque de rythme.
Juste les dix dernières minutes auraient pu sauver l’ensemble.
Hervée de Lafond a fait un numéro de duettiste avec Gabriel Attal qui s’en amusait.
Mais les élus de droite n’y ont vu que du manque de respect et de la grossièreté.
La presse locale du lendemain était furibonde et criait au blasphème.
Hervée de Lafond recevait des centaines de messages, des injures certes mais aussi de nombreux compliments sur l’indépendance de l’artiste face au pouvoir. Bien- sûr en Russie, elle aurait été envoyée au moins 7 ans en Sibérie.
67 articles de presse. Un passage à Quotidien de Yann Barthes vu par 2,3 millions de téléspectateurs.
Mais cela n’est pas fini.
Quatre jours après l’ouverture, la tournée des 73 communes commence et le 20 mars cela se passe à Villars les Blamont, le village de 450 habitants où je réside.
C’est le Bus d’Hélène qui opère. Animations pour les enfants dans le bus, rayons de soleil. Hélène et Clément se sont donnés, installation, distribution de tracts confectionnés par eux dans toutes les boites à lettres.
Ils sont de plus fiers d’avoir invité le spectacle de Marc Prépus : Caddyman. C’est la 484ème, ce spectacle a été joué dans tous les festivals avec un succès certain, c’est un caddie aménagé en boite à musique électronique.
Mais à Villars les Blamont on n’a pas l’habitude de voir des spectacles, et surtout décapant comme celui-là. Tu peux avoir des succès dans la France entière et t’étaler à Villars les Blamont.
Dans le projet général de CFC était écrit clairement un pas de côté, mais là on a eu droit à un pas dans le fossé.
Il y a des parents et des enfants, et quand l’artiste se met à expliquer aux enfants ce que signifie “enculer” ou “être enculé”, ou envoyer à son chien une statue de la vierge en plastique remplie d’eau bénite, c’est la consternation. Ma voisine est choquée, elle va voir le Maire, comment peut on tolérer cela ? Des mères de famille s’enfuient. Le maire dit avoir vécu une des plus grandes heures de solitude de sa vie. On ne programme pas automatiquement ce qu’on aime, programmer c’est savoir à qui on s’adresse. Hélène et Clément adorent ce spectacle pour des raisons qui leurs sont personnelles. Tel succès à Paris avec 4 T à Télérama peut se vautrer à Montbéliard.
Ce qui s’ensuit est prévisible. Les Maires n’ont pas envie d’expérience comme celle là, ils ont envie de se désengager de Capitale Française de la Culture si c’est pour se mettre à dos leur population.
Peut- être était ce une fausse bonne idée d’offrir à chacune des communes sa petite ration de Culture.
Bien sûr il faudrait faire dans le consensuel, des numéros de cirque, des sculpteurs de ballon, mais est ce vraiment intéressant ? Les artistes sont tout de même là pour déranger et faire réfléchir.
La présidente de Capitale Française de la Culture, Maud Le Floch nous expliquait que cette opération devrait servir à planter des graines, à parler de la transition climatique ou d’autres sujets de société.
Nous devions intervenir lors des marchés du soir, or les marchés du soir se suffisent à eux mêmes . Ils n’ont pas besoin d’être animés.
Il faut se remettre en cause, tout repenser ensemble.
Une réunion aura lieu Mercredi soir entre les maires et les acteurs culturels.
On a bien envie d’aller là où il y a du désert culturel, mais il y a un protocole à inventer.
Nous avions fait fabriquer un chariot avec une grosse cloche, bar ambulant, objet d’art tiré par un cheval comtois qui devait être un symbole de lenteur. On l’avait imaginé traversant le territoire, et offrir un apéritif, pour que les gens puissent se rencontrer. Peut être même offrir quelque nourriture spirituelle, petit poème ou chanson.
On verra bien.
Il faut d’abord sortir de la crise et de ce faux départ et inventer du neuf.
Le travail mène à la richesse
Pauvres poètes travaillons,
la chenille en peinant sans cesse
devient le riche papillon
Apollinaire
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